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Les Saintes Reliques ou la "Constantinople connection"

reliques constantinoplereliques constantinople
Reliquaire XIIème siècle (Limoges-France)
Écrit par Chantal et Jacques Périn
Publié le 2 juin 2022, mis à jour le 13 décembre 2024

Si l’on attribue à Hélène (248-330), mère de l’empereur Constantin 1er, la recherche et la sauvegarde de reliques sacrées, force est de reconnaître que la collecte des souvenirs des premiers apôtres, saints et martyrs du christianisme, généra chez les marchands faisant commerce des témoignages du début de cette jeune religion, une frénésie de plus en plus grandissante.

 

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Constantin 1er et Hélène (Icône bulgare XIXème siècle)

 

Comme chaque nouvelle chapelle ou église se devait de détenir une précieuse relique dont la présence ne pouvait que générer prestige, protection divine et prospérité, il devint impérieux de répondre à cette attente, quitte à outrepasser les limites du respect dû aux défunts.

Aussi, la demande du clergé devenant croissante, le pillage systématique de tous les lieux susceptibles de détenir objets, tissus ou ossements anciens devint une activité à plein temps pour les profanateurs mercantiles trouvant à Constantinople une clientèle particulièrement intéressée.

 

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Profanateurs de tombes (illustration du Moyen-Âge)

 

Pendant que les profanations vont bon train, Hélène qui sera canonisée au milieu du XVIème siècle, se rend en 326 en Terre Sainte afin d’y rechercher les reliques de Jésus. De ce voyage, elle rapporte des morceaux de la Sainte-Croix, des clous ayant servi au supplice, des restes de sandales et une tunique ayant, est-il dit, appartenu au Christ.

 

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Clous de la crucifixion

 

En rentrant de Terre Sainte, Hélène, avec un des clous de la Sainte Croix, fait forger un mors pour cheval qu’elle offre à son fils. Cette relique, arrivée en France en 1205, se trouve aujourd’hui dans la cathédrale de Carpentras où elle est vénérée sous l’appellation du Saint Mors.

 

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Le Saint Mors

 

Il serait naïf de croire que toutes les reliques actuellement exposées et vénérées soient authentiques car il existe une telle quantité de morceaux de la Sainte Croix qu’on pourrait reconstituer plusieurs dizaines de cet objet de supplice en réunissant tous les fragments recensés. Il en est de même pour les ossements qui offrent, dans certains cas, plusieurs crânes du même Saint, à l’instar de celui de Saint Jean Baptiste dont on peut voir un exemplaire dans la cathédrale d’Amiens et un autre dans l’église San Silvestro in capite à Rome.

 

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Crâne de Saint Jean Baptiste (Amiens – France)  

 

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Crâne de Saint Jean Baptiste (Rome – Italie)

   

S’il est une autre relique qui confirme la multiplicité d’une pièce qui devrait être unique, la Sainte Tunique nommée aussi Sainte Robe en est l’exemple flagrant.

Ce vêtement censé avoir été porté par Jésus au calvaire, mis à prix par les soldats romains chargés de son exécution, ne présente pas moins de 30 exemplaires.

Parmi cette profusion de lieux détenteurs de cette précieuse tunique, on peut noter Trèves en Allemagne possédant un exemplaire offert à l’épiscopat par Hélène, mère de Constantin à son retour de Palestine en 326 ; Argenteuil en France dont l’exemplaire de la tunique aurait été rapporté par Charlemagne au début du IXème siècle ; Germia en Anatolie, Safed en Palestine ou encore Svétitskhovéli en Géorgie dont la cathédrale renfermerait dans son sous-sol une précieuse et unique tunique…

Bien évidemment, chaque ville revendique l’exclusivité de l’authenticité de cet objet.

 

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Reliquaire de la Sainte Tunique (Argenteuil – France)

 

Comme nous le disions précédemment, la rivalité entre les différents lieux de culte a généré une véritable course à la possession de la relique la plus prestigieuse.

C’est ainsi que les Sandales du Christ quittèrent Constantinople et partirent en 750 avec Pépin le Bref, roi des Francs pour être déposées à Prüm (Allemagne) dans l’une des plus importantes abbayes du royaume carolingien.

 

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Sandales du Christ exposées à Prüm (Allemagne)

 

Quelque 50 ans plus tard, c’est au tour de Charlemagne de rapporter de Constantinople le Voile de la Vierge, offert par l’Impératrice byzantine Irène.

Ce voile serait celui que Marie, mère de Jésus, aurait porté sur la tête le jour où l’archange Gabriel serait venu lui annoncer qu’elle était enceinte des œuvres du Saint-Esprit. L’histoire est belle mais l’authenticité de l’objet laisse perplexe car ce voile est composé de soie précieuse, et il est peu probable que les faibles moyens de la famille aient permis l’acquisition d’un tissu si onéreux…

La précieuse relique est offerte en 876 à la cathédrale de Chartres par Charles le Chauve, petit-fils de Charlemagne.

 

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Voile de la vierge (Chartres – France)

 

Il est une autre relique qui mérite une attention particulière et la Couronne d’épines du Christ est bien celle qui génère une des plus intenses adorations. Instrument de torture et d’humiliation posé sur la tête de Jésus durant son calvaire, il fut vendu en août 1238, par Baudoin II de Courtenay, dernier empereur latin de Constantinople, au roi de France Louis IX (Saint-Louis) pour la somme de 135000 livres tournois, soit l’équivalent de 5,5 millions d’euros en 2022.

Après un an de voyage, la couronne fait son entrée solennelle à Paris le 18 août 1239.

En 1241, Saint-Louis fait l’acquisition de nouvelles reliques dont notamment le Saint Sang et la Pierre du Sépulcre, puis l’année suivante, il achète des morceaux de la Sainte Lance et de la Sainte Éponge qui, trempée dans le vinaigre, aurait été posée sur la bouche de Jésus crucifié.

Pendant que les reliques sont conservées temporairement en la Cathédrale Notre-Dame de Paris, le roi Louis IX fait entreprendre la construction de la Sainte Chapelle destinée à recevoir ces précieux trésors.

En 1248, après 7 ans de travaux et pour la somme de 40000 livres tournois (env. 1 630 000 euros), les reliques sont déposées solennellement en la Sainte-Chapelle.

 

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Couronne d’épines du Christ

 

Conservée à la Sainte-Chapelle jusqu’à la révolution française de 1789, la couronne est déposée en la cathédrale Notre-Dame de Paris, où elle est encore conservée aujourd'hui dans un reliquaire de cristal. Comme on peut le constater, elle est totalement dépourvue d’épines.

En effet, passée de mains en mains entre les patriarches de Jérusalem, les empereurs byzantins puis les rois de France, la couronne a été dépouillée de ses épines, distribuées dans l'Europe entière.

C'est ainsi que plus de trois cents communes françaises se sont vues gratifiées, au cours des siècles, d’une de ces précieuses reliques ainsi que plusieurs villes d’Allemagne, Angleterre, Autriche, Belgique, Croatie, Danemark, Écosse, Égypte, Espagne, Grèce, Hollande, Hongrie... autant dire que ce qu’il en reste ne ressemble que de loin à ce qu’elle fut.

Il serait faire injure de ne pas parler du Saint-Suaire, drap qui aurait entouré le corps du Christ lors de sa mise au tombeau.

Là encore, plusieurs villes détiennent un exemplaire de cette précieuse relique. C’est ainsi qu’elle est exposée et vénérée, en France à Compiègne, Besançon, Cadoin ainsi qu’à Lierre en Belgique et à Oviedo en Espagne. Cependant, la plus célèbre et celle qui a généré le plus de recherches se trouve à Turin en Italie.

 

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Saint Suaire de Turin

 

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Visage du Christ (négatif et positif) Saint Suaire de Turin 

 

Officiellement considérée comme le linceul mortuaire du Christ, cette pièce de tissu est une énigme quant à la façon dont l'image a pu se former. Si, en 1978, après une étude scientifique, il a été reconnu qu’il ne pouvait s’agir d’une fausse relique, 10 ans plus tard, un petit échantillon prélevé sur la pièce et soumis à la datation au carbone 14 indique que le tissu de lin date du XIVe siècle et que la relique serait donc un faux médiéval…

Si la Terre Sainte a offert une profusion de reliques sacrées, l’Anatolie n’est pas restée de côté et a également eu son lot de Saints Martyrs tels Emmanuel d’Anatolie, Sabin, Codrat, Théodose et Hyacinthe, évêques de Cappadoce.

Citons également Mammès de Césarée, jeune martyr chrétien originaire de Cappadoce exécuté en raison de sa foi en 275 à l’âge de 16 ans et dont le crâne se trouve dans la cathédrale qui lui est dédiée à Langres (France).

 

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Crâne de Saint Mammès rapporté de Constantinople lors de la 4ème croisade (1202-1204)

 

Il est évident que l’Europe chrétienne, avide de posséder des souvenirs des premières heures du Christianisme, a largement contribué à la frénésie de recherche de reliques, authentiques ou fabriquées.

La 4ème croisade et la mise à sac de Constantinople par les Croisés le 10 avril 1204 ont permis le pillage et le vol de nombreux objets et trésors sacrés jusque-là précieusement gardés dans l’église Notre Dame du Phanar.

Loin de s’offusquer de la manière dont ces reliques avaient été acquises, le clergé les a accueillies avec intérêt en les achetant sans scrupules à leurs pourvoyeurs.

Enfin, il serait injuste de conclure sans parler des trésors pieux musulmans qui, au même titre que les autres reliques, attirent la dévotion des fidèles.

Ainsi, à Istanbul, se trouvent plusieurs objets sacrés dont l’empreinte du pas du Prophète ainsi que sa tunique que l’on peut voir exposée au Palais de Topkapı.

 

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Empreinte du pas du Prophète Mahomet

 

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Tunique du Prophète (Palais de Topkapı)

 

Depuis les temps les plus lointains, les hommes se sont inquiétés d’un éventuel "au-delà" et ont organisé des rites destinés à s’attirer les bonnes grâces de ce qu’ils pensaient être les décisionnaires de leur destinée.

Cérémonies rituelles ont été organisées et objets spécifiques ont été imaginés pour symboliser et matérialiser la pensée.

Amulettes, gri-gri, bâtons magiques, symboles dessinés, statuettes, tatouages… sont devenus autant de moyens de se protéger des colères des entités supérieures.

Plus tard, quand les religions firent leur apparition, certaines éprouvèrent le besoin de matérialiser le panthéon divin par des sculptures, des icônes ou des médailles, alors que d’autres refusèrent toute représentation humaine.

Néanmoins, toutes ces croyances présentèrent un dénominateur commun : la vénération des reliques.

Qu’elles soient humaines (os, sang, fragments de peau, corps entiers ou membres momifiés) ou qu’elles aient appartenu ou simplement été en contact avec celle ou celui qu’on vénère (vêtements, objets de supplice, simple tissu, sandales…) les reliques ont été l’objet convoité par excellence, justifiant trop souvent les pires exactions pour les obtenir.

Authentiques ou créés de toute pièce, ces objets, loin d’être transmis gracieusement de génération en génération avec respect et dévotion, ont fait l’objet de transactions mercantiles, de violations de sépultures, de pillages et de meurtres, les reléguant bien loin de la symbolique sacrée de protection qu’ils étaient censés apporter.

Difficile dans ces conditions de savoir à quel Saint se vouer…

Chantal et Jacques Périn
Publié le 2 juin 2022, mis à jour le 13 décembre 2024

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