Au lever du jour, les rosiers d’Isparta livrent leur parfum. Derrière la beauté, un art discret se perpétue, entre gestes précis et mémoire d’un terroir.


De mai à juin, le parfum enivrant de la rose d’Isparta…
La rose a été cultivée sur les terres de l’actuelle Turquie depuis la nuit des temps. Au XIVe siècle, le voyageur Ibn Battuta s’extasiait déjà sur les roseraies de l’Anatolie. Les Ottomans affectionnaient particulièrement la fleur, symbole du paradis, décoraient de son motif les manuscrits, tissus, tapis et céramiques, utilisaient l’huile essentielle en parfum mais aussi en remède et offraient aux visiteurs, en guise de bienvenue, de l’eau de rose sur les mains dans un ravissant flacon d’argent appelé « Gülepdan », dont on peut voir des exemplaires chez les antiquaires. Aujourd’hui, en Turquie, la rose est indissociable de la ville d’Isparta, située sur les plateaux du Taurus.

Après la guerre russo-turque de 1877-1878 et la perte par les Ottomans d’une partie de leurs territoires, de nombreux Turcs de Bulgarie qui produisaient de l’huile de rose à Kazanlik, célèbre pour sa « Vallée des Roses », vinrent s’établir en Anatolie. Ce fut ainsi qu’un certain Ismail Efendi apporta de son village des roses de Damas qu’il planta en 1888. En effet, si l’on pouvait alors recenser en Turquie au moins vingt-quatre variétés de roses, la rose damascène, hybride de « Rosa gallica » et « Rosa phoenicia », fleur semi-double de trente pétales de couleur rose intense, dotée d’une odeur puissante, redoutant le gel mais affectionnant les averses, voire la neige, qui, disait-on, sublimaient ses qualités, se prêtait particulièrement à l’extraction d’huile essentielle.

Ismail Efendi en planta donc trente hectares à Isparta, dont le climat ensoleillé et sec en été, et froid et pluvieux en hiver, convenait parfaitement à la rose de Damas. Au début, ne disposant que de chaudières rudimentaires, il ne parvint pas à obtenir d’huile essentielle mais s’obstina jusqu’à se faire traiter d’illuminé par les habitants du lieu. Grâce à son opiniâtreté, après avoir placé des spécialistes à la tête de son exploitation, il parvint enfin, la quatrième année, à distiller de l’huile de rose. Si bien qu’à son exemple, les sceptiques qui s’étaient moqués de lui se mirent aussi à planter des rosiers. L’huile d’Ismail Efendi obtint des récompenses et la banque Ziraat lui offrit même un alambic. Plus tard, ce novateur fit connaître l’huile de rose d’Isparta dans de nombreuses foires européennes.

Par la suite, la culture de la rose de Damas ne cessa de se développer à Isparta. En 1935, Atatürk y fonda une immense fabrique avec des méthodes d’extraction à la pointe du progrès, inaugurant ainsi le destin international de la ville d’Isparta, qui fut dès lors surnommée « la contrée des roses » et une immense coopérative agricole, Gülbirlik, vit le jour en 1954. La modernisation permit aussi d’ajouter à la réalisation d’huile essentielle celle de la « concrète », en 1968. La production est aujourd’hui la première ou la deuxième du monde selon les années, avec environ une tonne et demie d’huile essentielle et sept tonnes de concrète par an, dont la ville française de Grasse importe une grande quantité. Rappelons que la confection d’un kilo d’huile essentielle exige la distillation de trois à cinq tonnes de pétales de rose. Avec le temps se sont ajoutés d’autres produits, comme les cosmétiques, les confitures, confiseries et loukoums à la rose, très prisés en Turquie mais aussi à l’étranger.

C’est entre la mi-mai et la fin juin que l’on ramasse à la main, une à une, au lever du jour, les roses d’Isparta, dont on obtient l’huile essentielle, nommée aussi « essence de rose », par distillation à la vapeur dans un alambic ; l’eau de rose correspond à l’hydrolat, sous-produit de cette opération ; quant à la concrète semi-solide dont l’extraction est réalisée par solvant, elle sert à créer « l’absolu de rose » produit phare de la fabrication des parfums de luxe. En ce moment, la récolte bat son plein. Chaque année se déroule d’ailleurs à Isparta, le Festival de la Rose, qui allie les activités de la cueillette à des manifestations artistiques. Et si vous voulez sentir le parfum enivrant de la rose d’Isparta ailleurs que dans les champs, de célèbres parfums français de Lancôme, Saint-Laurent, Guerlain, Chanel, Boucheron, s’en sont fait les ambassadeurs…

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