Cible d'une attaque terroriste mortelle en mars 2016, Istiklal n'attire plus autant les noctambules stambouliotes et les touristes européens. Conséquence de cette baisse de fréquentation : de nombreux magasins, bar et boîtes de nuit ont mis la clé sous la porte.
(photo SP)
Souffle de nostalgie dans une rue Istiklal noire de monde, le vieux tramway rouge charme tous les touristes sur son passage. Ba?ak s'amuse de deux adolescentes qui prennent une pose devant lui et d'une ribambelle d'enfants accrochés derrière le wagon. Puis, la Stambouliote de 32 ans range son téléphone. Cette photo affichée en fond d'écran a été prise il y a plus d'un an. Aujourd'hui, dans l'artère commerciale vidée de ses clients, l'absence du tramway d'époque rend Ba?ak mélancolique. Le wagon au style atypique était depuis des années l'évidence d'Istiklal, comme un nez au milieu d'une figure. "Istiklal n'a plus le même visage, regrette la professeure de sciences. Je ne reconnais plus rien."
En janvier 2017, la municipalité d'Istanbul a annoncé la fermeture pour six mois du tramway d'époque reliant le quartier de Beyo?lu à la place Taksim, dans le cadre d'une rénovation des infrastructures. L'objectif du projet est de contrer les problèmes d'inondation qui se produisent fréquemment dans les sous-sols des bâtiments. Pendant le temps des travaux et afin que les piétons et véhicules puissent circuler plus aisément, les anciens rails du tramway ont été cimentés.
Cible d'une attaque terroriste
D'ici peu, une nouvelle installation devrait être mise en place pour le grand retour du wagon d'époque. Une bien maigre consolation pour Ba?ak, qui a du mal à croire que le quartier retrouvera son atmosphère d'antan. Cela faisait des mois qu'elle n'avait pas mis les pieds ici. Elle découvre avec stupéfaction la rue encombrée de clôtures et engins de construction, mais vidée de ses touristes. Avant, la Stambouliote se rendait au moins une fois par semaine dans cette rue piétonne, enfilade de magasins, hôtels et consulats européens animée de jour comme de nuit. "On venait faire du shopping la journée et la nuit, on s'y amusait jusqu'au petit matin", se souvient-elle.
Depuis le 19 mars 2016, Istiklal n'a plus le c?ur à la fête. Ce samedi-là, un kamikaze se fait exploser dans la rue où quelques heures plus tôt seulement, les noctambules buvaient un dernier verre avant de rentrer. L'attaque a fait quatre morts, tous des touristes étrangers. Elle a été attribuée au groupe Etat islamique par les autorités turques. L'attentat du Nouvel an, qui a fait 39 morts et 70 blessés, dans la boîte de nuit Reina a donné le coup de grâce.
Rideaux de fer baissés
"Depuis, on a peur d'aller à Istiklal faire la fête. J'y suis retournée seulement une fois en un an, explique Ba?ak. D'abord, j'ai pensé que j'avais vieilli et que c'était la raison pour laquelle Taksim et ses bars ne m'attiraient plus autant qu'avant. Mais j'ai découvert les rues presque vides. Mes boites de nuit préférées avaient toutes fermé. La nouvelle génération n'y va plus non plus. Elle préfère se retrouver ailleurs, comme à Kad?köy, sur la rive asiatique."
Conséquence de cette baisse de fréquentation, de nombreux magasins, bars et clubs ont mis la clé sous la porte. Impossible de dire jusqu'à quand Görkem viendra sur Istiklal pour vendre ses simits : "Ça fait dix ans que je travaille ici, je n'avais jamais vu ça. Les grandes enseignes aussi finiront par partir, déplore-t-il. Si l'on s'y met maintenant, il faudrait au moins cinq ans pour que ça redevienne comme avant. La population qui venait sur Istiklal ne vient plus, il n'y a qu'à regarder autour?"
Görkem désigne les touristes des pays du Golfe, de plus en plus nombreux tandis que les touristes étrangers européens se font de plus en plus rares. Cette mutation ne déplait pas à tout le monde. Certaines échoppes y voient même un bon filon. Sur sa devanture, le café Fal affiche des inscriptions essentiellement rédigées en arabe. Habillé en costume ottoman traditionnel, le vendeur de glace interpelle les passants. Non loin de là, un rare groupe de musiciens -- dans cette rue qui en comptait des dizaines -- joue de la guitare. Ils sont adossés à un rideau de fer baissé.
Des photos du tramway ont remplacé le vrai le temps des travaux.
Les vendeurs ambulants n'ont pas totalement déserté la rue.
Les vendeurs ambulants n'ont pas totalement déserté la rue.
Une passante se fait photographier devant une représentation d'Atatürk.
De nombreux magasins ont fermé leur porte et les locaux cherchent désormais un repreneur.
Solène Permanne (http://lepetitjournal.com/istanbul) mardi 13 juin 2017