En Turquie, la situation humanitaire concerne pour l’essentiel, la question des réfugiés en provenance de Syrie et ce depuis la guerre civile qui sévit depuis plus de dix ans dans ce pays (3,7 millions de Syriens sur le territoire turc sur 4,1 millions de réfugiés au total). Aujourd’hui, la crise économique sans précédent et les récents séismes qui ont frappé le Sud-Est du pays, rendent les Syriens persona non grata en Turquie.
La Turquie est l'un des pays accueillant le plus de réfugiés au monde, accueil renforcé dans le cadre de l’accord migratoire signé avec l’Union Européenne en 2016. Les réfugiés syriens représentent actuellement 4,5% de la population (majoritairement basés à Istanbul et dans les villes frontalières de Kilis, Gaziantep et Reyhanlı, au sud-est de la Turquie).
Une situation précaire qui se dégrade
Le gouvernement turc a mis en place des dizaines de camps de réfugiés mais une minorité de ces derniers y vivent. La majorité vit dans des logements insalubres et dans des conditions d’hygiène souvent déplorables. Ils ne sont que peu intégrés au marché du travail et sont très peu à parler le turc. Les perspectives de retour dans leur pays d'origine dans un avenir proche sont quasi inexistantes.
Ces réfugiés disposent en Turquie d’un statut de "protection temporaire", à l’instar de ce qui se fait dans certains pays européens. Ce statut est accordé en situation d’urgence, dans le cas de vagues de réfugiés. Il n’est pas garanti par une loi, il est limité à trois ans et dépend, en dernière instance, du ministère de l’Intérieur. Les réfugiés sont donc à la merci d’un changement de politique du gouvernement, alors que ces derniers se trouvent dans une situation de précarité extrême qui explique les efforts répétés pour passer en Europe.
A cet égard, les services turcs de l’immigration ont cessé depuis septembre 2022, d’enregistrer les demandes de protection temporaire de ressortissants syriens et annoncé l’expulsion des migrants en situation irrégulière, c’est-à-dire ne disposant ni d’un statut de protection ni d’un permis de séjour.
De nombreux réfugiés ont ainsi été renvoyés dans le nord de la Syrie, alors même que la situation politique n’est pas stabilisée dans cette zone disputée entre les différents protagonistes du conflit, où les droits de l’Homme ne sont pas respectés. L’ONG Human Rights Watch (HRW) a ainsi rendu public, le 24 octobre 2022, un rapport démontrant un changement radical dans la politique migratoire du pays.
Une hostilité grandissante
La crise économique et monétaire actuelle qui pèse de plus en plus sur le quotidien des Turcs génère des tensions et une hostilité grandissante à l’égard des Syriens (travail illégal, etc.). Des émeutes ont notamment éclaté à Ankara et Istanbul au cours de l’année 2022 et le président Erdoğan, compte tenu du contexte politique, a changé de discours et pousse désormais les réfugiés à partir.
Après les séismes, les Syriens deviennent un enjeu électoral sur fond de rhétorique anti-réfugiés
Dans la zone impactée par les différents séismes, la situation sécuritaire s’est fortement dégradée et les pillages lors des opérations de sauvetage se sont multipliés. Les Syriens se sont alors retrouvés accusés de tous les maux. Aussi, trois jours après les tremblements de terre qui ont frappé la Turquie, un professeur de géophysique turc, Övgün Ahmet Ercan, a mis en garde contre un "problème de sécurité nationale" dans les villes de Kilis, Hatay, Adana, Gaziantep et Şanlıurfa, où les réfugiés sont concentrés.
Sığınmacıların yoğun olduğu Kilis, Hatay, Adana, Gaziantep, Şanlıurfa gibi kentler ile Güney Anadolu’da, Çukurova’da Ulusal Güvenlik sorunu doğmuştur. Yarısı yok olan Hatay’da Hatay dışına göçler başlayınca, Hatay, Kilis’de Suriyeliler bu kentlerin egemeni olacaktır. Ordu Göreve.
— Prof. Dr. Övgün Ahmet Ercan (@ovgunaercan) February 8, 2023
Dans ces régions où les différentes communautés coexistent depuis des siècles, les tensions sont alimentées par les politiciens en campagne. "Zafer Partisi gelecek, sığınmacılar gidecek!" "Le Parti de la victoire va arriver, les réfugiés partiront !" clame ainsi Ümit Özdağ sur sa page d’accueil twitter, président et fondateur du Zafer Partisi (parti de la victoire), parti d’extrême droite. A l’approche des élections, prévues le 14 mai prochain, les Syriens deviennent ainsi l’instrument d’arguments électoraux dans un contexte de crise majeure. Aujourd’hui, cette xénophobie prend un tournant de plus en plus agressif. Le 16 janvier dernier, Ümit Özdağ, a lancé un appel aux dons sur twitter, sur un ton sarcastique, promettant que l’argent récolté servira à payer des tickets de bus aux réfugiés syriens pour un aller simple vers Damas.
Zafer Turizm'in tek yönlü Şam seferleri için bilet satışlarımız başlamıştır. Göndermek istediğiniz ismi eft açıklamasına yazın, rezervasyonunu yapalım. ?
— Ümit Özdağ (@umitozdag) January 16, 2023
Alıcı: Zafer Partisi
Ziraat Bankası IBAN: TR23 0001 0013 9597 4886 8550 01#ümitlezaferedestek pic.twitter.com/Y0hPmKWhHD
L’ONU appelle au soutien de la communauté internationale
Dans ce contexte de fortes tensions, l'ONU a exhorté, samedi 4 mars 2023, la communauté internationale à favoriser et accélérer l'installation dans d'autres pays d'accueil des réfugiés syriens se trouvant dans les zones touchées par les différents séismes. Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, a ainsi déclaré : "afin d'aider à protéger les réfugiés les plus à risque et à atténuer les pressions sur les communautés locales qui sont elles-mêmes touchées par cette catastrophe humanitaire, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) appelle les États à accélérer les processus de réinstallation et les départs".
Dans ce contexte, l’avenir des réfugiés est très incertain. La Turquie, particulièrement dans le contexte actuel, ne peut sans doute supporter seule le poids de leur accueil. Trouver d’autres pays pour les recevoir se heurte à des difficultés de même ordre. Quant à leur retour en Syrie, alors que ce pays a sombré dans la guerre civile et a également été victime du séisme, une telle hypothèse n’apparaît pas réaliste. Il est donc à craindre que ce drame humain ne perdure, sauf mobilisation internationale d’ampleur.