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OLIVIER ROY – “Personne ne veut se débarrasser de Daech"

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 15 octobre 2015, mis à jour le 8 février 2018

A l’occasion de la sortie en édition turque de l’ouvrage " En quête de l’Orient perdu", fruit d’un entretien entre Jean-Louis Schlegel et l’historien, politologue et universitaire Olivier Roy, s’est tenue mercredi dernier, à SALT Galata, la troisième conférence du programme de la série "Kitaba Dönüşmek", "Devenir un livre". Menée par le journaliste  Ruşen Çakır, cette conférence a permis un retour sur l’expérience du politologue et le partage de sa compréhension des évènements actuels et passés dans le monde arabe, perse et musulman.

Photo NB

Le politologue considère son parcours comme marqué par une "succession d’évènements historiques". D’abord, à sa majorité, "la révolte globalisée et spontanée" de mai 68. De Paris à Istanbul en passant par Kaboul, cette révolte constitue, selon lui, un "moment inaugural dans les mobilisations politiques mondiales". Après des études de persan, il assiste à l’invasion soviétique en Afghanistan, pendant ses vacances, dans les années 80, et se rapproche de moudjahidines, qui "prennent en charge" cet étranger dans le cadre d’une société traditionnelle hospitalière. Il appréhende ensuite l’effondrement de l’URSS du point de vue afghan, où il perçoit de "l’intérieur les mobilisations islamiques". Les évènements l’emmènent en Asie centrale, puis le 11 septembre marquera le début de sa carrière de consultant politique sur le djihadisme. Ce parcours "riche" lui permet "une compréhension des formes de mobilisation politique et ce qui peut amener au djihadisme", forge "une distance par rapport à la société" et "un esprit critique" pour aborder les questions de nationalismes, d’identité et d’intégration, de fabrication de l’histoire, entre autres.

"Il n’y a pas que l’islam politique, tout n’est pas combat politique ou idéologies, il faut rétablir la complexité des choses"

Olivier Roy a abordé la notion d’islamisme, en tant que "manifestation politique transversale, supranationale", guidée par la volonté de création d’une communauté des musulmans, l’Oumma. "Le panislamisme ne fonctionne pas, la réalité est ailleurs, dans le nationalisme" affirme-t-il. L’islam politique des Frères Musulmans, de la Révolution iranienne ou même du parti Refah turc, prônant la création d’une "nation islamique" se sont heurtés, selon lui, à un "échec idéologique". "Le concept de l’islamisation des sociétés modernes est contradictoire" considère-t-il, les "Etats contrôlent d’abord la loi" et la loi islamique, la charia, ne comprend pas "le concept d’Etat". D’après lui, il existe bien un "référentiel islamique", mais plus la religion est portée sur le devant de la scène, comme l’ont fait les Frères Musulmans égyptiens, plus il y aura un effet de rejet des sociétés modernes, ce qu’a bien compris le parti Ennahda tunisien. "L'islam n'est pas un programme politique", estime l'historien.

"La fascination pour le martyre va de pair avec le nihilisme"

"Le djihadisme est une conséquence de l’échec de l’islam politique" soutient-il. Il est motivé, selon lui, par la tentation de faire "table rase du passé", pour amener à une "société pure". La recherche de la pureté amène au constat que personne ne l’est, que cette recherche est vaine et apporte des doutes sur sa propre personne. "Quand on n’est pas sûr de sa pureté, on veut mourir en martyr" explique-t-il. Olivier Roy estime que "le martyrisme, la fascination pour le martyre va de pair avec le nihilisme".

L’ambition de faire "table rase du passé" était également recherchée par les communistes en leur temps et selon l’historien, "il y a beaucoup en commun entre les manifestations de violences globales". Elles s’expriment par "le refus de la société telle qu’elle existe" affirme Olivier Roy. Ce sont des "utopies", "globales", "supranationales et internationalistes".

La guerre a "un effet d’irréversibilité" sur les sociétés

L’historien est revenu sur l’influence de la guerre dans la société afghane, passée du "cadre d’une société traditionnelle" à un environnement "bouleversé par la violence" où les "élites traditionnelles ont disparu". Selon lui, la guerre a "profondément transformé" cette société, avec "un effet d’irréversibilité". Il note que les efforts de stabilisation venus de l’extérieur ont été un échec, et estime que "la stabilisation ne peut venir que de la société elle-même". La guerre en Afghanistan n’était "pas une guerre contre les valeurs occidentales", elle était d’abord une guerre civile avec les communistes, soutenus par l’URSS, puis les Etats-Unis ont apporté leur soutien aux djihadistes et ont tenté d’apporter des "concepts abstraits" ce qui a provoqué une "réaction épidermique" de cette "société profondément conservatiste", explique-t-il. Il estime à propos du groupe terroriste Al-Qaida qu’il s’inscrit dans "la modernité", "le radicalisme djihadique n’a rien de traditionnel" ajoute-t-il.

La "question kurde" comme question "stratégique de fond" en Turquie

Le politologue considère qu’il y a actuellement une collusion entre les "évènements propres à la situation turque" et les "conséquences de la crise au Moyen-Orient", qui sont devenus "inséparables". Selon lui, le "problème majeur de la Turquie n’est pas Daech" (le groupe État islamique), étant donné qu’ils "menacent le monde". "La question stratégique de fond est la question kurde", qui vient mêler les "évènements de politique intérieure avec les évènements géostratégiques". Il estime à ce propos que les sociétés turque et kurde ont changé. Depuis les années 80 s’est produit "une homogénéisation du territoire turc". "La société turque est de plus en plus mélangée et la question kurde de moins en moins territoriale" explique Olivier Roy.

Le politologue a établi un résumé de l’état de l’islam politique en Turquie. Il ne considère pas, à cet effet, le Parti de la justice et du développement (AKP) comme "un parti islamiste". Il est "conservateur et traditionnel", il ramène "l’islam dans l’espace public", en réponse à "une violence intellectuelle du kémalisme". L’AKP opère"un retour du refoulé", affirme Oliver Roy. Il estime d’ailleurs que le "modèle sociétique" de l’AKP est "plus proche de la droite chrétienne que du chariatisme".

"Personne ne veut vraiment se libérer de Daech"

Daech présente un système "structurellement fragile", un "mélange instable" du "réseau baathiste irakien et de l’internationale djihadiste". Néanmoins, il se maintient car "personne ne veut se débarrasser de Daech" affirme l’historien. Du côté irakien, les chiites ne "veulent pas reconstituer un Irak unitaire", ils soutiennent une "logique sectaire", quant à l’Arabie Saoudite, il y a "beaucoup de liens entre le salafisme djihadiste et non-djihadiste" : "ils peuvent vivre avec l’Etat islamique (EI)" mais ne veulent pas que l’un de ses adversaires, l’Iran, prenne le pouvoir, selon le politologue. Les Kurdes "défendent leur territoire", Israël serait "satisfait" que "deux ennemis stratégiques, le Hezbollah et Assad, se battent contre l’EI". Concernant les frappes aériennes de la Russie elle ne viseraient, d'après lui, "pas l'EI, mais l'opposition". Enfin, les Etats-Unis apportent un "soutien aérien", mais soutien "à qui ?" s’interroge-t-il.

Olivier Roy estime que la radicalisation, la "néosalafisation" concerne une audience jeune en recherche d’un "univers normatif explicite", sans intérêt pour "la théologie ou la culture musulmane". Selon lui, il faut s’intéresser "aux trajectoires individuelles" et "replacer la radicalisation dans le temps et l’âge des salafistes".

Nolwenn Brossier (www.lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 16 octobre 2015

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Publié le 15 octobre 2015, mis à jour le 8 février 2018

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