Début mai 2013, la livre turque était encore stable, variant entre 2,31 et 2,35 pour un euro. A partir de la deuxième quinzaine de mai, elle a entamé une chute impressionnante, atteignant 2,7599 pour un euro le 12 novembre. Afin de mieux comprendre ce phénomène complexe, lepetitjournal.com d'Istanbul vous propose un retour sur les causes et conséquences de cette dépréciation monétaire.
Mardi noir pour la livre turque, le 27 août dernier : les médias internationaux tirent la sonnette d'alarme. Tombée à un niveau historiquement bas face au dollar, pour la première fois, la livre turque (TL) dépasse la barre des 2TL pour 1 dollar, atteignant alors 2,0095. Au même moment, un euro vaut 2,7274TL, et ce malgré les 350 millions de dollars injectés la veille par la Banque centrale turque sur les marchés, rapportait alors l'AFP. La forte dépréciation de la livre turque se poursuit et pour le moment, aucune action gouvernementale ne semble parvenir à enrayer le mouvement.
Chute des devises rime avec fuite des capitaux?
Les experts se refusent à pointer du doigt un seul et unique responsable de cette dégringolade de la livre. Pour autant, tous s'accordent à dire qu'elle est survenue après une déclaration de la FED (Réserve fédérale américaine) le 20 mai dernier, comme le rapporte le quotidien français Le Monde. Le directeur de la FED, Ben Bernanke, a annoncé ce jour-là la réduction des injections de liquidités avant un retour à la normale prévu pour 2014. Dit simplement, la FED ? qui distribuait de l'argent ?facile et bon marché? par le biais de rachat d'actifs ? a décidé de ?fermer le robinet?. Or, ces injections représentaient un puissant stimulant pour les pays émergents. La politique monétaire américaine, par une telle décision, s'est donc répercutée sur les monnaies des pays émergents tels que la Turquie.
Les investissements directs étrangers (IDE) à court terme, qui ont fait la force du pays, font depuis peu sa faiblesse. Ils permettaient à la Turquie une stimulation de sa croissance et un certain réajustement de sa balance des paiements, à tendance déficitaire. La fuite des capitaux étrangers ? conséquence de la décision de la FED ? participe fortement à la dépréciation de la livre turque. La monnaie turque a connu une chute de 10% passant de 1,80 pour 1 dollar en mai à 2,0362 en août.
Mouvement Gezi et guerre en Syrie : quel rôle dans la dépréciation monétaire turque ?
Bien que ce ne soit pas la cause principale, la dépréciation de la livre turque coïncide également avec le début des manifestations antigouvernementales du parc Gezi, tel que le souligne l'AFP. Depuis la contestation, la bourse d'Istanbul, foyer incontestable des manifestations, a enregistré des pertes de près de 15%. Pourtant, le ministre turc des Finances, Mehmet Sim?ek, avait estimé que l'économie du pays ne serait pas affectée par la contestation et que le départ des capitaux étrangers serait "limité". Quant à l'agence de notation Fitch, elle a averti Ankara sur la conséquence"de troubles sociaux prolongés, mal gérés [pouvant] dissuader le tourisme, exacerber les sorties de capital à court terme, faire monter l'inflation et endommager la croissance économique, créant potentiellement un risque pour la note souveraine de la Turquie".
Pour Fatih Keresteci, stratège à la banque HSBC, la probabilité d'une intervention militaire occidentale en Syrie à la fin de l'été a accentué la dépréciation de la livre turque, rapporte le quotidien turc anglophone Today's Zaman.
La Banque centrale turque multiplie les renflouements : en vain ?
Fin août, Erdem Ba?ç?, gouverneur de la Banque centrale turque, se voulait pourtant rassurant sur le cours de la livre turque, certain de sa remontée d'ici fin 2013. A moins d'un mois et demi de la fin de l'année, le cours continue pourtant sa chute.
La Banque centrale de Turquie a certes décidé de défendre sa monnaie. Pour ce faire, elle injecte depuis cet été d'énormes sommes d'argent dans les marchés financiers turcs, soit plus de huit milliards de dollars, dans le but de soutenir la monnaie locale. En plus de la vente de devises, elle a augmenté le taux des prêts de 7,25% à 7,75%.
Les taux d'intérêts, eux, ne seront pas touchés par la Banque centrale afin de rester attractifs pour les investisseurs, a affirmé Erdem Ba?ç?. De l'avis de l'expert Gökçe Çelik, de Finansbank, "éliminer complètement l'option d'une augmentation des taux et compter principalement sur la vente de devises est une stratégie fragile dans un contexte d'ajustement vers le haut des taux d'intérêts mondiaux".
Quelles conséquences ? Pour qui ?
Au long terme, la baisse de la livre turque risque d'engendrer une augmentation des prix des produits importés, signant ainsi le retour de l'inflation endémique en Turquie ainsi qu'une perte considérable du pouvoir d'achat des Turcs à l'étranger.
Mais quelques-uns ? minoritaires toutefois ? trouvent leur bonheur dans la situation délicate de la monnaie turque. Pour Les étudiants Erasmus, par exemple, plus la livre turque chute, plus leur loyer et autres paiements baissent. Une somme fixe en livre turque voit en effet son équivalence en euro varier selon son cours. Par exemple, 50 livres turques équivalaient à 18,78 euros le 14 octobre mais à seulement 18,31 euros le 18 novembre. Encore faut-il s'improviser trader et savoir quand retirer son argent?
Laura Lavenne (http://lepetitjournal.com/Istanbul) mardi 19 novembre 2013