

Désireux de découvrir une nouvelle culture, de nombreux étudiants décident de faire leur échange Erasmus en Turquie. Il y a quelques mois, nous vous présentions quelques étudiants français* et francophones** en échange Erasmus. Mais qu’en est-il de ces étudiants franco-turcs ou belgo-turcs qui profitent de cette année Erasmus pour vivre un an dans ce pays qu’ils connaissent sans jamais y avoir réellement vécu. Du rêve d’enfance au projet professionnel, rencontre avec quelques étudiants d’origine turque qui ont choisi de passer leur Erasmus à Istanbul.

Lepetitjournal.com d’Istanbul : Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre cursus Erasmus ?
Je suis né dans la proche banlieue de Paris, ma mère est turque et mon père français. J'ai donc les deux nationalités, et j’essaye de faire en sorte de maîtriser les deux langues. Autour de mes 10 ans, j’ai passé deux années merveilleuses à Istanbul, mais j’ai grandi et étudié essentiellement à Paris où j’ai eu mon Bac. Apres le Bac, j'ai commencé une bi-licence d’Histoire-Sciences politiques à Paris 1, mais je l’ai arrêtée après trois ans pour faire une licence de Sociologie dans le sud de la France à Aix-en-Provence. Avec l’université d’Aix-en-Provence, j’ai eu l’occasion de faire un échange Erasmus pendant un an, à l’Université de Galatasaray d’Istanbul, en 2013-2014. Mes cours étaient essentiellement en français, même si j'ai aussi choisi des cours et options en turc, car je voulais développer ma pratique du turc dans le cadre scolaire.
Pourquoi avez-vous choisi de faire votre échange Erasmus en Turquie ?
La culture turque, je l’ai autour de moi depuis tout petit. Déjà, tous les étés, j’allais voir ma famille en Turquie. Je l’ai eue en France aussi, à la maison, puisque mon père avait appris la langue et que l'air de rien, nous recevions beaucoup d'amis ou de famille de Turquie, ou plus généralement des Turcs de France, qui passaient chez nous. Pour moi, revenir en Turquie après la licence correspondait à mon envie de ne pas oublier que ce pays était également le mien, surtout dans cette période où il connaît d'importantes transformations sociales, politiques et économiques. En fait, je ne voulais pas me réveiller un matin et me dire que je ne le reconnaissais plus. Je ne voulais pas non plus qu’il se fasse sans ses exilés et émigrés, sans les gens comme moi qui portent également une partie de son histoire. Comme avec la France, je me sens depuis toujours engagé, au sens citoyen comme existentiel, au destin collectif de ce pays, donc la décision de venir m'y installer n'a même pas été tellement réfléchie, pour moi, elle allait de soi. Je voulais avant tout partir en Turquie après la licence, c'était prévu depuis des années. Le programme Erasmus a simplement apporté à ce projet un peu flou une base, un cadre matériel idéal.
Est-ce que vous vous sentiez comme tous les étudiants Erasmus ou y a-t-il un décalage entre vous ?
Je dirais un peu des deux. Je fréquente la même université, les mêmes amphis, souvent les mêmes soirées qu'une partie d'entre eux donc en cela j'en fais plus ou moins partie. Comme eux, je ne suis pas un Turc de Galatasaray : je n’ai pas le même parcours scolaire, je n’ai pas eu à passer les sélections et je n’ai pas eu la même adolescence. Mon parcours est donc plus proche de celui d'un Erasmus lambda. Par contre, évidemment, il y a un immense décalage avec les autres Erasmus puisque contrairement à eux, je ne découvre pas un nouveau pays. Je sais que pour moi, Istanbul ne sera pas un “CDD”, mais sans doute un des lieux où grandiront mes enfants. Mon rapport aux lieux, à la langue, à la société turque n'est donc pas vraiment le même.
Qu’est-ce que votre échange Erasmus vous a appris sur la Turquie ?
J'ai appris pas mal de choses, comme me rendre à IGDAS pour ouvrir une ligne de gaz, négocier le prix du plombier ou me balader dans certains quartiers que je ne connaissais pas encore. De manière générale, j’ai appris à mieux connaître la ville, et j’ai pu voir à quel point nous vivons une période cruciale de l'histoire du pays. Tout change très vite.
Est-ce pour vous la possibilité de “tester” la vie en Turquie pour savoir si vous voulez venir vous y installer ?
Oui, et c'est exactement ce qu'il s'est passé. Même si j'ai dû retourner en France quelques mois cette année, j'ai sous-loué mon appartement, et ces mois en France sont donc provisoires pour moi. Je sais que cette ville, quelles que soient les évolutions qu'elle connaît et connaîtra, bonnes ou mauvaises, sera toujours un lieu où j'aimerai venir vivre et où je serai chez moi.

Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre cursus Erasmus ?
J’ai 22 ans, je suis né à Colmar en Alsace. Je suis français d’origine turque. J’ai étudié dans un collège et un lycée privé à Colmar. Puis j’ai commencé une licence AES (Administration économie et sociale) à l’université de Haute-Alsace à Mulhouse, je suis actuellement dans ma dernière année de licence et je la passe donc en Turquie avec le programme Erasmus. Depuis septembre 2014, je suis en Turquie à l’université de Marmara en Administration publique pour mes études. Les cours sont en français, ça me permet d’avoir un peu plus de facilités.
Pourquoi avez-vous choisi de faire votre échange Erasmus en Turquie ?
Bien sûr, je connaissais déjà la culture, mais peut-être pas assez parce que je vis cette culture en France et seulement quand je suis avec ma famille ou avec les personne de cette même culture. Depuis à peu près 10 ans, j’ai l’habitude de passer mes vacances en Turquie, à Kayseri, avec mes parents donc j’ai effectivement pu pratiquer la langue pendant tout ces étés mais pas forcément la culture. Quand nous passons les vacances ici, nous sommes souvent avec des personnes de ma famille, qui viennent majoritairement de l’Europe aussi, donc on n’est pas complètement en immersion culturelle. Le fait d’être venu ici pour un an m’a permis et me permet de vivre vraiment cette culture dans toutes ses facettes. Pour l’instant, je n’ai fait que 6 mois environ, mais ça m’a vraiment permis d’apprendre beaucoup sur cette culture, sur ce pays magnifique et ces gens qui y sont si chaleureux.
Est-ce que vous vous sentez comme tous les étudiants Erasmus ou y a-t-il un décalage entre vous ?
En fait je suis un peu entre les deux : je me sens comme un étudiant Erasmus parce qu’au sein de l’université, j’ai la souplesse et la facilité d’un étudiant Erasmus et d’un autre côté, je me sens en décalage par rapport au programme Erasmus : j’ai pu m’immerger au sein de groupes turcs comme je maîtrise la langue et plus ou moins la culture.
Est-ce pour vous la possibilité de “tester” la vie en Turquie pour savoir si vous voulez venir vous y installer ?
Après ma licence, j’ai le projet de faire un master soit en France, soit au Canada, pour finir mes études. Ensuite, j’ai le projet de revenir en Turquie pour faire ma vie ici : je veux vraiment vivre au sein de ma culture pendant le reste de ma vie mais aussi parce qu’ici, il y a beaucoup d’opportunités à saisir dans le milieu professionnel et on a la possibilité d’y faire une très bonne carrière.
Emine Yoğurtçu, 23 ans, troisième année de Sciences politiques, en échange Erasmus à l’université de Galatasaray.
Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre cursus Erasmus ?
Je suis en troisième année de Sciences politiques, j’ai 23 ans, je viens de Bruxelles en Belgique. Je suis en échange Erasmus à Galatasaray. J’ai pris un cours en turc au premier semestre et j’ai réussi, heureusement !
Pourquoi avez-vous choisi de faire votre échange Erasmus en Turquie ?
Bien que je sois belge, je suis quand même une enfant d’immigrés et j’ai toujours ressenti un manque. Même si le but de l’Erasmus est de rencontrer de nouvelles cultures et que tous les étés je suis en Turquie, je voulais voir ce que c’était vraiment. Pour moi, c’est un retour aux sources, pour savoir réellement comment ça se passe. Tout le monde sait que la Turquie est très politisée, et je pensais que le fait de vivre cette expérience allait m’apporter quelque chose de plus.
Est-ce que vous vous sentez comme tous les étudiants Erasmus ou y a-t-il un décalage entre vous ?
Je pense que c’est pareil partout : les Erasmus restent entre Erasmus. Même si on parle la langue et même si c’est ton pays, on arrive en troisième année et tout le monde se connaît déjà, c’est difficile de se faire une place dans les groupes qui sont déjà faits.
Qu’est-ce que votre échange Erasmus vous a appris sur la Turquie ?
D’abord, on ne peut pas réduire la Turquie à Istanbul, c’est une ville cosmopolite et stressée. On vient tous d’autres villes, par exemple Fadilla est de l’Est, Harun est du Sud-Est, et moi de l’Ouest (Izmir). La Turquie est tellement grande, vaste, on est tellement différent que j’ai appris beaucoup de choses en discutant avec eux. On a appris plus entre nous qu’avec les gens d’Istanbul.
Est-ce pour vous la possibilité de “tester” la vie en Turquie pour savoir si vous voulez venir vous y installer ?
Je suis catégorique : je n’ai pas envie de rester, en tout cas pas à Istanbul. Peut-être du côté d’Izmir comme c’est plus calme. Même si je parle turc couramment et que je me sens chez moi, la vie à Istanbul ne me plaît pas. La sérénité de la Belgique me manque, je me sens mieux en Belgique, dans mon quotidien, chez moi, qu’ici. Si j’ai le choix plus tard, professionnellement parlant, je préférerais rester en Belgique. En Belgique, on donne plus de valeur à la personne qu’en Turquie. En Turquie, les horaires sont beaucoup moins clairs, moins surveillés. Il ne faut pas oublier que l’on est chanceux, que l’on fait partie des gens qui maîtrisent deux langues, qu’on a côtoyé plein de nationalités différentes depuis notre enfance. J’aimerais que ma famille, mes enfants voient autre chose plutôt que de rester entre Turcs en Turquie. Si aujourd’hui j’ai la chance d’être en Erasmus à Galatasaray, c’est bien grâce à la Belgique.
Fadilla, 21 ans, troisième année de droit, en échange Erasmus à l’université de Galatasaray.
Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre cursus à Istanbul ?
Je suis d’origine turque, enfin plutôt d’origine kurde, je vis en Bretagne, j’ai 21 ans et je suis en troisième année de droit. Je suis Erasmus à l’université de Galatasaray, à Istanbul. Mes cours sont en français, j’ai testé les cours en anglais mais j’ai abandonné. Je voulais prendre des cours en turc mais j’ai eu peur des partiels pour ces cours, j’avais peur de ne pas être capable de suivre malgré le fait que je parle turc.
Pourquoi avez-vous choisi de faire votre échange Erasmus en Turquie ?
Galatasaray, c’est la fac dont on entend parler depuis que l’on est petit. Tous les étés, quand j’arrive en Turquie en voiture, et que l’on passe sur le pont à Istanbul, on voit la fac de Galatasaray. Pour moi, c’était vraiment un rêve d’enfance. A côté de ça, on a l’avantage de parler turc, je suis d’ailleurs venue pour l’améliorer, et j’ai un projet professionnel qui est orienté vers les affaires en Turquie. La Turquie est un pays qui évolue très vite et je pense qu’elle peut nous offrir des opportunités pour plus tard et ce serait bête de passer à côté. Enfin, comme Emine, c’est un retour aux sources qui est vraiment important pour moi. Voir comment voir la vie se passe ici...
Est-ce que vous vous sentez comme tous les étudiants Erasmus ou y a-t-il un décalage entre vous ?
Je me sens totalement Erasmus. C’est un rythme de vie différent. Par exemple, ma colocataire est turque, elle travaille énormément, comme nous aurions travaillé en France, alors que nous, nous nous retrouvons tout le temps. On sort, on mange dehors, on fait la fête, etc. En France, on n’est pas beaucoup avec les Erasmus non plus.
Qu’est-ce que votre échange Erasmus vous a appris sur la Turquie ?
J’ai pu améliorer mon turc. Je me suis aussi vraiment aperçue qu’il y a un vrai décalage entre les Turcs de France et les Turcs de Turquie. Les Turcs de Turquie sont beaucoup plus “évolués” que la diaspora turque en Europe à l’heure actuelle. En fait, ils sont partis il y a 20 ans, 30 ans, 50 ans et c’est, je pense, une immigration qui est partie avec la mentalité de cette époque, et en voulant préserver la culture, ils n’ont pas évolué en même temps que la Turquie. Grâce à l’Erasmus, j’ai également pu échanger avec Emine qui est de Belgique, et d’une grande ville [Bruxelles], et en parlant avec elle, je me suis aperçue qu’en France, on a beaucoup de choses à faire pour faire évoluer les choses, notamment du point de vue de l’associatif. J’avais déjà un projet associatif pour la France, pour les jeunes filles franco-turques, pour les pousser à aller à l’école et leur montrer un autre exemple de vie. En Bretagne, je me sens seule dans mon parcours scolaire. Une fille qui va à l’école et à l’université, qui porte encore des jeans, ce n’est pas toujours bien vu.
Est-ce pour vous la possibilité de “tester” la vie en Turquie pour savoir si vous voulez venir vous y installer ?
Je ne savais pas où je voulais vivre. Je disais tout le temps que j’étais plus heureuse en Turquie mais c’est facile d’être heureuse quand on ne vient qu’en vacances. J’en parlais souvent avec mon père, je me sentais plus épanouie ici. Au final, maintenant que je suis en stage et à l’université, je me rends compte que si je m’installe en Turquie, ce ne sera pas à Istanbul. Le rythme de vie ne me convient pas. Je ne me vois pas fonder un foyer ici. Pour le moment, je suis plus dans l’optique de rentrer en France, finir mes études là-bas et après, pourquoi pas travailler avec des entreprises dans le droit des affaires en relation avec la Turquie. Ce n’est pas encore très clair, mais en tout cas ce n’est pas pour revenir tout de suite.

Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre cursus à Istanbul?
J’ai 22 ans, je viens d’Orléans, et je suis en troisième année de droit. Je devais être à Istanbul pour six mois mais j’ai décidé de prolonger mon Erasmus pour le second semestre. Je suis en Erasmus à Galatasaray. Au premier semestre j’ai pris des cours en français, un cours en turc et un cours en anglais. Ce semestre, je n’ai pris que des cours en français. Les cours en turc et en anglais ont été trop difficiles.
Pourquoi avez-vous choisi de faire votre échange Erasmus en Turquie ?
J’ai d’abord été pris à Birmingham en Angleterre parce que j’avais une très bonne moyenne en anglais sauf que cette moyenne ne reflétait pas la réalité. J’ai donc décidé d’aller en Turquie parce que malgré le fait que je sois franco-turc, je n’étais jamais allé à Istanbul. L’anglais est important mais finalement je n’avais jamais vécu un an en Turquie et pour moi c’était l’occasion de voir la vie au quotidien, au-delà des deux mois de vacances que l’on a l’habitude d’avoir. Ensuite, cet Erasmus s’inscrit dans un projet professionnel. Je fais du droit et je souhaite faire un master Droit des affaires et travailler dans des entreprises qui ont un rapport avec la Turquie. Quand on a étudié à Galatasaray, ça signifie que l’on fait partie de la future “élite turque” et je me suis dit “pourquoi pas venir plus tard m’installer en Turquie ?”
Est-ce que vous vous sentez comme tous les étudiants Erasmus ou y a-t-il un décalage entre vous ?
On se sent vraiment Erasmus, on ne s’intègre pas avec les Turcs de Galatasaray. J’ai plus de points communs avec les Erasmus : nous sommes “étrangers”, nous n’avons pas nos familles ici, nous devons chercher un appartement, bref, nous faisons face aux mêmes difficultés.
Qu’est-ce que votre échange Erasmus vous a appris sur la Turquie ?
Pour ma part, je savais déjà qu’il y avait un décalage entre les Franco-Turcs et les Turcs. La plupart des gens qui ont immigré viennent d’un milieu rural ou de l’Est de la Turquie. Il ne fallait pas se perdre dans la culture française et ils se sont rattachés à la culture turque et à la religion. Maintenant, c’est à nous, la nouvelle génération, de faire évoluer les choses.
Est-ce pour vous la possibilité de “tester” la vie en Turquie pour savoir si vous voulez venir vous y installer ?
Cet été, avant de commencer mon Erasmus, j’ai fait un stage au ministère des Affaires de l’Union européenne et j’ai compris la grande différence entre la productivité turque et la productivité française. Ici, tu peux prendre de longues pauses, on ne viendra pas t’embêter, à l’inverse, tu travailleras plus longtemps. Moi, c’est un rythme qui me convient, donc je me vois bien venir travailler ici. A salaire égal, je préfèrerais vivre en Turquie qu’en France mais je ne me vois pas y avoir une vie familiale, à moins d’avoir un niveau de vie assez élevé. Par contre, je veux terminer mes études en France et y avoir une première expérience professionnelle parce que le travail est plus encadré. Après, je pense que petit à petit, le rythme professionnel turc va se rapprocher de celui que l’on connaît en France. La Turquie ne se développe que depuis 15-20 ans.
Propos recueillis par Dorine Goth (www.lepetitjournal.com/istanbul) lundi 16 mars 2015
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