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CARNET – 48 heures dans un camp non-gouvernemental de réfugiés syriens à Adana

Un tout jeune refugie syrienUn tout jeune refugie syrien
Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 30 mars 2015, mis à jour le 8 février 2018

Vendredi 20 mars 2015, 16 heures à l'aéroport Atatürk d'Istanbul. Deux femmes chiropracteurs volontaires installées dans la mégalopole s'apprêtent à passer un week-end pas comme les autres auprès de réfugiés syriens basés dans un camp non-gouvernemental à Adana.

Aurélie Belsot, chiropracteur et depuis un an et demi, présidente de l'Association des Chiropracteurs de Turquie comptant une dizaine de membres, estime “normal”, quand on est dans la profession médicale, de soigner les autres. Ce n'est pas tant le fait de se rendre la première fois dans un camp de réfugiés qu'elle appréhende le plus, mais plutôt l'organisation sur place et comment communiquer avec les malades. Pour Fatima Karagöz, également chiropracteur et travaillant avec Aurélie, c'est aussi une première expérience auprès des réfugiés. A ses yeux, aider l'autre, celui dans le besoin, est un devoir.

Ces deux femmes peuvent, à travers la chiropractie, soulager et réduire la douleur des corps meurtris par un vécu chaotique. Comment ne pas avoir mal au dos en portant enfants et sacs pesant de nombreux kilos, durant des jours de voyage longs et difficiles, souvent à pied, pour fuir un pays en guerre ?

Une fois arrivées à Adana, les deux chiropracteurs rencontrent Hüseyin Ocak, pasteur de l'église protestante Kurtuluş. Celui-ci œuvre depuis novembre 2013 en faveur des réfugiés. Il commence d’abord seul, en collectant vêtements et vivres dans son quartier. Il y a huit mois, lors d'une réunion de différents responsables religieux du Sud-Est, le pasteur émet le souhait de travailler ensemble en faveur de ces réfugiés, recevant alors plusieurs appuis et aides financières. Il fait aussi connaissance avec Dan et Janet, un couple d'Américains établis sur place depuis une quinzaine d'années qui, eux aussi, travaillent depuis longtemps pour améliorer le quotidien de ces personnes. Ils unissent alors leur action.

L’installation, les premiers patients

Ce camp sauvage situé dans le quartier du 19 Mai a vu arriver les premiers réfugiés il y a trois ans. Ils se sont installés de façon anarchique sur des terrains situés à proximité des demeures de ce quartier essentiellement habité par une population kurde. Aujourd'hui plus, de 530 tentes abritent environ 2.150 personnes dont 600 enfants et une centaine de bébés.

Près de 400 familles habitant dans ce même secteur – elles sont composées en moyenne de huit à neuf personnes, soit une population d'environ 3.500 personnes - ont trouvé refuge, qui dans des dépôts ou immeubles abandonnés, qui dans des vieux magasins.

Samedi matin 9 heures 30, dans l'avenue de la Sérénité – au nom plein d'espoir – un dépôt a été loué une dizaine de jours auparavant par Hüseyin Ocak pour entreposer et redistribuer les dons qui ont commencé à affluer d'Istanbul mais aussi de Bursa et de la région de Kocaeli suite au lancement d'une campagne d'aide initiée à Istanbul par quelques personnes de bonne volonté. C'est là qu'Aurélie et Fatima installent leurs tables  de travail au milieu des matelas, de colis comportant couches et lait en poudre pour bébés, des cartons de vêtements, de linge de maison et de lits, de jouets, de produits de soin, d'hygiène, de puériculture et de médicaments.

Les premiers réfugiés prévenus de leur arrivée s'installent à l'extérieur et attendent patiemment leur tour. Se trouvent là des femmes au dos courbé par le poids des souffrances et la charge quotidienne de s'occuper de leurs enfants et de leur offrir un minimum de nourriture et d'attention. Il y a aussi des bébés et des petits aux pathologies sérieuses, qui nécessiteraient des prises en charge lourdes. Parmi eux, une petite d'un an et demi dont la tête ne tient pas droite seule, une fillette de trois ans, sourde et muette, au sourire ravageur qui ne laisse pas indifférent. Un bébé fête le lendemain sa première année de vie mais, pour l'heure, il doit être amené aux urgences en raison d'une inflammation d'un testicule ayant fait tripler ce dernier de volume. Il devra être opéré sous peu dès que le problème administratif lié à un permis de résidence établi à Urfa, ne permettant l'accès aux soins gratuits que dans cette province-là, aura été réglé... Une simplification de la procédure, si les réfugiés déclarés sont amenés à changer de région au sein de la Turquie, éviterait tracas, fatigue supplémentaire et déplacements longs, fatigants et coûteux.

Des histoires qui se ressemblent

Les hommes aussi ont leur compte de soucis de santé entre problèmes respiratoires, dos cassés et moral dans les chaussettes pour certains. La journée se passe sans encombres grâce à la présence de Şemsettin, le “chef” des réfugiés venus de Kobané et de Cemo, qui habite le quartier et travaille aux côté du pasteur. Tous deux assurent le filtrage et l'entrée des malades dans le dépôt. Janet, l'Américaine, assiste les chiropracteurs et Habeş, un jeune Syrien, sert de traducteur, rôle de première importance.

Les histoires de ces réfugiés se ressemblent beaucoup. Şhadi, 23 ans, agriculteur et conducteur de machines agricoles, est venu clandestinement d'un village situé près de Hamah avec ses parents et ses sept frères et sœurs dans l'espoir, déçu pour le moment, de trouver du travail à Adana. Sali*, 25 ans, originaire de Damas, vit depuis avril 2013 en Turquie. Il a fait le voyage sans famille mais accompagné d'autres Syriens, marchant et courant durant trois jours, affrontant mille dangers sur sa route. Professeur d'anglais durant quatre ans en Syrie, il travaille à présent dans un magasin de vente de métal et de bois pour le bâtiment et vit dans une maison du quartier avec son épouse syrienne et pédiatre.

Dimanche matin, après avoir été conduites au dépôt, Aurélie et Fatima reçoivent encore de nombreuses visites de réfugiés au regard parfois souriant, parfois rempli d'espoir, parfois vide... Yeter, une amie de Janet, est aujourd'hui de service pour traduire.

Une nouvelle urgence est diagnostiquée : le petit Mohamed, âgé de cinq mois souffre d'une bronchiolite et peine à respirer. Des soins hospitaliers urgents sont nécessaires et il faut se rendre sans délai avec Dilyar, jeune Syrien de 20 ans de Kobané assurant la traduction, à l'hôpital Numune, où officient ce week-end les pédiatres de garde. Mustafa, 27 ans, le père du bébé, est arrivé il y a 10 jours d'Alep avec son épouse Nebibe, avec qui il s'est marié un an et sept mois plus tôt. Artisan carreleur en Syrie, la guerre l'a mené au chômage voilà quatre mois et il est sans argent. Nebibe, quant à elle, a dû renoncer à poursuivre ses études pour devenir institutrice. Ils ont fait le voyage à pied durant près de trois jours avec 35 autres réfugiés dans l'espoir de démarrer une nouvelle vie en Turquie suite à la rencontre d'un homme qui leur a promis du travail. Ce dernier les a accompagnés jusqu'à Kilis avant de tous les abandonner à leur triste sort...

Cartes d'identité et chiropracteurs

Les parents du petit Mohamed n'ont que leur carte d'identité syrienne. Le fait de ne pas encore disposer de permis de résidence en tant “qu'invités syriens”, comme les deux millions de leurs compatriotes vivant en Turquie, n'est pas un obstacle pour bénéficier de soins gratuits. Leur bébé est pris en charge et soigné de façon immédiate et efficace dans cet hôpital flambant neuf d'Adana, où les urgences se bousculent et où le personnel médical réalise un travail remarquable.

Au milieu des tentes, où se rendent les deux chiropracteurs volontaires, se trouve Najib, arrivé trois jours auparavant de Hassaké avec sa femme et quatre de ses cinq enfants âgés de 6, 7, 9 et 11 ans, celui de 8 ans étant resté en Syrie avec son oncle. La principale préoccupation de cet homme est de recevoir une tente, commandée le lendemain par Hüseyin et Cemo, pour ne pas continuer à s'entasser dans celle d'un membre de leur famille où ils ont trouvé refuge à leur arrivée. Eux aussi ont fait une bonne partie du chemin à pied, sont entrés sur le territoire turc en tant que clandestins et ont poursuivi leur périple en voiture.

Dans un des secteurs du camp demeurent des habitants de Kobané, où ils travaillaient presque tous la terre. Vingt-huit tentes abritent chacune entre huit et dix familles, 180 personnes en totalité, tous Kurdes. Les premiers sont arrivés il y a deux ans, Şemsettin, le “chef” il y a un an, d'autres depuis des durées variant entre trois mois et un an.

L'an passé, un Turc d'Izmir est venu leur proposer un emploi dans les champs. Dilyar, le fils de Şemsettin, ne l'a pas cru au départ et lui a demandé de leur avancer de l'argent pour se rendre sur place, somme qu'ils lui rendront après avoir travaillé. C'est ainsi que plus d'une vingtaine de réfugiés de Kobané sont allés à Izmir en 2014 durant quatre-cinq mois pour œuvrer dans les champs de tomates et s'occuper des vignes en étant hébergés sur place. Cette année encore, 20 à 25 personnes sont retournées le 25 mars à Izmir pour quelques mois avant de revenir à Adana pour exécuter des travaux dans les plantations de mandarines.

“Je suis prête à retourner à Adana”

Pour Aurélie Belsot, “le bilan du week-end est plutôt positif, avec 90 personnes ajustées et deux urgences détectées à temps. Il aurait était possible de faire mieux si un médecin avait pu être du voyage. Peut-être la prochaine fois” espère-t-elle.

Cette jeune femme vive et pleine d'humour précise : “Partir là-bas signifie aller vers les autres, de culture et à l'histoire ô combien différentes de la mienne. Le chamboulement intérieur ne s'est pas fait attendre. S'occuper des plus démunis m'a permis de remettre mes valeurs de thérapeute en avant. Je reviens changée de ce week-end et je l'espère en bien. Je suis prête à retourner à Adana.”

Pour Fatima, “le week-end était fatiguant mais en même temps, c'était super d’être là-bas et de soigner des réfugiés. Le cadre est atroce, les réfugiés vivent dans des conditions et un environnement inhumains. J’étais très énervée face à la situation de ces gens qui subissent un combat inhumain. Personne ne dit rien, la vie humaine est-elle si ordinaire, a-t-elle si peu de prix ? Il me faudra du temps pour repartir car je suis démoralisée et cela m’a affectée au niveau émotionnel. Dans un mois, ce sera possible mais pour le moment, c'est trop tôt.”

Deux jours après ce week-end auprès des réfugiés syriens, les tentes des personnes originaires de Kobané ont été attaquées le soir par un groupe de personnes se déclarant de l'Etat Islamique. Ceux-ci ont lacéré leurs habitations de fortune au couteau, bousculé les femmes et créé un climat de peur et une forme de seconde guerre pour ces familles. Cette attaque contre ceux qui vivent déjà dans des conditions précaires une vie que personne n'a souhaité a laissé des traces. Ceux devant partir pour Izmir ont eu de la chance dans leur malheur, d'autres, assez nombreux, ont trouvé le lendemain du travail dans des champs à Mersin et Tarsus mais 35 personnes (cinq familles) sont restées sans toit, une fois encore. Et là encore, l'aide d'urgence est nécessaire pour les reloger au mieux.

Une mobilisation importante

La mobilisation et l'aide ont été importantes en faveur des réfugiés syriens d'Adana, tant de la part des communautés d'expatriés en Turquie telles Istanbul Accueil ou l'Alliance Française, des membres de la paroisse Saint-Louis des Français, des communautés des Sœurs de la Charité de l'Hôpital de la Paix et des Sœurs de Saint-Georges, de la Fondation Catholique Géorgienne d'Istanbul, l'hôpital Çapa, d'un pédiatre de la région de Kocaeli, entre autres. Plusieurs entreprises françaises implantées en Turquie telle Orientrans, qui a pris en charge le transport de 70 m3 de dons une semaine auparavant, ont apporté leur aide. L'agence de voyages Koptur a réglé un billet d'avion pour une des soignantes, la société de transports Özcemay d'Antioche a payé la note d'hébergement, des particuliers français et turcs mais aussi suisse ainsi que de jeunes aumôniers français à l'occasion du carême, ont participé, de différentes façons à la campagne d'aide.

Cette dernière se poursuit tant les besoins sont énormes. Outre l'aide alimentaire, les produits de première nécessité pour bébés, enfants et adultes, les besoins en soins sont primordiaux, notamment pour endiguer la vague dépressive qui sévit au sein de cette population où beaucoup ont perdu toute énergie et goût de la vie. Pour le pasteur Ocak, la venue de psychologues et  psychiatres, tant pour enfants que pour adultes, est un souhait prioritaire. Soigner le corps comme le font Aurélie et Fatima et soigner l'âme vont souvent de pair.

Plusieurs projets d'amélioration du cadre de vie de ces réfugiés en matière d'hygiène et de réalisations, leur permettant de commencer à subvenir eux-mêmes à certains de leurs besoins, sont à l'étude suite à ce premier voyage. Il devrait faire l'objet d'un nouveau déplacement prévu durant la seconde quinzaine du mois d'avril.

Porfolio Réfugiés syriens

Texte et photos © Nathalie Ritzmann (www.lepetitjournal.com/istanbul) mardi 31 mars 2015

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* Prénom changé pour les besoins de l'article                                          

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Publié le 30 mars 2015, mis à jour le 8 février 2018

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