

Lorsqu'elles parviennent à entrer sur le marché du travail, les femmes turques doivent faire face, entre autres, à l'inégalité des salaires et à un manque de représentation dans les postes de direction. Un mal contre lequel espère luter le nouveau programme de l’Agence française de développement, en partenariat avec la banque turque TSKB.
A travail égal, les femmes turques sont payées 20% de moins que les hommes. Ainsi, selon les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), comparativement à leurs collègues masculins, les Turques arrêtent d’être payées à 13h37 sur une journée de travail de huit heures. Pour lutter contre les inégalités entre hommes et femmes au travail, l’Agence française de développement (AFD) et la banque turque TSKB ont mis en place un programme commun de crédit : "Nous soutiendrons le financement des entreprises inscrites dans une démarche d’amélioration des conditions de santé et de sécurité au travail ou de soutien à l’employabilité des femmes en Turquie", a expliqué Bertrand Willocquet, président de l’AFD, lors du lancement officiel du projet, hier, au Palais de France d’Istanbul.
"Ce programme est le fruit de trois ans de réflexion menée sur les inégalités hommes-femmes, en partenariat avec TSKB et grâce à une collaboration étroite avec le Consulat général de France. C’est la première fois que nous concrétisons un projet dans ce domaine en Turquie", pays hôte du tout premier sommet Women 20 -organisé à Istanbul en octobre 2015- pour appeler les dirigeants du G20 à en faire plus pour l’égalité des genres et l’autonomisation économique des femmes. "L’amélioration de l’emploi des femmes et des conditions de sécurité et santé au travail est un impératif absolu dans un pays comme la Turquie, une économie émergente qui espère être parmi les dix premières économies mondiales d’ici 2023", ajoute Aurélien Maillet, consul général adjoint.

A l’heure actuelle, officiellement, seules 32% des femmes turques travaillent contre 71% des hommes. Un taux d’emploi des femmes parmi les plus bas des pays de l’OCDE, et très loin de la moyenne (60%). En cause notamment, "le manque de flexibilité du travail, c'est-à-dire qu’il y a très peu de mi-temps proposés aux femmes, et le manque de garderies", explique Sanem Oktar, présidente de l'Association des femmes entrepreneures de Turquie (KAGİDER). Les mères aussi le disent. D’après une enquête de la Fondation pour l’éducation mère-enfant (Açev, 2010), 44% des femmes turques qui ont quitté leur emploi à la naissance d’un enfant mettent d’abord en avant les problèmes de crèche. Certes, la Turquie fait des efforts. Ces prochains jours, le gouvernement commencera à verser 425 livres turques par mois aux grands-mères qui gardent leurs petits-enfants pendant que leur mère part au travail.
La société patriarcale en toile de fond
Chercheuse à l’université de Sabancı, Melsa Ararat note que "les femmes actives occupent surtout des postes de comptabilité ou de ménage. Si l’on cherche pourquoi, on se rend compte que ça a aussi un lien avec le fait que les femmes en Turquie occupent très peu de places prédominantes dans les structures de pouvoir." Et parce qu’elles occupent peu de place à haute responsabilité dans les entreprises. Dans les sociétés turques cotées en bourse, seules 14,2% des femmes occupent des postes de direction contre 85,8% des hommes. "Il faut parvenir à restructurer la présence des femmes dans une entreprise par le haut, poursuit Sanem Oktar. Il faut d’abord que les femmes occupent des postes de direction pour que toute la structure de l’entreprise soit modifiée. Cela n’est pas seulement bénéfique pour les femmes, c’est aussi profitable pour les entreprises. Il n’y a qu’à regarder les taux d’emploi des femmes parmi les 100 meilleures sociétés du monde."
Mais le marché du travail souffre toujours de l’organisation traditionnellement patriarcale de la société turque. "Les femmes passent 4h35 par jour pour les tâches ménagères et l’éducation des enfants, contre 53 minutes pour les hommes", fait remarquer Melsa Ararat. Le 24 novembre 2014, lors d’un sommet sur la justice et les femmes, le président Recep Tayyip Erdoğan définissait d'ailleurs le rôle de la femme ainsi : "Une place pour les femmes dans notre société : la maternité", ajoutant que l’égalité homme-femme était "contre la nature humaine". Et la langue turque parle d’elle-même, selon la présidente de Kagider : "Le sexisme est présent dans de nombreuses expressions. On dit par exemple ‘fais-le comme un homme’ pour désigner un travail qui doit être bien fait. La langue doit évoluer, l’égalité commence par là."
44% des Turques travaillent au noir
Des statistiques montrent aussi les relations entre le statut familial de la femme, son niveau d’éducation, et sa place sur le marché du travail. Ainsi, 82% des femmes non mariées qui ont fait des études universitaires travaillent, un chiffre qui tombe à 18% parmi les femmes mariées qui n’ont pas dépassé l’école primaire. "L’université a des responsabilités, confirme Melsa Ararat. Notre premier rôle est de sensibiliser les étudiants sur l’égalité des sexes, notamment à travers différentes formations. Dans le monde du travail, il faut aussi encourager la parole des femmes, beaucoup d’entres elles souffrent de violence verbale, physique ou à caractère sexuel mais ne savent pas à qui en parler."
Accès difficile au marché légal du travail, inégalités au sein de l’entreprise… Autant d’obstacles qui pousseraient 44% des Turques à travailler au noir, contre 28% des hommes. Ces travailleuses de l’ombre renoncent ainsi à leur sécurité sociale et acceptent parfois des conditions de travail déplorables. Pour lutter contre cela, Konca Çalkıvik, secrétaire générale de SKD (Association pour le monde du travail et le développement durable), prône le partage des idées : "Des entreprises prennent désormais différentes initiatives pour l’amélioration de l’emploi de la femme, et nous devons faire en sorte que ces exemples soient beaucoup plus répandus pour permettre à de nouvelles sociétés de se lancer dans ce sens. Les quotas et la discrimination positive peuvent être des techniques pour atteindre un objectif d’égalité."
Solène Permanne (http://lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 17 février 2017











































