Édition internationale

Raj de Condappa et la création des librairies Kailash (part 3)

Issu du milieu francophone d’une certaine époque, Raj de Condappa est très connu à Pondichéry pour la maison d’édition qu’il a créé et la seule librairie française orientaliste jamais ouverte : Kailash. Il a accepté de nous raconter son parcours, de son enfance à Saigon à la création de la librairie Kalash (part 3)

Screenshot 2025-05-31 204002Screenshot 2025-05-31 204002
Écrit par Anaïs Pourtau
Publié le 31 mai 2025, mis à jour le 9 juillet 2025

Raj de Condappa passe son enfance au Vietnam avant de revenir à Pondichéry avec sa famille. Hors de contrôle, sa grand-mère l'envoie alors en France où il trouve sa voie à la Bibliothèque Nationale de France.

Pour lire les précédents articles :

 

L’éditeur et libraire Raj de Condappa : l'enfance vietnamienne d'un pondichérien

 

Raj de Condappa : un rebel voyou en pleine ascension intellectuelle (part 2)

 

 

Raj de Condappa trouve sa place en travaillant à la Bibliothèque nationale de France. Il utilise son temps à la BnF pour développer aussi ses connaissances en littérature et rencontrer les grands intellectuels de l'époque. Avec le temps; il se rapproche aussi de son identité indienne et s'inscrit à l'INALCO pour développer ses connaissances sur la civilisation indienne.

 

 

L’expérience népalaise

 

« J’étais à Paris depuis huit ans, lorsqu’un des copains, que j’ai connu à la BnF, a été nommé conseiller culturel à Katmandou au Népal en 1978. Il me propose de venir avec lui et je dis oui.

Je cherchais qui j’étais, je venais de l’Inde, pas vraiment français, pas vraiment vietnamien, alors pourquoi pas le Népal ?

Sa femme et lui partent pour Katmandou, elle y enseigne de langue française tandis qu' il prend un poste de bibliothécaire, à la bibliothèque du centre culturel français. Au bout de trois mois, il avait fini de répertorier tous les livres et s’ennuyait. L’ambassadeur apprend qu'il souhaite partir et lui conseille de faire attention : en plus de ses cheveux un peu trop longs, il est surveillé par les autorités parce que "sans arrêt fourré avec les communistes népalais". Il explique alors que c’est par pur intérêt intellectuel.

Raj aiguise sa conscience politique à une période où les interrelations entre la Chine, le Tibet, l’Inde et le Népal sont très sensibles. Il repart en France.

 

Naissance des librairies Kailash

Le mont Kailash du sanskrit "Kailāsa" ou  montagne blanche, culmine à 6638 mètres d’altitude et fait partie de la chaîne Gang dise ou trans-himalaya.

 

By Jean-Marie Hullot - Own work, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=61367205
Crédit photo Jean-Marie Hullot - Own work, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=61367205

 

Située à l’ouest de la région autonome du Tibet, la montagne est sacrée dans quatre religions. Son sommet est considéré comme la demeure de Shiva par les hindous. Selon les Jaïns, c’est ici que le premier maître du jaïnisme a atteint le Moksha, l’illumination. Pour les bouddhistes tibétains elle est la demeure de Shenrezig, le bodhisattva de la compassion et pour le culte bön, pré-Bouddhisme chamanique, elle est le symbole de l’âme.

 

 En 1978, je suis rentré dans une agence de voyage avant-gardiste, Delta Voyages, qui proposait des voyages différents. J’y suis resté dix ans. Elle était située en face de la Sorbonne, sur la place Paul Painlevé en face de Maspero où j’achetais des bouquins.

 

Il est chargé d’organiser des voyages et des trekkings pour les touristes au Népal, dans le nord de l’Inde, au Ladakh et au Sikkim, alors qu'il ne connait rien de ces régions.

Il avait déjà ouvert en 1983, une petite librairie à Paris : Kailash fenêtre sur l’Asie. Son but est de faire connaître en France des livres en anglais sur le Népal et le Tibet. Il y vend également des ouvrages en français sur l’Asie en général.

En 1986, l’argent qu'il gagne en tant que guide accompagnateur pour Delta Voyages lui permet d’ouvrir à Katmandou une librairie française orientaliste:  Kailash. Un jeune népalais s’en occupe lorsqu'il se trouve en trekking. Sa femme Jacqueline est très inquiète et craint le dépôt de bilan.

 

J’ai voulu spécialiser la librairie avec des livres en langue française sur des pays comme le Tibet, la Birmanie, le Népal, un peu l’Inde, des régions où le bouddhisme est présent. J’avais constaté que les gens qui voyageaient ne connaissaient rien du Népal.

 

La librairie marche très bien, elle est très connue et devient un lieu de rencontre pour des chercheurs du CNRS.

 

Je suis devenu le  "fou accompagnateur du livre français en Inde".

 

Retour à Pondichéry et création d’une maison d’édition franco-Pondicherienne.

En 1986 il ouvre une librairie Kailash à Pondichéry.

Les autorités népalaises commençaient à créer des problèmes parce qu'il importait directement les livres de France dans sa librairie et souhaite lui imposer de faire passer les livres par l’Inde, ce qu'il refuse en prétextant que le Népal se doit de rester indépendant de l’Inde sur le plan économique.

Inconsciemment en revenant en Inde, il retourne aux sources.

 

À Pondichéry il y a eu une présence française durant trois siècles, sans qu’il y ait de librairie française, ça m’a poussé à y ouvrir une librairie française. Le lycée français, l’École française d’Extrême-Orient, l’Institut français, y trouvaient un véritable intérêt.

 

"Nous proposons des ouvrages littéraires, et des livres de fond sur les différentes cultures de l’Asie. Ce qui m’intéresse c’est ce regard des auteurs français d’une certaine époque."

En 1991, avec sa seconde épouse Elisabeth, ils créent Kailash Éditions. Alors que les grandes maisons d’édition ne peuvent se permettre d’éditer à moins de 1000 exemplaires, ils peuvent en publier moins. Ils choisissent donc d'éditer des livres en français d’écrivains spécialistes de l’Asie.

 

Nous n’avons pas un regard commercial sur les livres que nous publions, c’est le contenu culturel et historique qui nous intéresse. Nous avons des universitaires, des historiens, qui relisent gracieusement les manuscrits, nous n’avons pas beaucoup d’argent. Le travail d’édition est fait en Inde, le texte est imprimé sur du beau papier fait à partir de matières recyclées et nous faisons sérigraphier nos couvertures colorées et élégantes. Chaque livre est un bel objet.

 

Elizabeth De Condappa, co-créatrice de Kailash Edition
Elizabeth De Condappa, co-créatrice de Kailash Edition. (Sous réserve de droit)

 

Kailash publiait alors un livre par an contre un tous les trois ans aujourd'hui.

Début des années 1990, Raj est invité au Vietnam, à Hanoï, lors d’un événement sur la francophonie. En s’associant à un ami vietnamien, il ouvre à Hanoï une autre librairie Kailash. Il y vend des livres en français et de littérature française pour 1 dollar. Des livres français d’auteurs comme Zola ou Hugo étaient alors photocopiés et vendus 5 dollars. Ce prix excessif excluait une grande part de lecteurs potentiels. La librairie a tenu trois ans, mais a dû finalement fermer. Les autorités pensaient que Raj était un espion de la France. Pour achever cette librairie en 1997, elle fut entièrement dévalisée les obligeant définitivement à fermer.

Plus tard, c'est au tour de la librairie Kailash de Pondichéry de fermer ses portes. L’Inde a beaucoup changé.

 

"Je ne veux plus venir toutes les six semaines en Asie. L’Asie change. Les livres que nous publions ne représentent plus l’Asie d’aujourd’hui. Les gens ne lisent plus sur les pays qu’ils visitent. "

 

La suite de l’aventure…

Elisabeth de Condappa et Raj de Condappa continuent l’aventure franco indienne de l’édition Kailash, ils ont quitté Paris et ont récemment ouvert une librairie Kailash à Sète, dans l’Hérault.

 

Raj de Condappa

 

Raj dit qu’il aime les livres, qu'il ne peut pas vivre sans...

Aujourd’hui les éditions Kailash ont 250 titres à leur catalogue, dont :

« Le Roi Lépreux » de Pierre Benoît

« Histoire de l’Inde » de Jacques Dupuis

« Inde sans les Anglais » de Pierre Loti

« Cambodge, année zéro » de François Ponchaud

« L’affaire du manuscrit tibétain (Mystère et boule d’opium) » de Bernard Grandjean

« Le gangster de Gangtok » de Satyajit Ray

Et ce dont Raj de Condappa est le plus fier, c’est d’avoir réédité un texte important de Sylvain Lévi (1863-1935), indologue français :

 « Étude historique d’un royaume hindou : le Népal ».

 

Ra

 

Pour découvrir le parcours de Raj de ses propres mots, vous pouvez écouter ce podcast de Radio France ou regarder cette émission de E-postrophe.

 
 
Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.

Sujets du moment

Flash infos