Édition internationale

L’éditeur et libraire Raj de Condappa : l'enfance vietnamienne d'un pondichérien

Issu du milieu francophone d’une certaine époque, Raj de Condappa est très connu à Pondichéry pour la maison d’édition qu’il a créé et la seule librairie française orientaliste jamais ouverte : Kailash. Il a accepté de nous raconter son parcours, de son enfance à Saigon à la création de la librairie Kalash.

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Écrit par Anaïs Pourtau
Publié le 31 mai 2025, mis à jour le 18 juin 2025

 

Raj est à la fois témoin et acteur d’une autre époque. À l’écouter, il semble que le monde était alors plus vaste.

Bien que le temps soit passé, il reste cependant ce jeune « voyou insolent » comme il aime à le dire, absolu certainement, généreux probablement, au verbe percutant. Il a choisi dans sa prime enfance les rues de Saïgon et plus tard la Bibliothèque nationale de France comme écoles de la vie, faisant de la langue et de la littérature françaises son royaume.

 

Naître à Pondichéry et grandir à Saïgon

Pour Raj et sa famille, tout commence en 1880, lorsque son ancêtre est parti de l’Andhra Pradesh pour Pondichéry.

Il parle français et autour de 1890, prend le bateau pour l’Indochine, en tant que fonctionnaire de l’État français. Il était de la caste Kshatriya, soit la deuxième caste hindoue la plus élevée.

Le grand-père de Raj naît au Vietnam et y fait ses études universitaires, qu’il complète ensuite en France pour devenir avocat et s’établir à Saïgon.

La famille vit à Saigon (Hô Chi Minh-Ville depuis 1975) dans un quartier aisé. Le grand-père est un homme riche et considéré. Il donne beaucoup d’argent pour faire construire un temple hindou pour les Tamouls, dans le quartier chinois Cho Lon.

Le père de Raj naît aussi au Vietnam, mais revient en Inde en 1945 pour se marier avec une jeune femme choisie par sa famille. C"est ainsi que Raj de Condappa naît dans le comptoir français de Pondichéry.

Lorsque son père décide que sa famille doit reprendre le bateau pour le Vietnam, nous sommes en 1954, il a quatre ans.

 

Saigon in 1950s
Saigon dans les années 1950. Crédit photo : Flickr TommyJapan1

 

À l’école de la rue

Raj raconte son enfance vietnamienne, comme une période de grande liberté durant laquelle il semble avoir poussé comme une herbe folle.

 

« Mon père parlait un peu français, il parlait vietnamien et un peu Tamoul, ma mère télougou et tamoul. »

 

Il dit de son père qu’il était absent de l’éducation de ses enfants, lui-même dernier de la fratrie n’en ayant pas vraiment reçu. Il faisait des affaires, jouissant et tentant de faire fructifier, avec plus ou moins de bonheur, les biens familiaux dont il était héritier. Il fut finalement trahi et ruiné par l’avocat français qui gérait ses biens mobiliers.

Le jugement de Raj vis-à-vis de son père est sans équivoque :

 

« Mon père était un illettré, un idiot. ».

 

Alors qu’il a douze ans, sa mère, qui pourtant vient d’un village et n’a probablement pas bénéficié d'une éducation poussée, l’inscrit chez les Frères, dans une école catholique située face à la Cathédrale Notre Dame de Saïgon.

 

Raj

 

Raj n’aime pas l’école et ne voit pas la nécessité d’y aller, lui qui a l’habitude de vivre dehors et de se débrouiller. Voici comment il raconte cette période : 

Dans cette école, un Frère m’a fait asseoir sur le banc et m’a tapé la tête avec un bâton, ce qui m’a percé un tympan et rendu sourd d’une oreille. J’ai eu très mal.

 

J’étais un voyou mais je me suis retenu de le taper en retour.

 

J’ai décidé de ne plus aller à l’école. Je donnais l’argent que je prenais dans le coffre de mon père à un curé pour acheter son silence et pouvoir rentrer dans l’école par la porte principale, et aussitôt en ressortir par la petite. Ensuite, j’allais voler ce que je revendais au marché aux puces : des poules, des canards, des poussins. Je fréquentais des voyous qui avaient entre 25 et 30 ans, et étaient recherchés par la police américaine. Je leur vendais les plans des maisons du quartier chic où nous habitions, sans omettre d’indiquer où trouver le coffre-fort et ils allaient les cambrioler. En échange, ils me donnaient de l’argent pour aller à la piscine, aller chez les prostituées ou jouer au baby-foot.

C'est alors qu'en 1968, à cause de la guerre entre les Américains et les forces communistes du Nord Vietnam qui s’intensifient à Saigon (l’offensive du Têt), la France nous rapatrie à Pondichéry.

Une autre vie débute pour lui...donc nous vous raconterons la suite dans un prochain article.

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