En Inde, la défécation en plein air demeure une pratique courante et peut entraîner des décès accidentels. Ce problème touche particulièrement les populations rurales, les femmes et les travailleurs de la construction, souvent privés de sanitaires adéquats. Lancée en 2014, la mission Swachh Bharat vise à éradiquer cette pratique par la construction de toilettes et la sensibilisation à l’hygiène. Depuis, des projets innovants voient le jour pour tenter de proposer des solutions pérennes à ce problème.


En Inde, les dangers de la défécation en plein air : une cause méconnue de décès accidentels
En 2021, dans l’État du Telangana, un conducteur de moissonneuse-batteuse et ses deux collègues ont été emportés par les eaux d’un canal d’irrigation alors qu’ils étaient partis répondre à « l’appel de Dieu ». C’est une expression euphémique pour dire qu’ils allaient déféquer en plein air quand ils ont été surpris par le courant.
Malheureusement, en Inde, on peut encore mourir dans des situations aussi banales. Si la défécation en plein air constitue un enjeu majeur de santé publique, elle est aussi une cause de mortalité accidentelle dans les zones rurales.
La mort en Inde : des causes évitables ? - Partie 1
Mon amie Erika, qui a obtenu cette année son doctorat sur les défis liés aux menstruations pour les femmes indiennes, a, dans le cadre de ses recherches, étudié l’accès aux toilettes dans tout le pays. Dans sa thèse, elle explique notamment que, par crainte des animaux de toutes sortes, les femmes et les jeunes filles évitent de déféquer dehors la nuit, ce qui met en danger leur santé.
La Journée mondiale des toilettes
D’après les données publiées par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), en 2022, seulement 57% de la population mondiale avait accès à des services d’assainissement gérés en toute sécurité. Le reste ne dispose toujours pas de services de base, comme des toilettes privées ou des latrines.
Depuis 2014, sous l’égide des Nations Unies, la Journée mondiale des toilettes est célébrée le 19 novembre pour encourager la sensibilisation autour de la problématique des services d’assainissement et promouvoir des actions visant les 3,5 milliards de personnes qui n’y ont pas accès.

ONU : Singapour fait inscrire le 19 Novembre Journée Mondiale des Toilettes
En Europe, déféquer à l’air libre n’est plus un problème de santé publique depuis longtemps. L’invention des toilettes a été l’une des grandes avancées de l’humanité, réduisant considérablement les maladies et les accidents. En France, uriner en public est même une infraction. La loi interdit d’uriner sur la voie publique, y compris derrière un arbre ! L’article R632-1 du code pénal, modifié par le décret n° 2010-671 du 18 juin 2010 – art.4, prévoit une contravention de 2e classe pour ce type d’infraction. En Inde, en revanche, voir des hommes uriner contre un mur ou derrière un arbre reste monnaie courante, aussi bien en ville qu’à la campagne.
Qu’en est-il des travailleurs sans domicile en Inde ?
Depuis notre installation en Inde, je ne compte plus les chantiers de construction autour de chez nous, constat qui n’a pas manqué de susciter chez moi une interrogation : Où logent les ouvriers du bâtiment ? C’est en visitant l’atelier de l’artiste Martand Khosla, à Delhi, que j’ai compris.
Martand Khosla a d’abord précisé que la plupart de ses œuvres s’appuie sur son expérience d’architecte. En connaisseur du secteur de la construction, il m’a expliqué que la majorité des ouvriers vivent sur les chantiers pendant les travaux. Sachant qu’environ 30 à 50 millions de travailleurs quittent chaque année les zones rurales pour travailler en ville, l’enjeu est de taille.
Dans les villes, le sort de ces travailleurs, qui vivent sur les chantiers évidemment non équipés de services d’assainissement et qui par conséquent défèquent à l’air libre, est largement ignoré. Qui n’a pas vu ces ouvriers, bouteille d’eau à la main, se diriger vers une friche ou une plage ?
Le statut Open Defecation Free (ODF)
Je suis une inconditionnelle de la série Panchayat, qui aborde avec justesse les problématiques du quotidien dans l’Inde rurale, loin du mode de vie urbain. L’épisode 3 de la saison 1 montre la visite d’un vice-ministre du gouvernement régional dans le village de Phulera pour vérifier son statut ODF (Open Defecation Free, ou sans défécation en plein air). Perdre ce statut était impensable pour les villageois, qui se battaient pour le préserver.

Ceci étant, mettre fin à la défécation en plein air ne se limite pas à construire des toilettes : c’est aussi une question d’éducation, comme la série l’illustre très bien.
Mais qu’est-ce que Swachh Bharat, ou Clean India Mission ?
Le programme Swachh Bharat Abhiyan ou Clean India Mission
Changer les comportements sur le long terme et faire face à l’urgence
Lorsque j’ai entendu parler pour la première fois de Swachh Bharat (« Inde propre »), je pensais qu’il s’agissait simplement d’un programme de gestion des déchets urbains, dont les villes, même les plus grandes, ont grandement besoin. En réalité, le programme vise certes à changer les comportements en matière de gestion des déchets, mais il a surtout pour ambition d’éradiquer à court terme la défécation à l’air libre.
En zone urbaine, le programme met l’accent sur la gestion des déchets solides, la construction de toilettes publiques et la sensibilisation à l’importance de l’hygiène et de la propreté. Il cherche aussi à instaurer des systèmes de collecte et de traitement des déchets pour limiter le recours aux décharges.

La construction de toilettes
Lancé en 2014 par le Premier ministre Narendra Modi, ce programme a enregistré de nombreux succès. En 2019, à la fin de la première phase, plus de cent millions de toilettes avaient été construites en zone rurale et des milliers de villages étaient enfin déclarés exempts de défécation en plein air.
Mais les défis restent nombreux. L’entretien et le maintien des installations sanitaires en est l’un des principaux. Par exemple, dans l’État d’Orissa, un couple de personnes âgées a transformé les toilettes publiques de leur village en habitation, tout en continuant à déféquer dehors.

La comédie dramatique bollywoodienne Toilet : Ek Prem Katha (2017) utilise l’humour pour aborder le sujet et souligner son importance. Selon la Banque mondiale, à l’époque du film, environ 30 % des ruraux pratiquaient encore la défécation en plein air. Même si ce chiffre a baissé, le problème reste grave et largement sous-estimé dans de nombreuses zones rurales.
Des projets innovants
Pour répondre à ce problème sanitaire, de nombreuses solutions ont été mises en avant. Celles qui m’ont le plus marquée sont celles qui conjuguent avec originalité esthétique, durabilité et fonctionnalité.
Le studio Mad(E) in Mumbai (MiM) a proposé un projet particulièrement intéressant. Bien que leur compte Instagram n’ait pas été mis à jour depuis 2022, les architectes continuent de partager leur travail sur leurs comptes personnels.
Le Manifeste des toilettes publié par MiM en 2018 et les photos des projets proposés laissent entrevoir la possibilité de concilier design, durabilité, facilité d’entretien, accessibilité financière et recyclage. Le manifeste met en avant 25 recommandations et appelle les pouvoirs publics à prendre en compte les besoins réels et les contraintes, allant de l’inclusivité à la ventilation, en passant par l’éclairage naturel, la capacité en eau, la lutte contre la stigmatisation et l’accessibilité.
Le Festival des Toilettes à Chennai
Pour celles et ceux qui vivent à Chennai et qui s’intéressent à ce sujet, le Festival international des toilettes, qui sera organisé en juin 2025 par la municipalité en collaboration avec le projet WASHlab, sera l’occasion d’en apprendre plus. Il proposera des promenades inédites autour du thème des toilettes. Les visites guidées aborderont des sujets comme le vandalisme, la saleté et la honte associée aux sanitaires publics.
Peu d’informations sont disponibles à ce jour. Mais un appel à candidatures a été publié sur le compte LinkedIn de Studio Recycle Bin, l’un des organisateurs. Des étudiants et professionnels des secteurs du droit, de l’architecture, de la sociologie notamment sont invités à participer au projet.
Le programme inclura des tables rondes, des conférences ToiletX (inspirées de TEDx), des projections gratuites de films sur les services d’assainissement, des visites guidées des toilettes publiques de la ville ainsi qu’une campagne en ligne invitant les citadins à signaler les lieux de défécation en plein air.

C’est l’occasion de découvrir notre ville, et la vie de nos voisins, autrement !
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