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Les Franco-indiens en Métropole, le choc des cultures

Famille indienne en FranceFamille indienne en France
famille de francoise avant de quitter l'inde pour découvrir la France
Écrit par lepetitjournal.com de Chennai
Publié le 7 juillet 2020, mis à jour le 19 décembre 2023

Quand on dit Inde, on pense à Pondichéry, ancien comptoir français. Mais que sait-on de cette communauté franco-indienne ? Pourquoi ont-ils décidé de garder la nationalité française même après l’indépendance ? Pourquoi sont-ils venus travailler et vivre en France ? Comment ont-ils vécu leur intégration en France dans les années 80 ?

 

Des Comptoirs Français à la République de l’Inde

Commençons par un peu d’histoire pour placer le sujet dans son contexte. Pendant la grosse conquête de colonisation des pays, la France a eu une petite part de l’Inde grâce à cinq établissements qu’elle a gouvernés de 1671 à 1954. Le plus connu des comptoirs français est Pondichéry mais il en existe quatre autres : Chandernagor, Mahé, Karikal et Yanaon. Après plusieurs siècles de colonisation, la France décide de rendre l’indépendance à ses comptoirs. Selon le traité de cession signé le 18 mai 1956 et ratifié le 27 juillet 1962, suite à l’indépendance des comptoirs, “tous les nationaux français nés sur le territoire des établissements français qui seront domiciliés sur le territoire de l’union indienne à la date de l’entrée en vigueur du traité deviendront des citoyens indiens”. Cependant, le traité laisse tout de même la possibilité aux ressortissants des établissements français le droit d’opter pour la nationalité française dans une durée de six mois suivant le traité ; il fallait se recenser auprès du consulat de France pour garder la nationalité française avec une perspective éventuelle de s'expatrier dans ce pays inconnu. En fait proposer la nationalité française était un moyen de pérenniser la présence française en Inde. Les démarches étaient longues, et il fallait fournir des documents difficiles à se procurer comme l'acte de naissance du grand-père. Beaucoup n'ont même pas tenté car opter pour la nationalité française signifiait et signifie toujours renoncer à la nationalité indienne (la double nationalité n'étant pas possible). De plus, ils pensaient qu'en faisant ce choix, ils se devaient de quitter leur pays d'origine pour aller vivre en France. La communication de l'époque n'était pas très claire et les enjeux encore moins.

 

pondichéry histoire consulat france
Consulat Général Français à Pondichéry en 1950 

 

Aujourd’hui, les tamouls indiens qui vivent en France sont pour la plupart originaires des deux anciens comptoirs français que sont Pondichéry et Karikal. Les premières vagues de migrants arrivent en France en 1956 suite au traité de cession des comptoirs français. En 1962, on recense 7106 familles (incluant les 5 comptoirs) déclarant vouloir rester français. Parmi eux, des jeunes hommes de bonne famille s’engagent dans l’armée française ou accèdent à des postes de fonctionnaires et partent en métropole. Ils reviennent après plusieurs années pour mener une vie confortable grâce à leur retraite dans leur pays de naissance. Pour cette première génération d'immigrés, il y a un réel décalage entre l'identité nationale et le sentiment d'identité nationale : C'est à dire que le fait d'avoir les papiers français ne fait pas d'eux des français car ils se considèrent avant tout indiens ; leur sentiment d’appartenance est lié au pays d'origine et non au pays d'accueil. De plus, l’absence de repères à l'arrivée en France conduit nécessairement l'indien à recréer des liens similaires à ce qu'il avait dans son pays d'origine. Si au démarrage, son réseau social n'est constitué que de personnes de même origine que lui, la diversification relationnelle se fera au fil des années...

Si en occident, l'individu existe selon les normes d'autonomie et d'indépendance, en Inde c'est tout l'inverse. La famille est omniprésente et joue un rôle essentiel chez l'indien. En arrivant en France, ils perdent la notion de groupe, le schéma familial change. Chacun vit chez soi, parents, comme frères et sœurs. L’intégration a été plus ou moins longue selon les familles, et (nous allons le voir au travers des témoignages qui suivent) difficile plus particulièrement pour les femmes : Si les maris travaillaient, parlaient la langue, les épouses, elles, restaient à la maison, avec leurs enfants. 

 

Ils nous racontent

Pourquoi ont-ils gardé la nationalité française ? Qu’est-ce qui les a motivés à aller travailler en métropole ? A quel âge sont-ils arrivés en France ? En termes d’intégration, est-ce que cela a été difficile ? Aujourd’hui, se sentent-ils plus français ou indien ?

Lakshmi, 55 ans, mère au foyer Après mon mariage, je suis arrivée en France. Mes deux grands frères étaient déjà installés donc ça m'a beaucoup aidé moralement, je me sentais moins seule. Ce qui était difficile c'est que je ne pouvais pas communiquer aussi facilement qu'aujourd'hui avec mes parents. Au début des années 80, les familles ayant un téléphone au domicile étaient encore rares, il fallait appeler chez le petit épicier du coin de la rue ou chez une famille déjà équipée. Donc, j'envoyais des lettres à mes parents, quand j'étais enceinte de mon premier enfant, je ne pouvais pas demander de conseils à ma maman. Nous avions demandé une liste de prénoms indiens pour notre premier enfant, le temps que le courrier nous revienne, notre fille était née. Mon père est décédé en 1984, et nous avons été informés via télégramme. J'ai dû envoyer une lettre à mon grand frère, militaire en mission au Tchad, pour lui annoncer la nouvelle. Dans ces moments difficiles, on se sent seul, loin de la famille. Il y avait déjà pas mal de personnes de ma communauté, mais je ne côtoyais que nos amis d'enfance et la famille. L'intégration a été difficile à cause de la barrière de la langue et l'éducation reçue. Nous sommes venus en France pour offrir une meilleure vie à nos enfants, donc j'étais concentrée dessus. J'ai voulu apporter à mes enfants ce que la culture indienne ne nous inculque pas, je voulais qu'ils soient ouverts, indépendants, autonomes. En Inde, il y a énormément de codes, on fait ce que nous disent nos aînés sans se poser de questions, en France, nous étions dans un pays avec une liberté d'expression que l'on ne connaissait pas. Mais je pense qu'inconsciemment on continuait de faire comme nos parents faisaient de peur de les décevoir, même loin nous voulions qu'ils soient fiers de nous. Et pour les satisfaire, nous devions continuer de pratiquer notre religion, nos rites, inculquer les mêmes valeurs ancestrales de nos familles à nos enfants, continuer à vivre comme en Inde mais en France. Mais avec le temps, je me rends compte que je ne suis plus complètement indienne. Je me suis intégrée avec et pour mes enfants. Si j'avais voulu garder mes enfants complètement dans la culture indienne, il aurait fallu que je leur explique, que je les accompagne dans la découverte des us et coutumes indiens. Aujourd'hui, ils font par mimétisme pour nous faire plaisir et non parce qu'ils comprennent et savent. Ayant passé la plus grande partie de ma vie en France, mes enfants étant ici, je ne pourrai plus vivre en Inde comme avant ; même si mes meilleurs souvenirs de l'Inde sont ceux de mon enfance.

 

Raj, 63 ans, retraité de l'Assistance Publique "A 18 ans, nous devions tous nous faire recenser auprès du consulat de France, effectuer la visite médicale et se préparer à quitter le pays. Je suis arrivé en France en 1976 en m'engageant pour une durée de 5 ans dans l'armée. L'armée ce n'était pas pour moi, beaucoup trop de contraintes surtout quand on n'est pas assez gradé, alors j'ai décidé de rompre le contrat et quitter la caserne. J'ai ensuite été hébergé dans un foyer pour jeunes travailleurs en attendant de retrouver un emploi et prendre mon appartement. J'ai rapidement obtenu un emploi à l'assistance publique, j'ai gravi les échelons en passant des concours. J'étais fonctionnaire et à l'époque ça avait son importance, qui dit fonctionnaire dit sécurité de l'emploi. Lors des mariages arrangés, les fonctionnaires étaient privilégiés par rapport à ceux qui travaillent dans le privé. Au début c'était un peu difficile pour moi car je comprenais très bien le français mais je ne le parlais pas assez bien. J'ai étudié en anglais et j'ai appris le français à l'alliance française. Mais bon, avec de la pratique, je me suis vite habitué. Quand j'ai commencé à travailler, j'ai eu à faire à des propos racistes comme "pourquoi tu es venu chez nous ? Pour manger notre pain ?" Ils disaient parfois " hé l'hindou", mais je leur répondais "un dur", j'ironisais leurs propos, je pense qu'il faut avoir un fort caractère sinon ils font tout pour vous écraser. Bien sûr, tout le monde n'était pas comme ça, globalement ça se passait très bien. Je n'ai jamais porté d'importance sur le regard des gens, de leurs jugements que ce soit la communauté française ou indienne car j'ai toujours fait ce que je pense juste. J'ai toujours été libre, que ce soit en Inde ou en France. C'est toujours ce que j'ai dit à mes enfants, fais ce qui te plait à toi, pas pour faire plaisir aux autres. Aucun problème d'intégration, je pense que c'est plus facile pour les hommes que les femmes. "

 

M. Christian, 77 ans, retraité militaire de carrière, “En Inde, il y a toujours eu deux catégories de gens, les riches et les pauvres ; les riches s’enrichissaient et les pauvres ne pouvaient évoluer. Il y avait une sorte de ségrégation non-dite. Mes parents m’ont toujours dit que si j'allais vivre en France, je serai heureux. Être français était une sorte de réussite. Mais moi, je ne voulais pas y aller pour autant. Ma mère me faisait du chantage émotionnel pour que je parte vivre en France. A mes 18 ans, le consulat m’a demandé d’effectuer mon service militaire. Le cabinet militaire de Pondichéry nous faisait passer la visite médicale pour valider si nous étions aptes ou pas. Dès l’accord du médecin, on prenait le train de Pondy jusqu’à Bombay, puis le bateau jusqu’à Marseille, le voyage durait 14 jours. Arrivé là-bas, l’armée venait nous chercher. Nous étions alors 3 Pondichériens. Je parlais le français mais pas l’argot. Le commandant m’a demandé d’aller dans ma piaule mais je ne connaissais pas ce terme.  Je n’avais pas compris ce qu’il me disait. Au fur et à mesure, je me suis adapté au langage mais j’ai été confronté au racisme et j’étais maltraité par mes supérieurs. Parfois, ils me demandaient de garder leurs enfants lorsqu’ils avaient besoin de sortir. L’esprit colonialiste était encore bien ancré. Je n’étais pas prêt à tout pour évoluer, j’étais payé par l’armée française pour effectuer des tâches précises pas pour faire du baby-sitting. Je n’ai pas eu de problèmes d’adaptation au sein de la communauté française, et le regard des indiens sur ma façon de vivre ne m’a jamais dérangé que ce soit en Inde ou en France, car nous sommes tous maîtres de nos vies, nous devons faire les choix en accord avec notre conscience”

 

M. Françoise, 65 ans, interprète retraitée, nous dévoile ses débuts en France. “Etre Français, est un héritage laissé par nos ancêtres, un choix qu’ils ont fait certainement parce que d'un côté ils ont toujours travaillé pour le gouvernement français et de l’autre ils voulaient une vie meilleure pour leurs enfants même s’ils ne savaient pas vraiment ce que la nationalité pouvait leur apporter. Etre français c’était comme un statut social, les familles françaises ne se mariaient qu’entre elles. Mon père militaire de carrière était déjà en France avec ma mère, qui a eu du mal à s'intégrer à cause du climat. D'ailleurs, elle a été hospitalisée et après 15 ans de service, mes parents ont décidé de rentrer au pays. Nous sommes la deuxième génération à avoir étudié au lycée français de Pondichéry.  A l’époque, les parents préféraient marier leurs filles à des Français militaires plutôt qu’à des français médecins ou encore ingénieurs dits civils ; un militaire était fonctionnaire, s’il lui arrivait quelque chose pendant sa carrière, leur fille était protégée, elle pouvait percevoir une pension ce qui n’était pas le cas avec des Français exerçant dans le privé. Comme la grosse majorité des jeunes filles françaises, je suis issue d’un mariage arrangé par mes parents, et j’ai quitté mon pays natal et surtout mes sept frères et sœurs pour suivre mon mari en France, que je ne connaissais pas. C'était très dur pour moi, j’avais tout laissé derrière moi, ma famille, mes repères, mes habitudes. J’étais triste, angoissée, j’avais peur, mais surtout je me sentais orpheline. J’étais tellement timide que je n’osais même pas aller vers les gens. Les Franco-français étaient très conviviaux, souriants, ils venaient prendre des photos avec moi, admiratifs de ma longue chevelure et de mes tenues traditionnelles ou peut-être parce qu’ils n’avaient jamais vu d’Indienne. Au début, j’ai beaucoup voyagé donc il n’y avait pas beaucoup de place pour l’intégration et l’adaptation. Je suis allée en Martinique, je ne connaissais pas ce pays, je pensais que c’étaient des pygmées, je ne comprenais pas la différence entre l’Afrique et la Martinique. Tout était pareil pour moi, je n’étais jamais sortie de l’Inde et personne ne nous apprend tout ça en Inde. A une fille, on apprend à tenir une maison, à savoir bien se comporter dans sa belle-famille, comment être une bonne épouse et une bonne belle-fille. Ensuite, nous nous sommes installés en Allemagne, tous les 3/6 mois, un film tamoul était diffusé à Strasbourg ou Paris, tous les Indiens faisaient la route pour aller voir le film. Une excuse pour se retrouver avec les siens, se rappeler, prendre des nouvelles du pays, et parler notre langue. Dès qu’il y avait des petits rassemblements tamouls, on se déplaçait.  Les années ont passé, les enfants ont grandi et j’ai décidé de travailler à l’âge de quarante ans, c’est à ce moment-là que je me suis sentie intégrée et épanouie. En travaillant, en faisant connaissance avec des personnes de cultures différentes, je me suis rendue compte que je devais m’adapter. Je ne pouvais pas élever mes enfants comme j’avais été élevée. Souvent, on essaie d’élever nos enfants avec les bases et les références que nous avons, qui sont celles de nos parents, mais nos enfants passent plus de temps à l’extérieur avec d’autres personnes et partagent peu de temps avec les parents, alors c’est à nous de nous adapter et de comprendre. Je n’ai pas peur du regard des gens, des jugements, je laisse à mes enfants la liberté de choisir et assumer leur décision. Bien que j’ai passé la majorité de ma vie en France, je ne me sens pas française, la nationalité c’est juste un papier, je serai toujours indienne. Je me sens parfaitement bien là-bas et j’y retourne tous les ans pour me ressourcer”

 

famille de francoise avant de quitter l'inde pour découvrir la France
Famille de Françoise avant de quitter l'Inde pour découvrir la France (à gauche), Françoise aujourd'hui à droite. 

 

Vijeacoumary Codandabany, 54 ans. Employée de l’éducation nationale “En Inde, nous étions comme dans un petit cocon, les parents, les frères et sœurs, loin de la difficulté et une innocence, qui nous a coûté des années d'adaptation en France ; je ne me suis jamais posée de questions, mes parents m’ont arrangé un mariage et j’ai suivi mon mari en France. Je ne connaissais personne, j’avais juste une amie, arrivée comme moi deux ans avant moi. J’étais triste, je me sentais seule loin de ma famille, et ce n’était pas comme aujourd’hui, je ne pouvais pas les appeler quand je voulais ; il fallait acheter une carte et sortir pour appeler d’une cabine, et je ne sortais pas seule. Sinon, j’écrivais des lettres mais cela mettait 15 jours pour recevoir une réponse. Je me sentais exclue car je ne parlais pas et je ne comprenais pas la langue. On s'appelait avec ma copine, chacune son tour, car le téléphone coûtait cher. Je passais mes journées toute seule, isolée. Je tournais en rond dans un petit T2 alors qu’en Inde, j’habitais dans une grande maison. J’étais en colère contre mes parents car ils ne m’avaient pas préparé à vivre loin de tout, en plus à l’étranger. Au début, pour moi, tous les “blancs” se ressemblaient, je ne faisais pas la différence entre les personnes. Quand j’essayais de m’intégrer en mettant des vêtements occidentaux, j’étais gênée du regard des gens de ma communauté. Il faut être courageux pour sortir de ses habitudes, des règles d’éducation reçues. C’est vrai qu’en France, j’étais plus libre que quand je vivais avec mes parents, mais il me manquait quelque chose. J’ai changé c’est certain mais comme je suis toujours à 60% indienne, j’hésite encore à prendre certaines décisions comme les Français par respect pour l’éducation de mes parents. Par la force des choses, j’ai évolué. J’ai accepté le mariage de ma fille avec un Français, le plus important c'est son bonheur mais c’est sûr que ma réaction n’aurait pas été la même il y a quelques années. Je m’adapte, j’essaie de changer certaines choses mais je n’abandonne pas mes origines, je mange indien, je prie, je vais aux temples hindous, je m’habille en vêtements traditionnels. Aujourd’hui, je suis contre les mariages arrangés et le regard des gens ne m’embête plus. Je ne veux pas faire comme mes parents, je veux que mes enfants soient intégrés et qu’ils profitent de leur vie, moi je suis passée à côté de beaucoup de choses.”

 

Vijeacoumary, photo prise en Inde avant son départ dans un parc de Pondichéry. Avec le bouquet, photo prise en France
Vijeacoumary en France (à gauche) et en Inde avant son départ dans un parc de Pondichéry (à droite)

 

Ainsi nous pouvons entrevoir, parmi ces témoignages, que les Tamouls ne sont pas dans une logique d'opposition des deux cultures mais plutôt d'ajustement ; c'est à dire qu'ils empruntent aux deux cultures sans aucun problème de cohérence. Cependant, ils tentent au maximum de faire cohabiter leurs spécificités culturelles avec l'identité française. Et pour la plupart, ils y arrivent bien. Les habitudes culinaires, le choix du conjoint de la même origine, l'usage de la langue maternelle sont autant de moyens déployés pour faire perdurer la culture indienne en France. Alors non, ce n’est pas la France qui a ralenti l’intégration de cette population mais l’éducation qu’ils ont reçue, la peur du regard de la communauté et parfois la barrière de la langue.

 

 

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