La dernière semaine de la session parlementaire d’hiver a été fortement animée avec l’approbation par la Lok Sabha, puis par le Rajya Sabha de modification de la loi sur l’accession à la nationalité indienne, le Citizen Amendment Bill (CAB). C’est la première fois qu’une loi se base sur des critères religieux.
Proposé par le ministre de l'Intérieur, Amit Shah, cet amendement a été discuté pendant plus de douze heures par les députés de la chambre basse (Lok Sabha) avant d'être approuvé puis présenté devant la chambre haute (Rajya Sabha) qui l’a, elle aussi, validé. A la suite de l’approbation de l’appareil législatif, le Président indien, Ram Nath Govind a signé la loi et les modifications sont désormais applicables.
Dès la présentation du projet à la Lok Sabha, des mouvements de protestation ont démarré dans les états du nord-est de l’Inde, en particulier dans l’Assam, frontalier avec le Bangladesh. Depuis, l'accès à internet a été suspendu dans cet état et les liaisons ferroviaires et aériennes interrompues. Deux personnes sont décédées.
Des manifestations ont aussi eu lieu dans la capitale New Delhi et au Bengale occidental. La rencontre entre Narendra Modi et Shinzo Abe, premier ministre japonais, prévue à Guwahati dans l’Assam a été annulée à la dernière minute.
Plusieurs partis se sont opposés au vote, mais, le BJP ayant la majorité à la Lok Sabha, de même qu’au Rajya Sabha à travers l’alliance NDA, le projet a été approuvé facilement. Depuis, les opposants essaient par tous les moyens de contrer la mise en application de la loi : recours devant la Cour suprême et annonce par plusieurs états de l’Union indienne qu’ils n'appliqueront pas la loi.
Qu’est ce que le Citizen Amendment Bill (CAB) ?
Le texte modifie une loi de 1955 et redéfinit la notion d’immigrant illégal pour les Hindous, les Sikhs, les Parsis, les Bouddhistes et les Chrétiens en provenance du Pakistan, de l’Afghanistan et du Bangladesh et vivant en Inde sans papiers. Ils ont désormais la possibilité de demander la nationalité indienne selon un processus accéléré en six ans.
La modification s’applique à tous ceux qui “ont été forcés de quitter leur pays et qui sont venus se réfugier en Inde suite à des persécutions liées à leur religion”. La date limite pour bénéficier de cet amendement est le 31 décembre 2014, ce qui signifie que toute personne hindoue, sikh, parsie, bouddhiste ou chrétienne étant entrée illégalement en Inde à cette date ou auparavant peut demander la nationalité indienne. Avant cet amendement, celle-ci était soit acquise lors de la naissance sur le sol indien soit en la demandant après avoir résidé dans le pays pendant onze ans minimum.
Alors que la constitution indienne stipule qu’aucune discrimination ni classification ne peuvent être effectuées en fonction de la religion, la nouvelle loi écarte complètement les Musulmans du processus accéléré d'acquisition de la nationalité.
Le ministre de l'Intérieur a expliqué cette ségrégation sur la base de la religion par le fait que les Musulmans n'étaient pas des minorités dans les trois pays concernés puisque l’Islam y est une religion d’état. Mais, cet argument ignore le cas de minorités musulmanes comme la communauté Ahmadiyya considérée non musulmane par le parlement du Pakistan et persécutée.
L’amendement exclut aussi les réfugiés illégaux en provenance des autres pays limitrophes de l’Inde et en particulier, les Tamouls du Sri Lanka ou les Tibétains.
Les minorités religieuses concernées par la loi
La BBC a enquêté sur les chiffres cités par le ministre de l'Intérieur lors de sa présentation de la loi à l'assemblée législative :
- Amit Shah affirme que le nombre d’Hindous résidant au Pakistan a diminué dramatiquement depuis 1947, mais le recensement de 1998 montre que la population hindoue au Pakistan est stable et représente entre 1,5 à 2 % du total des citoyens.
- Par contre, au Bangladesh, les statistiques prouvent une baisse significative du nombre d’Hindous, de 22 % en 1951 lors de la création du pays à 8% en 2011.
- En Afghanistan, les communautés non musulmanes comprennent des Hindous, des Sikhs, des Bahaïs et des Chrétiens et représentent moins de 0,3% des Afghans.
Pour Amnesty International, la loi pakistanaise sur le blasphème est floue et est appliquée de manière arbitraire par la police et l’appareil judiciaire. Elle a donné lieu à de nombreuses persécutions des minorités religieuses. Cependant, en 2018, la majorité des plaintes pour blasphème ont été déposées contre des Musulmans ou des membres de la communauté Ahmadiyya.
Selon les données des Nations Unies sur l’immigration, le nombre de réfugiés en Inde a augmenté de 17% entre 2016 et 2019. En 2018, les Tibétains et les Sri Lankais constituaient la majorité des 200 000 immigrants illégaux identifiés par l’ONU en Inde (108 008 Tibétains et 61 313 Sri Lankais).
Une loi à l’encontre de “l'idée de l’Inde” ?
Malgré le vote majoritaire en faveur du CAB, les manifestations, protestations et déclarations s’amplifient dans le pays, en particulier dans les états limitrophes du Bangladesh, mais aussi dans les états dans lesquels les Musulmans sont plus nombreux qu’ailleurs. Il faut cependant noter que l’opposition à cet amendement n’est pas basée sur les mêmes raisons en fonction des états.
Au niveau national, les opposants au CAB affirment que cette loi est contraire à l'idée d’une Inde généreuse, inclusive et multi-religieuse telle que pensée lors de l'établissement de la Constitution du pays. Elle irait à l’encontre de l’article 14 de la constitution qui affirme le droit à l'égalité pour toutes les personnes.
Tweet du Chief Minister du Kerala, Pinarayi Vijayan
The Citizenship Amendment Bill is an attack on the secular and democratic character of India. The move to decide citizenship on the basis of religion amounts to a rejection of the Constitution. It will only take our country backward. Our hard-fought freedom is at stake. pic.twitter.com/Yg9Y8QJLUx
— Pinarayi Vijayan (@vijayanpinarayi) 11 December 2019
Sur cette base, le parti politique Indian Union Muslim League a demandé à la Cour suprême de déclarer la loi anticonstitutionnelle. De nombreuses organisations accusent le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur de vouloir appliquer leur théorie de l’Hindutva (l’Inde pour les Hindous) et de marginaliser les Musulmans.
Amit Shah a démenti et remarque que la loi concerne l’acquisition de la nationalité et pas la suppression de celle-ci et que, par conséquent, les musulmans indiens n’ont rien à craindre.
Par ailleurs, cinq gouvernements locaux ont déclaré qu’ils n'appliqueraient pas le nouvel amendement : le Bengale Occidental, le Pendjab, le Chhattisgarh, le Kerala et le Madhya Pradesh. Ces états ont une population musulmane plus importante. Mais, leur pouvoir d’opposition est faible car, même si les demandes de naturalisation sont d’abord étudiées au niveau des états avant d'être transmises au ministère de l'Intérieur, la nouvelle loi dispose d’une clause permettant de passer outre les structures locales.
Tweet du Chief Minister du Pendjab, Captain Amarinder Singh
Any legislation that seeks to divide people on religious lines is illegal, unethical & unconstitutional. India's strength lies in its diversity and #CABBill2019 violates the basic principle of the constitution. Hence my govt will not allow the bill to be implemented in Punjab.
— Capt.Amarinder Singh (@capt_amarinder) 12 December 2019
Dans les états du nord-est de l’Inde proches du Bangladesh, les craintes de la population locale n’ont rien à voir avec l’exclusion des Musulmans du cadre de la loi. Certains de ces états ont un statut spécial et sont exclus du cadre du CAB, mais ce n’est pas le cas de tous, et notamment de l’Assam. Dans ce dernier, les manifestations ont tourné à la violence le vendredi 13 décembre. La population locale redoute d'être “envahie” par les immigrants hindous en provenance du Bangladesh et de voir ses avantages disparaître. Nombreux sont ceux qui pensent qu’un des objectifs cachés de la loi serait de donner un statut légal aux milliers d’Hindous résidant en Assam qui n’ont pas pu fournir les documents nécessaires pour être inclus dans le NRC, le registre national des citoyens établi en septembre 2019 (voir notre article ).
CAB et NRC, quoi qu'affirme le gouvernement, sont intimement liés.
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