De dimanche à mercredi, concomitamment à la venue de Donald Trump, des émeutes ont éclaté dans les quartiers nord-est à majorité musulmane de Delhi. Prenant pour point de départ les manifestations en opposition à la loi de la citoyenneté (CAA) qui secouent le pays depuis plus de deux mois, la situation a dégénéré ce dimanche 23 février pour revenir au calme mercredi 26 février après l’intervention de l’armée. Les affrontements ont compris des tirs à balle réelle, des rues et commerces saccagés, l'incendie d'une école. Le dernier bilan mentionnait 38 morts et plus de 300 blessés.
Cela faisait des décennies que Delhi n’avait pas connu des événements d’une telle violence. La ville en porte encore les stigmates, les quartiers sont dévastés et encerclés par les forces de l’ordre. Pourtant, cette présence est toute récente. Il aura fallu que le chef du gouvernement de Delhi, Arvind Kejriwal (parti AAP) implore le gouvernement de déployer l’armée pour que l’ordre revienne. De même, c’est l’intervention de la Justice qui a permis mardi soir le transfert des blessés graves qui étaient bloqués dans les hôpitaux locaux. Pour beaucoup, ce qui ajoute à la sidération, c’est l’absence de la police qui n’est pas intervenue.
I have been in touch wid large no of people whole nite. Situation alarming. Police, despite all its efforts, unable to control situation and instil confidence
— Arvind Kejriwal (@ArvindKejriwal) February 26, 2020
Army shud be called in and curfew imposed in rest of affected areas immediately
Am writing to Hon’ble HM to this effect
Beaucoup parlent de manipulations, alléguant que les attaquants viendraient tout droit de l’Uttar Pradesh voisin et non des quartiers de Delhi où les habitants disaient vivre en bonne entente. La composition de ses quartiers serait de 70 % de musulmans pour 30 % d’hindous.
Sonia Gandhi accuse le gouvernement de "conspiration" et d’avoir "créer une atmosphère de peur et de haine". Elle en appelle à la démission d’Amit Shah, ministre de l’Intérieur, responsable, selon elle, de la situation. La responsable du parti du Congress est aussi virulente à l’égard de Arvind Kejriwal qui, selon elle, n’a pas garanti la sécurité au sein de la ville. Cependant, ce dernier n’a pas d’autorité sur la police, Delhi n'étant pas un Etat, mais un Territoire de l’Union Indienne.
Depuis le retour au calme, la police de Delhi a transféré les preuves à la branche du crime et deux équipes spéciales d’investigations ont été créés. 48 plaintes auraient été déposées en relation avec les faits. La police de Delhi a déclaré avoir besoin de plus de temps pour enquêter sur les personnes qui auraient incité à la violence et qu’il n’y aurait pas d’intervention judiciaire tant que la situation ne serait pas revenue à la normale.
Le 11 décembre dernier, le gouvernement indien a fait voter une loi qui autorise la régularisation des immigrés en provenance des pays voisins, à l’exception des musulmans. Des manifestations ont depuis eu lieu à divers endroits du pays, comprenant musulmans mais aussi des hindous regrettant l’atteinte aux principes de laïcité et d’égalité inscrits dans la Constitution indienne (Loi sur la citoyenneté : oppositions et protestations violentes).
Les provocations à l’égard des populations musulmanes ont été nombreuses ces dernières années et suivent la doctrine de l’hindutva, au cœur de la campagne du BJP et de Narendra Modi pour sa réélection en mai 2019. Ces idées sont développées par le RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh), think tank et organisation de volontaires paramilitaires, qui compterait aujourd’hui plus de 5 millions de membres répartis dans tout le pays et particulièrement actifs dans l’Uttar Pradesh. L’assassin du Mahatma Gandhi avait été membre de cette organisation qui a aussi pris part à la destruction de la Mosquée Babri en 1992.
Pour des éléments d’analyse, nous vous conseillons le podcast de l’émission Culture Monde de Florian Delorme sur France Culture du mardi 25 février. Lors d’une série intitulée "Foi politique et pouvoir religieux", ils ont consacré un numéro sur les liens entre l’hindouisme et le BJP. Les invités sont Christophe Jaffrelot, chercheur au CNRS, directeur du CERI à Sciences-Po, Jean-Luc Racine, directeur de recherche au CNRS, chercheur senior au think tank Asia Centre, Paul Rollier, Anthropologue, professeur assistant en étude sud-asiatique à l’Université de Saint Gall en Suisse.
L’émission décrit la montée en puissance de l’idée de la suprématie hindoue depuis les années 1990 et comment elle se déploie aujourd’hui en Inde. Il est fait mention de la stratégie de provocation mise en oeuvre par le BJP pour pousser les communautés musulmanes à bout et les encourager à adopter des actions violentes, leur permettant de renforcer leur stigmatisation. Pour l’instant, les manifestations, dans l’ensemble, étaient pacifistes ( Shaheen Bagh, la manifestation pacifique des femmes de Delhi).
Les responsables musulmans encourageraient ces réponses mesurées et souhaiteraient éviter l’escalade des tensions. En témoignent les différentes réactions des instances religieuses à la suite du verdict d’Ayodhya rendu en novembre dernier (Verdict historique de la Cour suprême sur le litige d’Ayodhya).
Les analystes notent aussi que l’Inde est le pays au monde où le ratio entre nombre de musulmans (200 millions) et intégristes seraient le plus faible au monde.
Force est de constater néanmoins que l’on compte de moins en moins de musulmans dans les instances dirigeantes.
Nul doute que ces derniers événements sont un pas en avant vers une polarisation communautaire de la société et vont attiser les antagonismes.
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