Samedi 9 novembre à 10h30, la Cour Suprême a rendu un verdict historique sur le cas de la mosquée Ram Janmabhoomi-Babri à Ayodhya, sujet de tensions religieuses fortes et de violences. La mosquée, construite au 16ème siècle et détruite par des manifestants hindous en 1992 se tenait selon les hindous sur l’emplacement d’un temple alloué au dieu Rama qui serait né dans cette ville. La dispute dure depuis des décennies et plusieurs décisions de justice prises sur le sujet avaient été invalidées ou soumises à appel. Après un long processus et plusieurs reports, la Cour suprême a enfin remis sa décision ce samedi.
Le verdict
Les juges ont admis que les documents fournis par les archives archéologiques indiennes (Archaeological Survey of India) prouvent l’existence d’une structure antérieure à la mosquée et donc que celle-ci n’avait pas été construite sur un terrain vierge. Ils ont d’autre part déclaré que la démolition de la mosquée en 1992 n'était pas légale de même que la mise en place d’idoles hindous dans le centre de l'édifice qui a eu lieu en 1949.
La Cour suprême a finalement alloué l'entière superficie occupée préalablement par la mosquée (1,12 hectare) à la construction d’un temple hindou en l’honneur de Rama et a demandé au gouvernement central et à l’état de l’Uttar Pradesh (dans lequel se trouve la ville d’Ayodhya) d’accorder un terrain vide de 2 hectares “bien en vue” pour la construction d’une mosquée. Les juges ont ordonné aux deux gouvernements d'établir dans les trois mois un trust qui sera en charge de la construction du temple.
Un site vénéré par les hindous et les musulmans
Rama représente la septième incarnation de Vishnou et est un des dieux les plus vénérés par les hindous. Selon l'épopée du Ramayana, Rama est né à Ayodhya et est le fils de la reine Kaushalya et du roi Dasharatha. Le texte religieux hindou, Garuda Purana, considère Ayodhya comme un des sept lieux sacrés où la fin du cycle infini de la mort et de la renaissance, le Moksha, peut être atteinte.
Les historiens considèrent que la mosquée Babri fut construite par l’un des généraux du premier empereur moghol, Babur en 1528 sur les ordres de ce dernier. C’est un des fonctionnaires de la “East India Company” (la société anglaise installée en Inde) qui aurait découvert une inscription sur un des murs de la mosquée relatant la construction du bâtiment. Ce serait aussi lui qui aurait rapporté la tradition locale selon laquelle l’empereur aurait fait construire la mosquée sur l’emplacement d’un temple dédié à Rama.
Cependant, aucun texte ne mentionne l’existence de la mosquée entre 1528 et 1668. Les premiers documents faisant référence à la mosquée datent de 1717, puis cinquante ans plus tard les écrits d’un prêtre jésuite relatent que les hindous et les musulmans utilisaient le lieu pour prier, les premiers à l'extérieur de la mosquée, les seconds à l'intérieur. Les demandes des hindous réclamant le terrain sont apparus au 19ème siècle et les Anglais ont placé des rails pour séparer les deux espaces.
Les tensions et violences qui ont mené à la destruction du site
Peu après l'Indépendance, les relations se sont envenimées et, en décembre 1949, des nationalistes hindous ont introduit des idoles de Rama et Sita à l'intérieur de la mosquée. Le Premier ministre de l'époque, Nehru, appela à l'enlèvement des idoles, mais les autorités locales n'obéirent pas. L'accès à la mosquée fut interdit, seuls les prêtres hindous s’y rendaient pour vénérer les idoles. Les deux communautés musulmanes locales firent alors appel à la justice et le lieu saint fut fermé. L’agitation ne cessa de s’amplifier, les partis nationalistes hindous militant pour la construction d’un temple. En 1992, une manifestation organisée par la droite hindoue (dont le BJP) tourna à l'émeute et la mosquée fut détruite entraînant des violences importantes dans les grandes villes indiennes, et notamment à Delhi, Mumbai, Bhopal et Hyderabad. Plus de 2 000 personnes décédèrent au cours de ces événements. En 1993, des terroristes organisèrent une série d’attaques à la bombe à Bombay pour revendiquer la vengeance de la démolition de la mosquée.
Les réactions après le verdict
Le verdict de la cour suprême était attendu par toutes les parties et le gouvernement et les politiciens de tout bord ont appelé au calme avant et après l’annonce. D’importantes forces de sécurité ont été déployées dans la plupart des grandes villes indiennes. Les écoles sont fermées jusqu'à lundi dans l’Uttar Pradesh, à Delhi et dans plusieurs autres états.
Tweet de Narendra Modi
The calm and peace maintained by 130 crore Indians in the run-up to today’s verdict manifests India’s inherent commitment to peaceful coexistence.
— Narendra Modi (@narendramodi) November 9, 2019
May this very spirit of unity and togetherness power the development trajectory of our nation. May every Indian be empowered.
De même, la police a aussi mis en place l’interdiction de tout rassemblement public (plus de quatre ou cinq personnes) pour toute la journée du samedi 9 novembre dans de nombreux Etats dont le Maharashtra et Goa.
L’organisation non gouvernementale, All India Muslim Personal Law Board (AIMPLB), qui se présente comme le leader de l’opinion musulmane en Inde, a déclaré qu’elle respectait la décision de la cour suprême, mais qu’elle n'était pas d’accord, affirmant que le verdict était plein de contradictions.
Tweet du Economic Times au sujet du désaccord de AIMPLB
Not satisfied with #AyodhyaVerdict; SC supreme but not infallible: @asadowaisi https://t.co/rkEM6b90K0 pic.twitter.com/ZUZ4i3d5Cq
— Economic Times (@EconomicTimes) November 9, 2019
De son côté, le Sunni Waqf Board, une des parties prenantes de la dispute, a indiqué qu’il acceptait et ne contesterait pas la décision de la Cour suprême.