Depuis la mi-décembre, des femmes du quartier de Shaheen Bagh occupent un axe de communication important menant de Delhi à Noida. Elles manifestent contre la loi sur la citoyenneté adoptée début décembre par le gouvernement de Narendra Modi, le Citizen Amendment Act (le CAA permet aux immigrés du Bangladesh, Pakistan et Afghanistan de demander la nationalité indienne en accéléré à condition qu’ils ne soient pas musulmans, pour en savoir plus lire notre article : Loi sur la citoyenneté : oppositions et protestations violentes).
Les femmes, musulmanes pour la plupart, sont installées sur la route et manifestent pacifiquement leur désaccord envers la loi. Elles ont déclaré qu’elles ne libèreraient pas l’espace tant que cette dernière ne sera pas revue. La presse indienne et même la presse étrangère titrent régulièrement sur ce sujet, “Shaheen Bagh” est devenu en quelque sorte le symbole de la vivacité de la démocratie en Inde.
Shaheen Bagh est avant tout un quartier de la capitale en bordure du fleuve Yamuna (une des rivières sacrées indiennes) occupé en majorité par des familles humbles musulmanes, exerçant les métiers ouvriers (maçons, plombiers, charpentiers…). Mais la localité est aussi habitée par des professeurs de l'université Jamia Millia Islamia située non loin. (source The Caravan).
Les manifestantes ont investi la route le 15 décembre après le vote de la loi sur la citoyenneté et les incidents dans l'université proche. Depuis, elles ne l’ont plus quittée même lorsqu’une vague de froid inhabituelle s’est abattue sur Delhi fin 2019. Ces femmes, qui pour la plupart ne sortent pas de chez elles sans être accompagnées par leur mari ou leur frère se sont rassemblées dans une zone qu’elles ont délimitée et qui leur est réservée. Leur présence est un des aspects les plus inhabituels de la manifestation.
Leurs demandes font écho à celles de nombreux opposants à la loi sur la citoyenneté qui craignent que cette dernière ne les mette en danger si le registre national des citoyens (National Register of Citizens - NRC) est mis en place. Ce registre, qui a déjà été institué dans l’Etat de l’Assam, dressera la liste de toutes les personnes résidant en Inde et qui ont pu prouver leur nationalité indienne. Or, nombreux sont ceux qui ne disposent pas des papiers nécessaires pour faire valoir leur citoyenneté. De plus, s’ils sont musulmans, ils ne peuvent avoir recours à la nouvelle loi (le CAA) pour faire une demande de naturalisation accélérée. Les personnes qui ne pourront pas être inscrites dans le NRC seront susceptibles d'être déportées ou isolées dans des camps. A titre d’exemple, presque 2 millions de personnes résidant en Assam n’ont pas été inscrites sur le NRC de cet Etat (lire notre article : Colère en Assam après la publication du registre national des citoyens).
La plupart des manifestantes expriment leur inquiétude : "Nous ne savons pas où nous procurer les documents nécessaires pour prouver que nous sommes des citoyens indiens. Le gouvernement est en train de diviser le peuple sur la base de la religion. Mais, nous sommes avant tout Indiens, puis hindous ou musulmans.” De plus, presque toutes les personnes présentes à Shaheen Bagh sont convaincues que la loi, qui exclue aujourd’hui les musulmans n’est qu’un début et que de nouveaux amendements seront proposés pour exclure d’autres communautés ensuite.
Début février, N. Ram, Président du groupe de médias The Hindu (The Hindu Group Publishing Private Limited) a affirmé lors d’un panel, qu’il considérait le CAA, le NRC et le NPR (National Population Register) comme des outils pour la mise en place du projet d’hindouisation de la société indienne (Hindutva) porté par le BJP, le parti de Narendra Modi.
Lors de la campagne électorale récente pour les élections du nouveau gouvernement de Delhi, Shaheen Bagh a été au centre des débats et a généré des déclarations extrêmes de la part de certains députés BJP qui ont affirmé être prêts à nettoyer la route s’ils étaient élus. Un des députés a été exclu de la campagne pendant quelques jours pour avoir incité à “tirer sur les traîtres qui occupent Shaheen Bagh”. Son appel a malheureusement été entendu et la dernière semaine de janvier, deux incidents ont eu lieu (il n’y a eu qu’un seul blessé).
Cependant, la manifestation bloque la voie entre Delhi et Noida, un centre industriel important, le trafic est dévié depuis la mi-décembre et les usagers sont las de perdre du temps dans les embouteillages. La police de Delhi, après avoir essayé en vain de convaincre les protestataires de libérer la route, a fait d’abord appel à la Haute Cour de la ville puis à la Cour Suprême pour obtenir l’autorisation de faire évacuer les lieux. La Cour Suprême a refusé de statuer sur le sujet le lundi 10 février tant que toutes les parties n'étaient pas présentes. Elle a cependant indiqué que manifester est un droit mais que cela ne doit pas bloquer les routes publiques pour une durée indéterminée.
Aujourd’hui, Shaheen Bagh est devenu un symbole de la résistance au gouvernement central. Des “Shaheen Bagh” sont apparus dans de nombreuses villes indiennes dont Mumbai (dans le quartier de Nagpada à Mumbai Central) sans toutefois prendre l’ampleur de la manifestation originelle.
Purnima S. Tripathi, rédacteur pour Frontline, une publication de The Hindu, souligne le fait que quels que soient les résultats de la manifestation de Shaheen Bagh (abolition ou non de la loi sur la citoyenneté), ce mouvement aura permis aux femmes musulmanes, souvent recluses à la maison, de prouver à l’Etat et aux autres citoyens leur force et leur volonté de défendre seules leurs droits.
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