Frontalière de l’Inde, la Birmanie (Myanmar) constitue la porte d'accès vers les pays d’Asie du sud-est, Thaïlande, Cambodge, Laos, Vietnam, Malaisie, Singapour et se situe au centre des politiques diplomatiques “Neighbourhood first” (les pays voisins d’abord) et “Act east” (agir à l'est) du gouvernement indien. C’est pourquoi la diplomatie indienne a toujours tenté de maintenir le dialogue et les relations avec à la fois les forces pro démocratiques et l'armée en Birmanie. Le coup d'État de l'armée birmane positionne donc l’Inde dans une situation difficile.
Une position géographique de la Birmanie cruciale pour l’Inde
La Birmanie est le seul pays d’Asie du sud-est à partager une frontière terrestre avec l’Inde qui s'étend sur 1620 km ainsi qu’une frontière maritime de 725 km dans la baie du Bengale.
De plus, la Birmanie jouxte les Etats indiens du nord-est, Arunachal Pradesh, Nagaland, Manipur et Mizoram, qui sont enclavés, coupés du reste de l’Inde par le Bangladesh et n’ont pas d'accès maritime contrairement à de nombreux Etats indiens.
La Birmanie joue aussi un rôle important pour l’Inde dans la gouvernance des Etats indiens du nord-est. Les armées indiennes et birmanes ont coopéré à plusieurs reprises pour enrayer les insurrections de mouvements rebelles locaux.
Une histoire partagée
La Birmanie a fait partie de l’empire britannique et fut lors de la seconde guerre mondiale le terrain de bataille entre l'armée japonaise à laquelle s'était jointe l'armée fondée par l'indépendantiste indien Netaji Subhash Chandra Bose et l'armée britannique composée pour partie d’Indiens (L’Inde, contributrice majeure oubliée de la deuxième guerre mondiale).
Après l'indépendance de l'Inde et de la Birmanie, les deux pays ont établi des relations diplomatiques solides. La présence d’une importante communauté indienne en Birmanie a permis le développement du commerce et d'intérêts communs dans la région. Mais, l'arrivée au pouvoir des militaires birmans a considérablement diminué les liens entre les deux pays. Depuis les années 1990, l’Inde s’est de nouveau rapprochée de la Birmanie dans le cadre de la politique indienne d’intensification des relations avec l’Asie du sud-est et de contrepoids à l'influence de plus en plus importante de la Chine dans cette partie du monde.
La question des Rohingyas est épineuse pour l’Inde. En raison de considérations géopolitiques et consciente de l'opinion publique internationale, l'Inde marche sur un fil entre le Bangladesh à majorité musulmane et la Birmanie à majorité bouddhiste. Le pays a donc joué la sécurité en fournissant une aide humanitaire tout en expulsant des réfugiés rohingyas d’Inde pour des raisons de sécurité, ce qui a provoqué la colère de l’ONU.
Des relations économiques importantes
L’Inde est le 4eme partenaire commercial de la Birmanie après la Thaïlande, la Chine et Singapour. L’Inde absorbe 25 % des exportations birmanes, deuxième marché à l’export après la Thaïlande et est le 5eme importateur en Birmanie. La Birmanie est le deuxième plus grand fournisseur de haricots et de légumineuses en Inde ainsi que de bois et de produits issus du bois. Les exportations de l’Inde vers la Birmanie comprennent des produits pharmaceutiques, des produits en acier et en fer, des machines électriques, de l'huile minérale, du caoutchouc et des articles en plastique (source Ministère des Affaires Etrangères indien).
D’autre part, la Birmanie est un membre important de l’organisation régionale BIMSTEC (Bay of Bengal Initiative for Multi-Sectoral Technical and Economic Cooperation) qui a pour objectif de renforcer la coopération bilatérale et régionale entres les pays bordant la baie du Bengale. Les leaders des pays regroupés dans BIMSTEC (Bangladesh, Birmanie, Sri Lanka, Thaïlande, Népal et Bhoutan) ont été invités à participer à la prise de fonction de Narendra Modi en tant que Premier Ministre en 2019.
De grands projets d’infrastructures financés et développés par l’Inde
Depuis les années 2000, l’Inde a enclenché avec la Birmanie trois grands projets pour développer le transport des marchandises et le déplacement des personnes entre les deux pays et plus loin en Asie du sud-est : l’autoroute Inde-Birmanie-Thaïlande, le réseau de transport de transit multimodal de Kaladan entre la Birmanie et le nord-est de l’Inde et une zone économique spéciale avec un port en eau profonde à Sittwe en Birmanie.
Le coup d’état de janvier 2021, quelles conséquences pour l’Inde ?
La prise du pouvoir par les militaires birmans pose un sérieux problème diplomatique à l'Inde et contrecarre sa stratégie vis à vis de l'accès à l'Asie du sud-est.
Pour l'Inde, le retour au régime militaire par la Tatmadaw (l'armée de la Birmanie) et l'arrestation d'Aung San Suu Kyi et des dirigeants politiques de la Ligue nationale de la démocratie (NLD), sont une répétition des événements d'il y a trente ans, mais la réaction du gouvernement Modi, est susceptible d'être radicalement différente de la critique publique que l'Inde avait affirmé à l'égard des actions de la junte militaire en 1989-90.
"L’Inde se soucie de la démocratie au Myanmar, mais c’est un luxe qu’elle sait qu’elle ne pourra pas se permettre pour le moment. La seule option sera de s'engager, en s'appuyant sur son rayonnement de ces dernières années via la sécurité et la défense", a déclaré Constantino Xavier, analyste de la politique de voisinage de l'Inde au Center for Social and Economic Progress.
L’une des raisons importantes de ce changement est l'étroitesse des relations de sécurité entre l’Inde et l’armée birmane : il va être difficile de "couper des ponts" étant donné l'aide apportée pour sécuriser les frontières du nord-est de l'Inde contre les groupes rebelles. Lors d'une visite conjointe à Naypyidaw en octobre 2020, le secrétaire aux Affaires étrangères, Harsh Shringla, et le chef de l'armée indienne, Naravane, ont rencontré le conseiller d'État Aung San Suu Kyi et le général Min Aung Hlaing, indiquant clairement que New Delhi voyait les deux relations sur le même plan. Une autre raison du changement est Aung San Suu Kyi elle-même, dont l'image d'icône de la démocratie et lauréate du prix Nobel de la paix a été ternie par sa défense des actions de l'armée contre les Rohingyas dans l'État de Rakhine en 2015.
Les responsables affirment également qu’une réaction brutale de l’Inde, à l’instar de celle des États-Unis, qui a menacé d’agir contre les responsables du coup d’État à moins qu’ils ne révoquent la prise de contrôle de l’armée, ne profiterait qu'à la Chine. Outre les préoccupations stratégiques, l'Inde risque de mettre en danger ses projets d'infrastructure et de développement. Enfin, l'Inde espère toujours aider résoudre le problème des réfugiés rohingyas qui ont fui vers le Bangladesh et dont certains vivent encore en Inde.
"En 1989, il y a eu un mouvement de la société indienne demandant une prise de position ferme contre les actions de l’armée birmane et la défense d'Aung San Suu Kyi. Je ne vois pas un discours fort en faveur de la démocratie émaner de l'Inde cette fois-ci", déclare l'ancien ambassadeur au Myanmar, Gautam Mukhopadhyaya, faisant référence aux manifestations de rue et aux discours au parlement qui ont eu lieu en Inde à l'époque. En 1989, après l'arrestation d'Aung San Suu Kyi par le gouvernement militaire du SPDC, le ministre des Affaires étrangères, Narasimha Rao, aurait déclaré à un panel parlementaire que non seulement le gouvernement fournirait un soutien financier au mouvement démocratique, mais qu’aucun réfugié birman cherchant refuge en Inde ne serait déporté. Par la suite, cependant, le gouvernement a adopté une approche plus pragmatique, engageant l'armée, tout en faisant pression pour plus de libertés au Myanmar.
Au cours de la dernière décennie, lorsque Aung San Suu Kyi a été libérée et que la NLD a été autorisée à former le gouvernement en 2015, la position de l’Inde vis-à- vis de la Birmanie est devenue plus facile à gérer.
"L'accord entre les deux pays convenait à l'Inde, car notre approche consistait à aplanir les relations des deux côtés. Avec les développements actuels, notre équilibre est mis en danger", a expliqué un ancien haut fonctionnaire qui s’occupait des relations bilatérales. "Le choix entre les idéaux démocratiques de l’Inde, qu’elle a exprimés récemment au Népal et aux Maldives et la Realpolitik, pour garder son emprise au Myanmar et éviter de céder de l’espace à la Chine, sera le défi à relever."