Florence de Changy est correspondante à Hong Kong du journal Le Monde ainsi que de RFI et Radio France. Depuis quelques années, elle se consacre à une enquête en profondeur sur la disparition du vol MH370 de la Malaysian Airlines en 2014. Elle publie aujourd'hui son deuxième ouvrage sur le sujet car elle pense que la lumière reste encore à faire et que la version officielle n'est pas crédible. Lepetitjournal.com est allé à sa rencontre pour évoquer cette affaire.
Propos recueillis par Didier Pujol
Le Vol MH370 n’a pas disparu
Comment est né votre intérêt pour cette affaire et quels éléments justifient la publication d’un nouveau livre ?
J’ai d’abord été envoyée à Kuala Lumpur par Le Monde pour couvrir l’affaire en mars 2014. Ce fut mon premier contact. Un an plus tard, j’ai regardé où en était l’enquête et me suis rendu compte que la version officielle n’avait ni queue ni tête. Le Monde a cette fois publié une double page soulignant les incohérences et surtout le manque de preuves de cette version officielle, selon laquelle l’avion avait fait un soudain demi-tour et avait fini dans l’océan Indien après une route en Zigzag. Le Monde m’a ensuite envoyée aux Maldives pour vérifier l’histoire de l’avion volant à basse altitude vu par des villageois. J’ai ensuite préparé un livre « Le Vol MH370 n’a pas disparu » publié aux Arènes en mars 2016. Et j’ai continué l’enquête depuis, en marge de mon travail de correspondante basée à Hong Kong. Avec le temps, certaines sources m’ont contactée, j’ai eu accès à des documents importants et plusieurs rapports officiels ont été publiés.
Selon vous, la thèse officielle est truffée de mensonges. Qui a intérêt à mentir?
Par définition, c’est celui qui ment qui a intérêt à mentir car la vérité l’exposerait… Mon livre dissèque la version officielle et identifie les sources de ces mensonges, délibérés ou non. Quand le premier ministre malaisien Najib Razak donne ses explications, il insiste toujours pour dire que c’est le bureau britannique de la sécurité aérienne ou la société britannique de communications qui lui a dit que. Ce n’est jamais la Malaisie, c’est la Malaisie qui répète ce que des grandes puissances lui ont dit. C’est étonnant. Le rapport de l’enquête technique publié en juillet 2018 contient beaucoup d’informations qui ont été très utiles à mon enquête. Il conclut un peu étrangement en disant qu’il est impossible d’exclure "l’intervention d’une tierce-partie", sans élaborer.
Une opération militaire a pu mal tourner
En expliquant que l’on cache la vérité aux familles depuis des années, ne craignez-vous pas de faire le lit des complotistes?
Un complot est « un projet mené secrètement ». J’estime qu’il n’est pas crédible qu’un B-777 disparaisse, et encore moins dans une zone aussi surveillée. Il est vrai que certaines affaires sont marquées du sceau complot en raison de l’accumulation d’explications abracadabrantes qu’elles suscitent, mais c’est souvent parce qu’à l’origine l’explication officielle de l’événement n’est pas entièrement satisfaisante ou pas suffisamment étayée.
Vous évoquez une cargaison électronique illicite
Le rapport technique mentionne qu’une énorme cargaison de produits électroniques a été chargée sans être préalablement scannée et rapporte les échanges entre les différents contrôles aériens de la région. Dans le scénario où il faut faire entrer de manière illicite quelque chose en Chine, j’ai envisagé plusieurs hypothèses: si c’était un ou plusieurs passagers ou des petits matériels, l’opération aurait eu recours à un transport en jet privé. En 2014, cela se faisait déjà beaucoup pour rentrer à Pékin. Si l’opération a eu recours à un gros porteur de l’aviation civile, c’est sans doute parce que le cargo à transporter est soit très gros soit très lourd soit les deux. Il y a deux envois de ce type en soute. 4 tonnes et demi de fruits exotiques qui ne sont pas de saison et 2,5 t de matériel électronique très mal documentés. J’ai étudié les deux.
La réalité a été travestie
Selon vous, l'avion se serait abîmé au large du Vietnam et non de l'Australie. Qu'est-ce qui corrobore cette thèse?
Pendant les premiers jours, Malaysia Airlines a systématiquement indiqué que le dernier contact avec l’avion avait eu lieu à 2h40. Ce n’est que lorsqu’une version alternative des événements a commencé à se dessiner que l’heure du dernier contact est devenue 1h30. Sur la base des informations du rapport d’enquête, notamment les conversations entre les différents contrôleurs aériens de Malaisie et du Vietnam, et le fait que le SatCom de l’avion se réamorce à 2h25, il y a un faisceau d’indices, précisément établis et concordants qui permettent de penser que l’avion s’est écrasé au large du Vietnam autour de 2h45. Selon le dialogue retranscrit dans les annexes du rapport d’enquête, un contrôleur aérien vietnamien déclare à ce moment là à son homologue malaisien « l’avion est en train d’atterrir ». Que faut-il de plus ?! Il se trouve que j’ai trouvé d’autres éléments qui semblent corroborer cette heure et cette zone du crash.
Vous mettez en évidence les données erronées fournies par la société Inmarsat proche du Pentagone. Quelles sont les raisons de cette falsification?
Je ne connais pas les motivations d’Inmarsat dans cette affaire. Dans mon livre je me contente d’observer les liens étroits qui existent entre cette entreprise et certains gouvernements ainsi que l’opacité qui a entouré ces données qui auraient pu être partagées avec le public ou tout du moins avec les familles qui souhaitaient les faire expertiser indépendamment, puisque leur interprétation devait permettre de localiser le lieu exact du crash.
On doit la vérité aux familles
Le fait qu’un message signalant que “l’avion se désintégrait” ait été reçu et que deux avions de brouillage américains volaient dans la zone relancent-ils le débat?
Disons que cela offre une explication totalement nouvelle et enfin plausible de ce qui a pu se passer. C’est une source dans le renseignement qui a parlé de la présence de deux Awacs américains sur zone. En effet, un exercice militaire aérien tripartite intitulé Cope Tiger (US, Singapour, Thailande) de plusieurs jours allait commencer quelques jours plus tard.
Pensez vous que la lumière puisse jamais être faite un jour?
Oui, je le pense et je le souhaite. Pour les familles et pour tous les gens qui prennent l’avion. Je pense que mon enquête a fait faire un grand pas vers la vérité. Mais il manque encore des réponses aux dernières questions : si mon scénario est proche de la vérité et à moins que sa destruction ait été accidentelle, qu’est ce que cet avion transportait de tellement précieux pour justifier qu’il soit détruit avant de pénétrer dans l’espace aérien chinois? Beaucoup de gens ont encore des petits éléments d’information pour finir de compléter ou de corriger le tableau. Ce sera plus facile pour ceux qui savent de nous permettre de faire les derniers pas.
Pour en savoir plus: "Vol MH370, la disparition", édition 2021, par Florence de Changy aux Editions Les Arènes
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