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Le village de Pokfulam : art naîf et jardins à Hong Kong

peinture murale de Pokfulam a Hong Kongpeinture murale de Pokfulam a Hong Kong
Fresque dans la rue centrale de Pokfulam village @Didier Pujol
Écrit par Didier Pujol
Publié le 9 novembre 2022

Pokfulam village est niché sous la route surélevée menant à Repulse Bay. Ses habitants ont fait de cet ancien squat un nid de verdure et de calme au creux de l'île de Hong Kong. Balade entre passé et futur, témoin de l'histoire tourmentée de l'ancienne colonie britannique.

Les villages de tôle à Hong Kong

Si vous avez vu le film intitulé “Le Monde de Suzie Wong”, une comédie romantique se déroulant dans le Hong Kong des années 1960, vous vous souviendrez peut-être que le personnage-titre habite dans un village de tôles, sur les collines proches de Wan Chai. A cette époque en effet, le territoire de Hong Kong faisait face à un afflux inédit de réfugiés, la plupart venant de Chine communiste, consituant un quart de la population (750 000 en 1960!). La colonie britannique n'étant pas préparée à recevoir un tel nombre de migrants, la crise du logement est alors à son comble. Des villages de squatters émergent alors, dans les Nouveaux Territoires proches de la frontière bien sûr mais aussi sur Kowloon, au pied de la Montagne du Lion (voir la série "Below the Lion Rock" des années 1970) ou à Tai Hang Tung. Le village de Pokfulam, sur l'ile de Hong Kong, s'il est constitué en grande partie de migrants, a néanmoins une histoire particulière puisque ses origines remontent à 400 ans.

Pokfulam, l'un des plus vieux villages de Hong Kong

Fondé vers 1670, Pokfulam signifie "la forêt du pokfu", un oiseau typique des pentes boisées sur lesquelles se situe le village, le long d'une rivière. L'activité du village est tout d'abord agricole avec la culture du gingembre, du riz et des légumes. Les premières photos de cet endroit datent de la fin du 19ème siècle montrent clairement des fermes, alors que le reste de l'ile est encore peu développé. Le premier village est l'oeuvre de trois clans venus de Chine, les Chan, Lo et Wong, qui ont fuit après la Révoltes des Trois Féodalités contre l'Empereur Kangxi de la Dynastie Qing. Il n'y a alors qu'une seule rue, encore visible aujourd'hui, le long de laquelle on trouve les plus vieux monuments du village comme le temple Bogong ou la Pagode Li Ling. Dans les années 1850, à l'arrivée des Anglais, le hameau ne compte que 50 habitants contre dix fois plus cent ans plus tard, avec quatre quartiers, trois restaurants, trois coiffeurs, huit épiceries et ... trois fumeries d'opium (rappelons que les Anglais ont importé l'opium en Chine pour compenser leurs propres importations de soie et de thé)! En 1871, les colons anglais profitent de la proximité de la rivière pour construire au dessus du village le premier réservoir d'eau douce de Hong Kong.

 

pokfulam village hong kong
Photo@Didier Pujol

Des vaches et du lait frais à Hong Kong

En 1886, un chirurgien écossais du nom de Patrick Manson crée à Pokfulam une laiterie, installant des vaches dans des pâtures le long de la rivière. Les dortoirs pour les ouvriers de la laiterie voient alors le jour, auxquels on peut accèder par le chemin du village. En 1959, 721 villageois sont employés par Dairy Farm, marque existant encore aujourd'hui, le développement transformant profondément la vie de Pokfulam. La culture se limite dès lors à des terrasses, pour laisser la place à l'élevage. Pokfulam se transforme en un bourg dont les enfants vont jouer dans la forêt et se rafraichir dans le réservoir pendant la saison chaude. Dans les années 1960, la population triple encore sous l'influence des réfugiés chinois qui s'intègrent vite grâce aux emplois de la laiterie. On voit comme partout ailleurs à l'époque les collines du village se couvrir de baraques en tôles, à côté des maisons ancestrales, le tout connecté par un dédale de ruelles à l'axe central.

La marginalisation du village historique

C'est en 1970 que la vie du village basculera pour de bon avec la construction du grand ensemble Chi Fu Yuen, qui va littéralement encercler le village. Les chemins d'accès à la forêt et au réservoir se trouvent alors barrés, se situant sur les terrains acquis par les développeurs immobiliers, donnant étrange impression aux habitants d'être enfermés dans leur propre village. L'autre effet de la construction de la résidence à côté du village est la tentation de qualifier de "taudis" ce qui est en fait un authentique vestige de la culture pré-coloniale. Une négociation s'est engagée avec le gouvernement pour tenter de garantir l'accès à l'eau courante pour les habitants, garantir l'hygiène et assurer la collecte des déchets. Résultat : au bout de 15 ans, les barrières de Chi Fu Yuen ont été supprimées, en échange de la viabilisation du village, y garantissant le libre passage. Dans les années 1980, Dairy Farm, devenu un groupe de taille mondiale, ferme son site de production de Pokfulam, menaçant un peu plus l'équilibre économique de la communauté.

 

bougainvillee a pokfulam hong kong
Photo@Didier Pujol

La mobilisation pour préserver un mode de vie

Celle-ci se mobilise alors pour valoriser leur mode de vie unique, favorisant l'entraide et la sécurité. Les habitants mettent en avant le fait que les portes restent ouvertes, tant la confiance entre voisins est grande. Les fêtes ancestrales continuent d'être célébrées, mobilisant tout le village une bonne partie de l'année comme pour la préparation du dragon de feu lors du Festival de la Lune. L'exemple des communautés brésiliennes des favelas est alors cité pour tenter de préserver la vie dans le village. Comme au Brésil, de nombreux talents ont grandi dans ces villages précaires, riches d'interactions et de créativité. Aujourd'hui, lorsque l'on se promène dans les ruelles de Pokfulam Village, on ne peut que s'émerveiller des murs recouverts de fresques colorées, témoignant de la vitalité et de l'énergie des habitants. On trouve également sur les grillages des jouets disposés comme des sculptures naïves et partout, ce ne sont que sourires et amabilités. Le village de Pokfulam reste le témoin vivant de l'histoire de Hong Kong. Espérons donc que ce petit miracle urbain continuera de survivre.

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