Quartier autrefois à la réputation sulfureuse, aujourd’hui encore partiellement occupé par les bars d’hôtesses, Wan Chai présente aussi une face très “French village” appréciée de nos compatriotes. Partons ensemble à la découverte de l’histoire colorée de ce quartier
1- La conquête sur la mer
Comme beaucoup d’autres quartiers de Hong Kong, l’histoire de Wan Chai se décline au fil des extensions (“reclamations”) sur la mer. La première intervient en 1850 quand le front de mer est avancé de 200 mètres, mettant du coup fin au premier village de pêcheurs appelé Ha Wan installé dans cette petite anse (la signification de "Wan Chai"). On peut encore voir d’ailleurs au croisement est de Johnston Road et Hennessy la marque de l’ancien bord de mer.
Parmi les premiers bâtiments construits à Wan Chai figure le Royal Naval Hospital (aujourd’hui Ruttonjee Hospital- voir notre article sur les Parsi), ouvert en 1873 pour soigner les forces de la British Navy stationnées tout près dans ce qui est devenu Tamar Square. Le lien de Wan Chai avec l’armée britannique ne se démentira pas puisqu’Admiralty est à l’époque un lieu de casernement.
2- Le monde des Suzie Wong
Il est donc logique que rapidement s’installe sur les nouvelles extensions des activités de confort, prostitution et bars destinés à procurer des divertissements aux militaires.
La plus célèbre des rues de ce red light district est Spring Garden Lane, dont les balcons se couvrent de linge dès le jour venu… la lessive de la nuit! A noter que deux bureaux des services du gouverneur se trouvaient aussi dans cette rue ! En 1910, ce quartier s’étend encore sur Sampan, Swatow et Amoy Street sous l’appellation "Big Number Brothels".
En 1935 les maisons de filles sont fermées à Wan Chai et naturellement, les professionnelles s'adaptent. Racolage illégal sur Johnston Road pour les étrangères. Quant aux Chinoises, elles continuent d’égayer les hôtels et bars du quartier. C’est dans l’un de ces établissements dansants, le Nam Kok Hotel, que la fameuse Suzie Wong du film de 1960 officie et fait la rencontre de William Holden, un peintre désargenté dans cette fiction. A cette époque, ce sont surtout les marins américains stationnés en Asie pour aller au Vietnam qui font de Wan Chai leur quartier des loisirs. Le fameux bar musical “The Wanch” a repris le surnom donné par les marins à cette zone.
C’est sur les hauteurs de Wan Chai que la Suzie Wong du film, élève son enfant, loin du monde de la nuit. Un glissement de terrain meurtrier nous rappelle combien les conditions des habitants de ce quartier étaient précaires, la plupart du temps des migrants venus de Chine après 1949 et n’ayant que des tôles pour s’abriter. Les historiens et sociologues de la prostitution à Hong Kong ont donné à ce type de prostitution immortalisée par le cinéma un nom commun: “des Suzie Wong”. Les nouvelles “Suzie Wong” officient désormais dans les bars de Lockhart Road et sont aujourd’hui d’origine thailandaise ou philipine.
3- Des bâtiments iconiques rasés
Parmi les bâtiments permettant d’identifier immédiatement Wan Chai sur une carte postale, on trouvait à partir de 1925 le Lee Theatre sur Percival Street, cinéma très populaire, sorte de "flat iron building" à Hong Kong. Aujourd’hui c’est un centre commercial et de bureaux et le cinéma n’est plus qu’un souvenir
Autre landmark de Wan Chai jusqu’à une période récente: La pagode du Baume du Tigre, sorte de jardin extraordinaire érigé par le magnat birman Aw Boon Haw, devenu riche grâce à la célèbre crème chauffante. Celui-ci était rempli de statues extravagantes: tigres rugissants, gardien des âmes hurlants munis de tridents et autres fantaisies. Elle sera détruite en 2004 pour faire place à une résidence d’habitation, appât du gain oblige.
Si l’on revient près du front de mer, c’est le China Fleet Club qui a longtemps accueilli les marins des navires arrivant à Hong Kong, complexe de divertissement comprenant un restaurant, un cinéma, un bowling et surtout son bar qui draine les habitués. L’enseigne lumineuse géante pour la bière San Miguel sur la façade donnait d’ailleurs le ton. Le jeune Martin Booth de “Gweilo, une enfance hongkongaise” en parle puisque son père, qui travaillait pour la British Navy, était accessoirement abonné à la bouteille. Ce lieu de mémoire sera détruit en 1982.
4- Alors que reste-t-il à Wan Chai?
Récemment, quelques tentatives pour préserver les traces du passé ont conduit à garder quelques anciennes façades: Rue Mallory, par exemple, le centre commercial est accessible après avoir passé un pan de mur du début du siècle. On y trouve d’ailleurs un restaurant russe, le "Queen's Cafe", témoin de l’héritage de ces immigrés à Hong Kong. Bortsch, filet Shashlik, poulet "à la King" peuvent être dégustés au milieu de vieilles photos et d'objets des années 1950 comme un juke box et des meubles art deco.
Sur Queen’s Road, un bâtiment blanc est toujours debout avec sa plaque indiquant son premier usage: Il s'agit de l'ancien bureau de Poste de Wan Chai, le plus vieux de Hong Kong datant de 1912. Sur Stone Nullah Lane, un curieux bâtiment peint en bleu, apparemment la seule couleur disponible au moment des travaux, date quant à lui des années 1920. Les rues adjacentes accueillent de nombreux commerces français, boulangeries et restaurants, donnant une allure de “Petite France” à certaines section de Queen’s Road ou Lee Tong Avenue
Datant des années 1920, le Pawn, installé dans une ancienne échoppe d'usurier rue Johnston est reconnaissable entre mille avec son architecture à véranda, destinée à éviter la diffusion des maladies et notamment la peste qui a ravagé Hong Kong à la fin du 19ème siècle. C’est aujourd’hui un bar à la mode. Enfin, l’ancien poste de police de Gloucester road a toujours les célèbres arcades où le photographe Yau Leung a immortalisé deux élégantes aux formes généreuses en 1962, symbole d’une époque où le niveau de vie commençait à s’élever à Hong Kong.