Le 8 avril, la visite du 1er ministre Li Keqiang au 21ème Sommet Chine-Europe à Bruxelles s’annonçait difficile. Dès mars, l’Union Européenne s’était dotée d’une stratégie en 10 points, traitant la Chine en “rival systémique”.
Le Président Macron déclarait “fini le temps de la naïveté”. Au 1er avril entrait en vigueur son mécanisme de surveillance des investissements étrangers, surtout chinois: exaspérée par l’absence de réciprocité sur le marché chinois, et inspirée par l’exemple américain, l’Union se durcissait. De plus dans ces palabres, le Brexit n’arrangeait rien, en embolisant les forces des diplomates des 28 Etats membres. Pourtant, déjouant tous les pronostics, la rencontre aboutit sur un communiqué commun, ce qui n’était pas arrivé en 2016, ni 2017, et il est riche de substance. Il fut acquis par une rare pression des Européens – menaçant à un certain point de quitter la table – une stratégie peut-être inspirée par la fermeté de l’équipe de D. Trump. Côté chinois aussi, notoirement et de longue date, on était anxieux de s’arracher à l’isolement. Avant le G20 d’Osaka du 28-29 juin, Pékin voulait montrer à Washington son entente avec l’Europe, son premier partenaire commercial avec 575 milliards d’€ d’échanges en 2018.
En trois révisions arrachées en 72h, les 28 obtinrent donc des changements, peut-être capitaux, à la règle du jeu. Le premier est une promesse pékinoise d’un mécanisme politique continu de vérification du respect des engagements pris, avec rapport à soumettre au sommet d’ici décembre. La Chine accepte aussi de remettre en cause ses subventions à ses industries, et de protéger d’ici décembre les appellations géographiques des produits européens (Champagne, Parmesan…). Surtout, d’ici fin 2020, elle s’engage à boucler le traité de protection des investissements en panne depuis 2013.
Après toutes ces concessions, Li pouvait s’envoler à Dubrovnik (Croatie) pour un rendez-vous moins conflictuel, le 9ème sommet “16+1” avec 16 nations d’Europe Centrale et de l’Est (CEEC) dont 11 membres de l’UE et quatre candidats à son accession, tous en attente des milliards de $ chinois (déjà 15,4 milliards de $ versés depuis 2012) en investissements d’infrastructure “BRI”. La rencontre de Dubrovnik revêtait une signification particulière, car un nouveau membre devait le rejoindre et non des moindres, la Grèce: le “16+1” devenait “17+1”. Vis-à-vis de ce soutien chinois à l’Europe Centrale, Bruxelles, Paris et Berlin expriment leur réticence. En 2017, le veto grec, commandé par la Chine, à une motion européenne sur les droits de l’Homme, restait dans tous les esprits: la Chine tentait de “diviser pour régner”! Avant sa venue à Bruxelles, Li voulait rassurer, dans une interview au quotidien allemand Handelsblatt, en réitérant sa promesse de loyauté envers la construction européenne, et son “indéfectible soutien à sa prospérité et à son unité”.
À écouter le politologue londonien Kerry Brown, Li Keqiang pourrait être sincère, et refléter un nouveau tropisme pro-européen au sein du leadership socialiste. Sous la houlette erratique de D. Trump, les Etats-Unis ont cessé d’être fiables, et la Chine doit se reposer sur la base de stabilité qui lui reste—l’Union Européenne, désormais plus respectée, et plus motivée à faire front commun. De ce point de vue, le fait pour les “16+1” d’avoir soumis à l’UE leurs projets d’accords, préalablement à la rencontre avec la Chine, est un pas encourageant, vers une capacité renforcée à parler d’une seule voix!
Une dernière chose est à retenir de ce sommet euro-chinois si particulier, en rupture par rapport à des années de faits du prince et de langue de bois. Rétrospectivement, il explicite une technique qui servit si bien la Chine ces 20 dernières années, le fait de faire des promesses floues afin de pouvoir ensuite s’en distancier. Aujourd’hui cependant, les partenaires sont extrêmement précis, et tenaces: la Chine semble devoir reculer, face à l’UE, comme face aux USA. Sous réserve d’inventaire, une nouvelle ère s’ouvre.