Face à la victoire de William Lai, que Pékin considère comme un « fauteur de troubles », les regards se tournent vers la Chine continentale, dans un contexte de tension avec les Etats-Unis.
7 points d’avance pour William Lai
Alors que trois candidats étaient en lice pour le poste de dirigeant de l’île de Taiwan, William Lai, candidat du parti de la Présidente Tsai Ing-Wen, le DPP, a remporté 40% des suffrages des 15 millions de votants, devançant Hou Yu-Ih (33%), candidat conservateur du Kuomintang, favorable au rapprochement avec la Chine continentale, et Ko Wen-Je (26%) du Nouveau Parti du Peuple de Taiwan.
Ces résultats surprennent par la victoire relativement large du candidat du DPP. En effet en , le PDP avait été largement battu lors des élections municipales et de comté, conservant un très faible nombre de territoires. Ces élections avaient conduit Tsai Ing-Wen à démissionner de son poste de présidente du DPP ce qui était la plus large défaite de l'histoire du parti. Les thématiques de campagne du DPP, à savoir la lutte contre l'intensification de la présence militaire chinoise, avaient peu mobilisé les électeurs. Cette victoire redonne des couleurs au parti qui exerce le pouvoir depuis 8 ans dans l'île.
Cependant, cette victoire peut être relativisée par une défaite législative du DPP face au Kuomintang. En effet, alors que la dirigeante de Taiwan bénéficiait depuis huit ans d’une majorité absolue au parlement, ses députés sont désormais minoritaires avec 51 sièges, contre 52 pour le parti conservateur. Cette nouvelle chambre augure ainsi d’une politique plus contrastée pour les 4 années à venir.
L'élection a enregistré un taux de participation de 71,9%, légèrement inférieur aux 74,9% enregistrés il y a quatre ans.
Une élection source d’incertitudes
Autoproclamé « indépendantiste pragmatique », William Lai n’est certes pas le candidat souhaité par Pékin, dont le porte parole du Bureau des Affaires Taiwanaise mettait en garde jeudi sur le fait que continuer sur le mauvais chemin vers l'indépendance risquait « d'éloigner Taiwan de la paix et la prospérité pour se rapprocher de la guerre et du déclin », faisant référence aux tensions liées au soutien américain à l’île et le contrôle du détroit de Taiwan.
Pékin a également souligné que la Chine ne tolérerait pas d’ «activités séparatistes» à Taiwan. «Nous nous opposerons fermement aux activités séparatistes visant à l’indépendance de Taïwan ainsi qu’à l’ingérence étrangère», a ajouté Chen Binhua. Depuis plusieurs semaines, la Chine avait redoublé d’efforts pour exercer une pression diplomatique et militaire sur les élections. Ce samedi, des journalistes de l’AFP ont observé un avion de chasse chinois au-dessus de la ville de Pingtan, la plus proche de Taiwan. Jeudi 11 janvier déjà, cinq ballons chinois avaient franchi la ligne médiane du détroit, selon le ministère taïwanais de la Défense, qui a aussi assuré avoir repéré dix avions et six navires de guerre.
S’exprimant après sa victoire, William Lai a déclaré que les élections « ont montré au monde l’insistance du peuple taïwanais sur la démocratie». La co-listière de William Lai, ancienne représentante de Taiwan aux États-Unis, a également été attaquée à plusieurs reprises par Pékin en tant que militante de l'indépendance et a été inscrite à deux reprises sur sa liste de sanctions. Alors que William Lai se déclarait Samedi « déterminé à protéger Taiwan des menaces et des intimidations continues de la Chine », le Bureau des Affaires Taiwanaises réagissait le lendemain en affirmant que « la patrie finira et sera inévitablement réunifiée », reprenant la phrase du président Xi Jinping lors de ses voeux 2024. De son côté, le président Joe Biden se voulait rassurant en indiquant que les Etats-Unis n’étaient « pas favorables à l’indépendance de l’île ».
Les réactions des pays étrangers
Le secrétaire d'État américain Antony Blinken a présenté ses félicitations, affirmant que le peuple taïwanais avait démontré la force de son système démocratique en participant à des « élections libres et équitables ». Les Etats-Unis ne reconnaissent pas Taiwan comme un Etat et considèrent, depuis 1971, la République Populaire de Chine comme le seul gouvernement légitime. Après l'obtention de son siège aux Nations Unies en remplacement de la République de Chine, la Chine Populaire a toujours été reconnue comme entité unique. Néanmoins, et là se trouve la source majeure des critiques de Pékin à l'égard de Washington, les Etats-Unis apportent toujours à l’île une aide militaire importante. Ces derniers ont d'ailleurs prévu d’envoyer dès dimanche une «délégation informelle» sur l’île.
La ministre japonaise des Affaires étrangères, Yoko Kamikawa, a déclaré espérer que les tensions seraient « résolus de manière pacifique par le dialogue, contribuant ainsi à la paix et à la stabilité dans la région ». Quant à l'Union européenne, elle a félicité les électeurs qui ont pris part aux élections, ajoutant elle aussi que la paix et la stabilité dans le détroit de Taiwan étaient essentielles à la sécurité et à la prospérité régionales et mondiales.
« L’UE reste préoccupée par les tensions croissantes dans le détroit de Taiwan et s’oppose à toute tentative unilatérale visant à modifier le statu quo », précise le texte du porte-parole du chef de la diplomatie européenne Josep Borrell. La Russie a rappelé de son côté « l’invariabilité de sa position de principe sur la question » quant à l'appartenance de l'île à la République Populaire de Chine, selon une déclaration de la porte-parole du ministère des affaires étrangères russe, Maria Zakharova, citée par l’agence russe Tass.
En France, Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, a adressé dimanche ses félicitations à William Lai sur X : « Tous mes vœux de succès à la démocratie taïwanaise et à ses électeurs, nombreux à se rendre aux urnes. Plus que jamais, nous devons continuer à travailler ensemble pour défendre le droit et la paix dans le détroit ».