Si les espoirs sont immenses pour la région notamment sur les conflits en mer de Chine et la crise politique au Myanmar, l’union semble montrer ses limites à résoudre les grandes crises politiques, tiraillée entre les influences combinées des Etats Unis et de la Chine. Explications.
Coopération économique mais pas politique
Lors du sommet, d'importants progrès ont été réalisés en matière de coopération économique, notamment dans les domaines de la durabilité et de la digitalisation. Ainsi, un consensus marquant a été établi entre les leaders de l'ASEAN et leurs homologues d'Asie de l'Est, dont la Chine, la Corée du Sud et le Japon, pour créer un écosystème de véhicules électriques. Cet accord combine l'expertise technologique des nations d'Asie de l'Est et les ressources de l'ASEAN pour stimuler la production et l'adoption de ces véhicules.
Sur le plan politique, par contre, la tension sino-américaine oblige un grand nombre de pays membres à ménager à la fois les susceptibilités et leurs intérêts économiques. Il n'est donc pas surprenant que le dernier sommet n'ait pas progressé de façon significative sur la question du code de conduite (COC) en mer de Chine méridionale, véritable brulot entre la Chine et les Etats Unis. De même, aucune avancée significative n'a été réalisée concernant le "consensus en cinq points" sur la résolution de la crise politique au Myanmar alors que la région a été marquée ces dernières années par des foyers d'instabilité. Au coup d'état suivi du Myanmar, s'ajoutent en effet ceux répétés en Thaïlande, même si dans ce dernier cas, un virage semble engagé avec la victoire le 14 Mai dernier aux élections législatives du parti Move forward.
Le cas d'école du Vietnam
Le Vietnam se trouve dans une position particulièrement délicate. Véritable petit frère de la Chine communiste à la suite de la guerre du Vietnam (1954-75), un affrontement sanglant en 1979 viendra finalement séparer définitivement ces alliés idéologiques pour les voir aujourd’hui se faire face prudemment. Observant de loin cette inimitié, les États-Unis se placent à présent comme allié opportun des pays qui ne reconnaissent pas la ligne à 9 traits -zone que s’arroge la Chine dans la mer méridionale co-revendiquée par plusieurs pays de l’ASEAN en vertu de la Convention du Droit de la Mer de Montego Bay signée en 1982-.
Cela conduisit ainsi les deux pays à multiplier leurs échanges, en appuyant chacun de leur côté l'élévation du niveau de partenariat et en le scellant 'comprehensive strategic partnership' lors de la rencontre historique du 10 Septembre 2023 entre le President Biden et le Premier Ministre Pham Minh Chinh à Hanoi. Cette stratégie, appelée diplomatie du bambou côté vietnamien, par analogie à la solidité à la base et la flexibilité au sommet, remise au goût du jour lors d'un discours de Nguyen Phu Trong en décembre 2021, pourrait conduire à une commande majeure d'armement (notamment de F-16) aux Américains.
Démonstration inédite en Mer de Chine
L'ASEAN a lancé son premier exercice naval conjoint dans la région des 19 au 23 Septembre 2023. Ces exercices non-combattants, appelés "ASEAN Solidarity Exercise", comprennent des opérations de patrouille maritime conjointe, de recherche et de sauvetage, ainsi que des actions humanitaires et de secours en cas de catastrophe, a indiqué le chef militaire indonésien, l'Amiral Yudo Margono. Bien que l'ASEAN ait déjà participé à des exercices navals avec d'autres pays, dont les États-Unis et la Chine, ces exercices sont les premiers exclusivement entre membres de l'ASEAN. Pourtant, dans la course qui consiste à rallier les partenaires en Asie du Sud-Est, l'administration Biden semble avoir négligé l'ASEAN. Washington, à l'instar de Pékin, a favorisé certains membres de l'ASEAN au détriment d'autres. Ainsi, Joe Biden a-t-il manqué le sommet annuel de l'ASEAN, laissant à sa vice-présidente Kamala Harris le soin de se rendre à Jakarta. Surnommée Balkans d’Asie, la région risque donc pour un certain temps encore de servir de terrain d'affrontement des grandes puissances.