Avec l’annulation surprise mercredi par l’Australie du contrat de 56 milliards d’Euros pour la fourniture de sous-marins par la France au profit d’une alliance stratégico-militaire avec les Etats Unis et la Grande Bretagne dénommée AUKUS, la question des équilibres et de l’avenir des relations dans la zone Asie se pose pleinement. Ce vendredi les ambassadeurs de France aux Etats Unis et en Australie étaient rappelés en France “pour consultation”… une première à la hauteur des enjeux internationaux engendrés par la nouvelle situation.
Risque de prolifération nucléaire dans le Pacifique
En promettant pour la première fois, et sans consultation des autres membres signataires des accords de non prolifération (NPT), d’équiper un pays non-autorisé de la propulsion nucléaire, les Etats-Unis créent un dangereux précédent en dérogeant aux règles internationales. Les observateurs s’accordent sur le risque d’envoyer un signal fort aux autres pays qui ne disposent pas encore de cette technologie et se sont trouvés empêchés jusqu’à présent de procéder à ce type d’investissement. A ce jour en effet seuls les Etats Unis, la Russie, la Chine, la France et la Grande Bretagne sont supposés pouvoir utiliser la propulsion nucléaire. On se souvient que l’Iran, la Corée du Nord ont dû faire face aux sanctions internationales sur la base de la non prolifération. C’est donc une entorse majeure au droit international qui consiste à doter l’Australie de cette technologie, même si dans les faits, sa maîtrise est un processus long de l’ordre de la vingtaine d’années, en particulier pour l’Australie qui a longtemps milité contre le nucléaire dans la région et part de zéro.
Rupture du "contrat du siècle" par l'Australie : "Le comportement américain me préoccupe. Cette décision unilatérale et brutale ressemble beaucoup à ce que faisait Monsieur Trump", déclare Jean-Yves Le Drian
— franceinfo (@franceinfo) September 16, 2021
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Rappel des ambassadeurs par la France aux Etats-Unis et en Australie
Première dans l’histoire des relations franco américaines et avec l’Australie, l’annonce vendredi soir du rappel immédiat des ambassadeurs français « pour consultation » par Jean-Yves Le Drian en accord avec le président Macron, suite à ce que le ministre des affaires étrangères a qualifié de « coup dans le dos » de la part d’un allié. Dans son communiqué, celui-ci précisait que cet épisode avait des répercussions directes sur « la vision que nous avons de nos alliances et partenariats ainsi que de la place de la région Indo-Pacifique pour l’Europe (...) Nous avons établis une relation de confiance avec l’Australie. Cette confiance a été trahie ». Alors que l’Australie et le Royaume Uni sont en train de conduire des négociations avec l’Europe suite au Brexit pour revoir les accords de libre-échange (FTA) de 2008, des sanctions économiques pour ces deux pays pourraient être la conséquence de la prise de position avec les Américains. Avec la fin du mandat d’Angela Merkel, le rôle accru d’Emmanuel Macron au sein de l’Union Européenne pourrait mener à une fermeture de ce marché aux produits de Canberra, en retirant notamment le soutien de la France aux achats de produits miniers australiens et en refusant de ratifier les nouveaux accords d’échanges. C’est ce que demande en tous les cas Renaud Muselier dans un tweet de ce vendredi.
En brisant un contrat historique avec la France et @navalgroup, l’#Australie nous plante un couteau dans le dos, au profit des Américains et Britanniques.
— Renaud Muselier (@RenaudMuselier) September 16, 2021
Nous devons réagir:je demande à l’Union européenne la suspension des négociations sur l’accord de libre-échange Australie/UE. pic.twitter.com/oNFlB8oXX2
Réaction de la Chine au contrat AUKUS
Lors d’un message au Shanghai Cooperation Organisation Summit, Xi Jinping s’est exprimé contre les tentatives de « déstabiliser l’ordre international en créant des confrontations » sans pour autant nommer expressément les Etats-Unis. Dès la publication de l’accord AUKUS mercredi, la Chine a dénoncé l’initiative consistant à multiplier les puissances nucléaires dans la zone Pacifique en qualifiant la décision américaine d’ « irresponsable ». Dans les faits, la conclusion du nouvel accord vise à potentiellement surclasser technologiquement la flotte chinoise, même si à ce stade, les armements prévus sur les futurs sous-marins sont conventionnels. La propulsion nucléaire permet par exemple à un bâtiment de rester en immersion quasiment infinie, rendant la détection pour les navires et radars de surface extrêmement difficile. Ainsi la présence d’un sous-marin indétectable dans le détroit de Taiwan ou certaines zones contestées de la mer de Chine méridionale poserait un défi supplémentaire à Pékin dans le contrôle de ces zones. Les relations sino-australiennes n’étaient déjà pas au beau fixe depuis le soutien de Canberra aux réfugiés politiques hongkongais. Il est prévisible que ces tensions vont encore s’accentuer.