Alain Mabanckou était invité l'an dernier au salon du livre pour parler du voyage, le thème de l'édition 2017. Omniprésent dans nos vies, et à plus forte raison quand on est expatrié, le voyage dont il parlait, avait trouvé un immense écho chez les Français qui l'ont rencontré à Hong Kong.
L'écrivain replace le voyage, la rencontre avec l'étranger et les autres cultures au cœur de l'apprentissage de l'homme.
Lepetitjournal.com/Hong Kong : Le salon du livre se tient sur le thème du voyage, quelle place a-t-il dans votre œuvre et votre travail d'écrivain?
Alain Mabanckou : Le voyage inspire ! Avec le déplacement, on donne donc du sens aux choses. Ce sont aussi les rencontres et c'est essentiel pour l’écrivain : plus vous rencontrez, plus vous échangez ; et plus vous échangez plus vous vous comprenez.
Vous semblez donner plus de place aux rencontres dans le voyage qu'à la découverte de nouveaux lieux, de paysages ou d'architectures par exemple?
Ces choses aussi nourrissent l'homme mais je reste persuadé que tout cela se trouve dans l’individu qu'on rencontre. Quand j’ai un latino-américain en face de moi, il a en lui toute l’Amérique latine, que ce soit la civilisation, les Mayas, les Aztèques, la littérature de Gabriel García Márquez, les villes du Brésil….
C’est l’individu qui porte en lui son pays.
La plus grande richesse qu’on tire du voyage ça peut être aussi parfois la discussion insolite et inattendue avec une vielle personne ou un gamin qui vous parle de sa vie, il n'y a pas mieux comme impression du pays.
En tant que voyageur, vous portez aussi une part de civilisation, pour vous c'est la civilisation africaine?
Quand on voyage, on est un peu comme une tortue qui porte sa carapace. Ma carapace est africaine et ma tête sert à regarder un peu à gauche, un peu à droite, à me protéger pour pas ne pas la casser… par exemple devant la variété climatique ! Mais l’avantage quand on est un voyageur et qu’on a le cœur ouvert, c’est que tout s’ouvre avec vous. Donc l’Afrique me permet ce déplacement, cette sorte de possibilité d’échanger sur ce que j’ai reçu sur le continent noir et de le partager ailleurs.
L'échange - le contact aux autres et aux cultures - est primordial pour vous. Est-ce pour cela que vous dîtes que les grands écrivains racontent quelque chose d'universel même si leurs histoires se déroulent dans un endroit précis?
Je partage le principe que "l’universel, c’est le local moins les murs", cette expression revient à Michel Torga. On est universel parce qu’on s’enracine, parce qu’on sait qui on est, et qu’on voudrait partager cela avec les autres sans refuser de recevoir leur spécificité.
Par conséquent, on devient universel non pas en se lavant à l’eau de Javel pour éviter l’autre, mais en expliquant aux autres "je suis tel que je suis, vous me prenez ou vous ne me prenez pas, et en même temps je reçois votre civilisation".
Mais cette idée de l'universel, vous considérez qu'elle a évolué et qu'elle doit continuer pour son plus grand bien?
L’universalité a été faussée pendant très longtemps. L’occident était obnubilé d'imposer sa définition de ce qui était universel. Longtemps, les critères de beauté, d’art et de littérature ont tous étés fournis clé en main par les civilisations occidentales.
Les choses changent… elles ont changé quand la civilisation en question se retrouvait dos au mur, essoufflée peut-être par le machinisme, le manque de passion ou la carence de l’imaginaire. L’occident est allé rechercher ailleurs pour retrouver son souffle, d’où l’empressement à découvrir des cultures exotiques, des facettes que les occidentaux n'avaient pas pris le temps de voir quand ils colonisaient. On ne se rendait pas compte que les personnes qualifiées de 'sauvages' allaient intéresser les occidentaux pour leur civilisation. Picasso ne serait pas Picasso s'il n'avait pas croisé l’art nègre par exemple. Il y a toute une révolution qui se passe en marge. Donc le local est important, mais la civilisation ne doit pas être définie pas une partie seulement du monde.
Pour aller au contact de la culture africaine, quels livres nous conseillez-vous?
Le livre écrit en français que je conseille toujours est "L’enfant noir" de Camara Laye, et dans ceux écrits en anglais, c’est "L'ivrogne dans la brousse" de Amos Tutuola, qui est un écrivain nigérian traduit à l'époque par Raymond Queneau, c'est vraiment un chef d’œuvre de la littérature africaine.
Et dans vos livres, vous ne voulez pas nous dire?
Ah!…. pour vos lecteurs, ils peuvent commencer par "Verre cassé", parce qu'il y a une vie en Afrique, il y a la ville moderne, avec tous les problèmes des "éclopés". Pour les plus jeunes, il y a "Petit Piment". Avec "Mémoires de porc-épic", c'est aussi la culture africaine, les croyances et la fable que j'essaie de valoriser.
Remerciements au Consulat et à la librairie Parenthèses qui ont rendu cette rencontre possible et à l'auteur qui j'espère pardonneront cette publication tardive.