La mode se démode, le style jamais - Coco Chanel
Paris est connue pour être la capitale de la mode et Hong Kong est certainement sa plus belle vitrine en Asie. Les marques françaises y sont toutes représentées, le luxe, le prêt-à-porter et les nouveaux créateurs. Entre rayonnement culturel et enjeux économiques, comment la mode française a-t-elle occupé cette place à Hong Kong? Tour d’horizon.
Hong Kong s'est transformé et enrichi avec ses activités de négoce international et parmi les marchandises étrangères, le luxe et la mode ont trouvé une place de choix dans la ville. D'abord tirés par les goûts de sa communauté internationale, ce sont les riches entrepreneurs locaux qui se sont ensuite passionnés pour les marques étrangères prestigieuses. L’affluence des touristes en provenance du Japon et ensuite de Chine continentale ont achevé ce boom phénoménal. Hong Kong partage aujourd’hui ce statut avec d’autres villes voisines comme Shanghai, Singapour, Tokyo ou même Bangkok, l'invitant ainsi à se réinventer.
L’arrivée des premières marques françaises
Les premières marques françaises de luxe ont fait leur apparition à Hong Kong dans les années 1970. C'est notamment le cas avec l’arrivée de Louis Vuitton au Péninsula, une des plus anciennes arcades du luxe en ville, environnement protégé et haut lieu de la vie sociale. A cette époque, la mode étrangère avance à petits pas. L'emblématique Joyce Boutique ouvre ses portes au Mandarin Oriental et présente aux riches Hongkongais des marques italiennes comme Giorgio Armani et Prada. L'intérêt pour la mode se renforce dans les années 80. En 1984, le magazine Cosmopolitan arrive à Hong Kong, suivi de Elle en 1987 et de Harper’s Bazaar en 1988. Les marques de luxe françaises telles que Chanel et Jean Paul-Gaultier entrent alors sur le marché. Destination pour la mode haut de gamme, The Landmark ouvre ses portes en 1983. LVMH inaugure ses bureaux en 1987 et avec cette implantation multiplie la présence de ses marques.
L’accélération du tourisme chinois dans les années 90 a décuplé l’essor de la mode, et avec elle, des marques françaises. La Chine, alors marché émergent, sort d'une période que certains analystes qualifient de frustration, sans accès possible à la mode et au luxe. Hong Kong sera dans les années 2000 le lieu incontournable pour ce type de consommation. Le luxe tricolore qui allie tradition, savoir-faire et glamour, offre aux nouveaux Chinois aisés ce dont ils ont manqué.
Le secteur devient alors un moteur de croissance. La France, premier pays exportateur dans cette industrie, réalise 80% du chiffre d’affaire à l’international. Parmi les acteurs internationaux, Louis Vuitton (LVMH) s’impose comme le leader suivi de près par Richemont et Kering (anciennement Pinault-Printemps-Redoute).
Le luxe... le prêt-à-porter... et les designers
Avec ses 7 millions d’habitants et 45 millions de touristes chinois la ville attire rapidement non seulement tous les groupes français du luxe mais aussi les marques de prêt-à-porter.
SMCP (Sandro, Maje, Claudie Pierlot), Ba&Sh, Kooples ou Tara Jarmon s'installent à Hong Kong. Ils seront suivis par de jeunes designers comme Andrea Crew, Dawei ou Rabih Kayrouz. Le positionnement prix de ces marques offrant une bonne qualité, du style et des idées de look complet séduit la clientèle locale, nous explique Johanna Lepeu, cofondatrice du concept store français Zoobeetle. "Les associations proposées dans la mode française, aussi bien au niveau des couleurs que des styles plaisent beaucoup aux hongkongais".
La française Ariane Zagury fait partie des entrepreneurs qui surfent sur cette vague. Elle a fondé Rue Madame en 2010, une plateforme multimarques françaises aujourd'hui très connue pour avoir introduit sur le marché hongkongais des marques devenues de grands acteurs du luxe "abordable". La fondatrice nous explique ce succès "les clients viennent non plus pour acheter une marque en particulier mais pour trouver un vestiaire avec des produits authentiques."
Ces marques initialement présentes dans les enseignes multimarques ou departement stores comme Lane Crawford, Joyce ou Harvey Nichols, ont petit à petit gagné en notoriété. Elles signent avec des partenaires locaux comme l’a récemment fait Kooples avec Swire Resources ou reprennent leur indépendance et ouvrent en nom propre comme SMCP ou Ba&Sh. Une présence à Hong Kong qui a le mérite de leur ouvrir les portes vers la Chine, premier marché mondial en nombre de clients.
Mélanie Gaudin, responsable de Business France à Hong Kong nous résume cette évolution en rappelant qu’aujourd’hui la France est le 4e fournisseur en habillement de la ville. La mode est le 2e poste d’exportation de la France à Hong Kong.
Une mode française, vraiment française?
Le nombre de joint-ventures et rachats de groupes français par des conglomérats hongkongais ou chinois n’a fait qu’augmenter ces dernières d’années. Notre interlocuteur dans le groupe LVMH explique que le marché chinois est ouvert, ambitieux et possède beaucoup de liquidités. La principale motivation derrière ces transactions est financière. Les fonds investis vont permettre de relancer des groupes qui en ont besoin et dans certains cas, sauver des marques. Selon lui, le marché chinois dominera encore sur les 20 à 30 prochaines années.
Le montant des investissements et la taille des acquéreurs sont souvent vertigineux. Le chinois Shandong Ruyi Technology Group a investi 11,9 milliards de HKD dans le groupe SMCP en 2016. Fosun International vient de prendre le contrôle de la maison Lanvin, vieille de 129 ans. Quant à Sonia Rykiel et Robert Clergerie, ils appartiennent aujourd’hui au géant hongkongais Li&Fung et ST Dupont appartient à présent à Dickson Poon.
Une distribution qui se démode?
La ville a connu son heure de gloire grâce sa situation unique de vitrine de l’Occident en Orient pour la mode française. Elle ne jouit plus aujourd’hui de cette singularité, rattrapée par l’ouverture de la Chine et le développement d’autres grandes villes en Asie. Selon notre interlocuteur du groupe LVMH basé à Hong Kong, il est temps pour la ville de se réveiller et d’offrir une plus grande diversité en matière de shopping, des lieux et des expériences différentes. Mais tant que les loyers des surfaces commerciales resteront à leur niveau, seules les grandes chaines pourront s’offrir une devanture. Le touriste chinois qui reste le consommateur dominant risque de tomber rapidement dans une fatigue visuelle et expérientielle. "Avec le phénomène de clustérisation, vous trouvez les mêmes grandes enseignes dans le même ordre aux quatre coins de la ville. Les department stores n’ont plus d’offres exclusives comme auparavant. Hong Kong doit apporter du renouveau et des endroits qui se différencient d’un Landmark, Causeway Bay ou Queens Road. On manque d’initiative créative et nouvelle."
La carte française reste un atout majeur dans l’industrie de la mode. La mode française et particulièrement le luxe ont encore de beaux jours devant eux même si pour rester un haut lieu de la mode et de la création, Hong Kong va devoir revoir sa stratégie retail.
Article écrit par Stéphanie Stiernon paru dans Paroles, le magazine culturel de l'Alliance Française
Numéro #257 Novembre / Décembre 2018 - consultable ici