Vingt ans de carrière et une musique toujours aussi percutante. En septembre 2024, le trompettiste franco-libanais de renom Ibrahim Maalouf a sorti son dix-neuvième album, Trumpets of Michel-Ange (T.O.M.A.). A l’occasion de son passage à Hong Kong le 1er décembre prochain lors du festival Clockenflap, nous avons pu rencontrer l’artiste aux influences multiples.
La multiculturalité comme moteur musical
Quelles sont les sources d’inspiration et les influences qui se cachent derrière votre musique ?
Mon identité franco-libanaise est le moteur primordial de mes créations. Elle est à l’origine de toute ma passion pour la multiculturalité, de l’interculturalité, de la transculturalité. C’est ce qui me donne envie de marier des histoires, des cultures, des identités, pour essayer de créer une musique qui me ressemble.
Je suis curieux et je m’inspire de toutes les cultures du monde. Mes collaborations ont toutes été marquantes : de Quincy Jones à Mathieu Chedid, en passant par A$AP Rocky, Angélique Kidjo, et Lhasa de Sala. J’ai travaillé avec des artistes venant d’Inde, d’Afrique, d’Amérique du Sud ; et j’écoute de tout : du rap, de la musique électro, de la musique classique, etc.
Ce mélange des cultures fait l’identité de notre époque, à laquelle j’ai envie de ressembler. Sans chercher à être à la, je veux cependant être quelqu’un de mon époque, c’est-à-dire qui vit avec la possibilité d’être en contact avec le monde entier.
Transmettre entre les générations
Votre dernier album, sorti en septembre dernier, et que vous présentez actuellement en tournée, s’intitule « Trumpets Of Michel Ange » (T.O.M.A.). Pourquoi ce titre ?
L’histoire derrière cet album et son titre est complexe et comporte de multiples couches d’explications. En résumé, l’album est un hommage à mon père, à notre parcours. C’est une forme de filiation entre mes ancêtres, mon grand-père, mon père, moi, puis mes enfants.
Lorsque mon père est arrivé en France, il n’avait rien à part un rêve : celui d’entrer au Conservatoire de Paris, dans la classe de Maurice André, le plus grand trompettiste classique de son époque. Il a trouvé refuge dans l’église Saint-Julien-le-Pauvre, où il a travaillé comme sacristain, et où il a pu vivre et travaillé dur pendant de nombreuses années pour pouvoir préparer son entrée au Conservatoire de Paris. Sept ans plus tard, il a réussi.
Aussi et surtout, c’est dans cette chapelle de Saint-Julien-le-Pauvre qu’il a fait les premiers croquis de la trompette qu’il a inventé. C’est une trompette un peu particulière, que je joue aujourd’hui, et que j’ai appelé « la trompette de Michel Ange ». J’en ai même créé une marque, T.O.M.A. (Trumpets Of Michel Ange), et j’ai donné ce même nom à l’album.
En fait, quand j’étais petit et que je pensais à mon père seul dans cette église, en train de travailler sa trompette et de faire des croquis, je l’imaginais un peu comme une sorte de peintre, comme Michel Ange qui peint la chapelle Sixtine et qui crée son chef-d’œuvre. Ainsi, j’ai voulu donner ce nom-là à cet album, qui rend hommage à mon père et à cet instrument.
Que souhaitez-vous transmettre à travers l’album Trumpets Of Michel Ange (T.O.M.A.) ?
L’ADN de cet album se trouve dans l’idée de transmission générationnelle. Cette responsabilité de transmission donne du sens à nos vies. Chacun hérite de quelque chose, aussi peu ou autant que ça puisse être, et essaie d’en faire quelque chose d’encore plus beau et de le transmettre à la prochaine génération.
Sur la pochette de l’album, il y a une photo de 1924, de la fanfare de notre village au Liban. Et sur cette photo, il y a mon grand-père, qui avait vingt ans. Ainsi, une route se trace de génération en génération, et c’est ça qui raconte notre histoire, l’histoire de notre humanité. C’est la raison de notre existence, et je trouve ça beau de le mettre en valeur.
Je cherche à me surprendre moi-même
Quel est le processus de création de vos albums ? Avez-vous composé T.O.M.A. d’une manière différente de vos précédents albums ?
Mon processus de création a toujours été le même depuis que je suis tout petit.
J’ai une vraie passion pour la création par l’improvisation, car c’est la meilleure manière de créer sans avoir de dogme qui nous empêche d’aller chercher ailleurs. Quand on réfléchit trop sur quoi créer et comment le créer, on répète la même chose, ce n’est plus tellement créatif. J’aime l’idée de devoir à chaque fois sortir de ma zone de confort, de ne pas refaire deux fois la même chose. Il faut que je me surprenne moi-même, sinon j’arrête la musique, car sinon ça ne serait pas passionnant du tout.
Ainsi, le processus consiste à laisser mon expression personnelle se libérer par elle-même sans brides ou guidance. Une fois que les idées sont là, j’essaie de les dire et de les tourner de manière qu’elles soient comprises.
Une fois que la mélodie et les idées sont là, j’enregistre le tout le plus naturellement possible, en enregistrant au studio dans un format « live » : on met des micros, et on joue l’album de A à Z. J’ai envie qu’il y ait cette spontanéité, sans post production, sans ordinateur qui corrige les erreurs.
Le trac pour cette première à Hong Kong
Vous m’avez confié n’avoir encore jamais joué à Hong Kong. Appréhendez-vous cette nouvelle rencontre ?
Plus que de l’appréhension, j’ai le trac, bien que je sois très à l’aise sur scène.
Je trouve que la musique est faite pour qu’on se comprenne. Je mets un point d’honneur à ce qu’une fois que je sorte de scène, peu importe si les gens ont aimé ou pas, qu’ils aient compris de quoi parle ma musique, quel était ce langage que j’ai essayé de proposer, etc. J’ai donc un peu le trac, car j’ai vraiment besoin de sentir que le public comprenne ce que je lui propose.
En Chine, à Hong Kong ou au Japon, très peu de gens si ce n’est personne ne connait ma musique. Je suis là plutôt par curiosité des personnes qui m’ont invité. C’est un pari, et j’espère ne pas décevoir.
Jouer à Hong Kong est d’autant plus déstabilisant qu’il s’agit d’un festival. En effet, plein de gens ne me connaissent pas, mais j’aime l’idée car je peux faire découvrir ma musique à un large public. Aussi, lors d’un festival, il faut être joueur et accepter les règles.
Avez-vous un message à faire passer aux Français de Hong Kong par rapport à votre concert du 1er décembre ?
J’ai surtout envie d’encourager les gens à venir. Souvent, on va vers ce qu’on connait, car ça nous rassure. Cependant, ce qui est intéressant dans la musique, c’est de découvrir une musique différente, à un moment où on ne s’y attend pas du tout, parce que cela nous touche. Avec T.OM.A., je raconte une histoire universelle. On chante, on danse, on fait la fête, on saute, … On partage un moment assez fort, assez puissant.
Pour le public de Hong Kong, cela se fera avec une musique qu’ils ne connaissent sans doute pas, mais à laquelle ils peuvent vraiment s’identifier. Faites le pari, venez voir et passer un bon moment avec nous. Après le concert, si ça s’est bien passé, venez sur les réseaux, dites-le-moi. Cela me fait plaisir de savoir si ça leur a plu ou pas. C’est un vrai défi pour moi d’aller proposer ma musique dans un festival comme ça à Hong Kong, et je suis très impatient de le vivre.
Ceux qui préfèrent les surprises, venez et vous verrez. Ceux qui ont besoin d’être rassurés, écoutez et regardez la musique vidéo « Love Anthem ». Si vous aimez ce morceau, vous adorerez le concert.
Pour réserver : site du Festival Clockenflap