Repousser la malchance, évincer ses rivaux et attirer la bonne fortune en frappant les mauvais esprits… Rendez-vous à Canal Road pour y découvrir le da siu yan.
On discerne quelques lueurs frétiller au milieu des autels lorsqu’on approche la limite qui sépare Wan Chai de Causeway Bay. Les fumées venues de bâtons d’encens donnent un air brumeux à ce bout de trottoir niché sous le pont de Canal Road, connu aussi comme "cou d’oie" à cause de la forme du long et étroit canal qui s’y écoulait auparavant.
C’est là que se déroule le da siu yan, une forme de sorcellerie populaire qui peut se traduire par "frapper les méchants", souvent décrite comme une version du vaudou. Cette pratique trouve ses modestes origines dans le sud de la Chine, lorsque les communautés rurales de la province du Guangdong se préparaient pour le Jingzhe ou "la fin de l’hibernation des insectes", une des vingt-quatre périodes du calendrier solaire chinois. Le rituel peut se pratiquer tout au long de l’année, mais il va de pair avec cette date et c’est donc au début de mars que les Hongkongais s’agglutinent sous le pont et payent un modique somme afin de chasser leurs ennemis et de conjurer le mauvais sort.
Sortilège à coups de chaussons
Chaque frappeur ou plutôt frappeuse, car ceci est une affaire de vieilles dames, a sa propre technique, mais les grandes lignes restent les mêmes. Voici le déroulement d’une séance aperçue par un œil scrutateur:
Quelqu’un arrive et s’installe sur un tabouret minuscule face à un petit autel orné de statuettes et garni d’offrandes. Un échange expéditif d’à peine quelques mots et le rituel commence: quelques prières sont nécessaires et pour ce faire, des bâtons d’encens s’allument, le client les saisit dans les mains et s’incline une, deux, trois fois.
Pour la prochaine étape, on a besoin des fulu, ce terme taoïste qui désigne les formules écrites par lesquelles le daoshi (maître taoïste) sollicite l’aide des esprits et balaie les forces négatives. On écrit son propre nom sur un fulu rouge et le nom du destinataire du sort sur un fulu blanc. On n’écrit rien lorsqu’on n’a pas d’ennemi spécifique, on chasse alors tous ceux qui vous veulent du mal ainsi que les mauvais esprits.
Le moment de frapper est venu, la vieille dame prend un chausson et s’acharne contre ce bout de papier blanc, le tout assorti d’incantations qu’elle ânnone fiévreusement. Elle frappe, elle cogne, elle rosse, elle bat jusqu’à la déchirure.
A présent, il faut apaiser le tigre blanc ou baak fu, aujourd’hui devenu déité et symbole d’une époque où les villageois craignaient une attaque. Pour le vénérer, il faut recréer le sacrifice avec un tigre en papier jaune. Une fois enduit de saindoux et nourri avec les restes de notre ennemi, il n’est plus dangereux.
On brule le tigre avec le fulu, et pendant que le feu les consume, deux papiers jaune et rouge respectivement (Gui Ren) font leur apparition, il faut les bruler pour s’attirer les bonnes grâces des dieux. On trace des cercles sur la tête du client avec ce flambeau. Elle psalmodie pendant qu’il se penche en avant, tous deux enveloppés dans la fumée. Les flammes frôlent dangereusement les cheveux du client tandis que le papier s’embrase. Le tout finit par se réduire en cendres dans une boite métallique.
On vérifie que le sort a bel et bien été conjuré au moyen de deux pierres oraculaires en demi-lune (jiaobei). Pour confirmer la réponse positive, il faut jeter les pierres et qu’elles retombent, une du côté plat et l’autre du côté bombé.
Durant cette période de troubles sociaux, les cibles habituelles du rituel ont été remplacées par des figures politiques dans un espoir de changer le cours de l’histoire…ou du moins de se sentir moins impuissant face à la situation actuelle. Quelle qu’en soit la raison, la pratique du da siu yan devient de plus en plus prisée en ces temps incertains et demeure une tradition locale digne d’être inclue dans le répertoire du gouvernement en tant que patrimoine culturel immatériel.
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