Hong Kong ne connaît pas encore l’engouement pour la bande dessinée qui existe en France, en Belgique ou en Suisse. Mais la ville n’est pas en reste, et de nombreux auteurs commencent à émerger depuis de nombreuses années, en Asie mais aussi en France, au travers de la traduction. Bertrand Speller, traducteur et professeur de chinois, nous raconte.
Maintenir vivante la culture pop de Hong Kong
La bande dessinée permet-elle la création de liens entre la France et Hong Kong ?
De même que Taïwan et la Corée du Sud utilisent depuis bientôt dix ans la culture pop comme soft power (avec talent côté coréen), il est essentiel que la culture pop de Hong Kong demeure vivante et que ses partenaires occidentaux dans le ciné, la BD, et j’en passe… soutiennent les auteurs hongkongais qui s’efforceront de continuer à la faire vivre. En réalité, je pense même qu’il s’agit d’un devoir.
Quelle est la place de la bande dessinée hongkongaise en France ?
Anecdotique. Anecdotique au sein même de la production asiatique, même si des dessinateurs comme Chi Hoi, Li Chi-tak ou Lau Kwong-shing comptent désormais parmi les auteurs de la BD d’auteur aussi dite expérimentale auxquels les éditeurs français vont continuer à s’intéresser de près. La collaboration de Chi Hoi avec Kongkee (éd. Atrabile) méritent d’être soulignée. Je ne suis pas fan de Chi Hoi (les goûts et les couleurs…) mais Kongkee est un artiste qui pourrait beaucoup compter dans les années à venir. Ce dernier propose d’ailleurs depuis début décembre une exposition à Tai Kwun, nommée Warring States Cyberpunk, qui y restera jusqu’en mars 2024. Je vous incite à aller la voir, son travail est bluffant et très nouveau dans son genre.
Pourquoi traduire de la bande dessinée dans un pays où elle est si ancrée dans la culture ?
La BD est depuis longtemps et restera vraisemblablement longtemps encore l’un des modes d’expression artistique populaire les plus directs, les moins coûteux et les plus originaux. A partir de la « BD roman » des années 70-80, rebaptisée Roman graphique sous l’influence du marketing américain, une ou deux générations de lecteurs sont passés de la BD pour enfant/ados à une BD adulte aux thèmes aussi riches que ceux du cinéma d’auteur, aiguisant leur curiosité. Découvrir un territoire via sa production graphique est aussi désirable que d’en arpenter les sentiers ou de goûter à sa gastronomie.
Quelle est la distribution de la bande dessinée hongkongaise en France ?
Outre les grandes maisons (Casterman…) ou leurs filiales (comme Kana, qui appartient en fait à Media Participations), des maisons indépendantes comme notamment Atrabile ou Rue de l’Echiquier (collection BD) ont beaucoup fait pour faire découvrir les auteurs hongkongais.
Les artistes hongkongais ont toujours été créatifs
Pourquoi traduire certaines bandes dessinées plutôt que d’autres ?
Pour un traducteur, une traduction littéraire, même en BD, constitue un investissement humain considérable. Vous travaillez très largement à perte. C’est une activité chronophage jusque dans des détails inattendus. Il est vital pour un traducteur de croire en l’œuvre qu’il adaptée en français, notamment depuis une langue asiatique. Je ne m’imagine plus traduire une œuvre que je ne considérerais pas comme extrêmement prometteuse. Je m'intéresse tout particulièrement aux bandes dessinées hongkongaises. Parce que la créativité et l’originalité des artistes hongkongais jusqu’à la fin des années 2010 en faisaient l’avant-garde du monde chinois. Hong Kong est un territoire de culture chinoise, mais les influences internationales propulsent les artistes hongkongais depuis des décennies dans un environnement où les autres artistes, de Singapour à Pékin en passant par Taipei, n’atteindront à des rythmes différents que des décennies plus tard.
J'ai un faible pour les auteurs indépendants
Quelles bandes dessinées recommanderiez-vous pour mieux comprendre Hong Kong ?
J’aimerais ici mettre en lumière des auteurs quasi exclusivement indé’. J’ai un faible pour Hongkongworker 職人阿港. Il ne s’exprime qu’en cantonais et je ne comprends qu’un strip sur deux. C’est un artiste ultra militant, parfois trash qui mériterait qu’on s’y attarde.
Si Lai Tat-Wing mérite qu’on parle de lui, c’est notamment parce que son œuvre est souvent muette et donc accessibles aux bédéphiles non sinophones.
De même que dans certains ouvrages de Li Chi Tak, son travail est orienté sur une forme de fantastique contemporain dans lequel il est difficile de démêler un message. Les passionnés de BD devraient cependant s’intéresser à cet auteur incroyable qui demeurera de toute évidence dans les annales comme une figure majeure de la BD underground.
Stella So est une conteuse. Elle conte mieux que personne les hauts faits du quotidien des quidams des différents quartiers dont elle se fait aussi l’historienne, se livrant aussi sur ses relations avec son attachante mère, sur ses misères de célibataire, sur sa cohabitation avec son chat. Pour des touristes qui souhaiteraient percer tous les secrets de la vie des habitants de ce territoire, Stella So serait la guide idéale.
A nouveau, pour les bédéphiles et amateurs de dessins animés indé, il faut enfin et surtout découvrir de toute urgence l’exposition Warring States Cyberpunk, dirigée par Kongkee, l’un des plus brillants artistes de Hong Kong, auquel le groupe Blur lui-même a fait appel par le passé pour un projet collectif lors de leur tournée en Asie.