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Beyrouth en deuil, l’Allemagne se souvient de la catastrophe d’Oppau

explosion Oppau BASF Allemagneexplosion Oppau BASF Allemagne
© Pixabay
Écrit par Anaïs Kelly
Publié le 13 août 2020, mis à jour le 13 août 2020

Il y a près d’un siècle, la ville d’Oppau en Allemagne a été détruite par une explosion de nitrate d’ammonium. Aujourd’hui, Beyrouth est ravagée par la catastrophe liée à cette substance de plus en plus critiquée qui a fait 171 morts, 6 500 blessés et endommagé près de 8 000 bâtiments.

Mardi 4 août en début d’après-midi, un gigantesque souffle se fait ressentir jusqu’à Chypre, à 200 km de la capitale libanaise. Une explosion a eu lieu dans la zone du port, rasant le secteur et détruisant la ville. Le produit mis en cause n’est autre que le nitrate d’ammonium, dont on suppose que 2 750 tonnes stockées dans un hangar auraient explosé, la secousse étant tellement forte qu’elle fut même enregistrée par des appareils sismiques rappelant le drame d'Oppau à la mémoire des Allemands.


Le nitrate d’ammonium, une bombe à retardement

Le nitrate d’ammonium est une substance chimique la plupart du temps utilisée dans la fabrication d’engrais mais aussi d’explosifs. Il est fabriqué à partir d’ammoniaque et d’acide citrique. Très sensible, il se présente sous forme de petits granulés blancs, qu’on achète souvent en grande quantité avant de les stocker. Le produit est dit comburant, ce qui signifie que lui-même ne peut pas prendre feu seul mais qu’il permet la combustion d’une autre substance déjà en feu. C’est pour cette raison que ses normes de stockage sont extrêmement strictes : il faut par exemple le protéger de la chaleur car à partir de 32,2 degrés, la disposition des atomes du produit commence à changer, ce qui signifie que ses propriétés sont modifiées. Dès 170 degrés, le nitrate d’ammonium se décompose en eau, azote et oxygène, et prend des propriétés explosives. Il est recommandé de ne pas stocker de trop grandes quantités dans un même entrepôt sous risque que le nitrate d’ammonium ne se réchauffe. Dans le port de Beyrouth, les 2 700 tonnes étaient stockées dans un entrepôt depuis 6 ans. De plus, le stock était placé non loin de réserves de feux d’artifices, qu’on suspecte être à l’origine de l’incendie.

Les dangers du nitrate d’ammonium sont connus depuis bien longtemps et ce n’est pas la première fois qu’une catastrophe a lieu à cause de cette substance. Les Français se rappellent par exemple de l’accident gigantesque qui s’est produit à l’usine AZF de Toulouse le 21 septembre 2001, qui a fait 31 morts et 2 500 blessés et dont le souffle de l’explosion s’est fait ressentir à 80 km à la ronde.

 

nitrate d'ammonium stockage
Capture d'écran Youtube - Stockage de nitrate d'ammonium 

 


Oppau, l’une des premières tragédies liées au nitrate d’ammonium

En Allemagne c’est la tragédie d’Oppau, survenue le 21 septembre 1921, qui reste gravée dans les mémoires comme l’une des plus grandes explosions civiles de l’Histoire. Ce matin là, un silo contenant un mélange de 4 500 tonnes de sulfate d’ammonium et de nitrate d’ammonium a explosé, blessant 2 000 personnes et tuant 559 victimes dont 99 n’ont pas été retrouvées parmi les débris. Cette catastrophe est alors l’une des premières liée aux petits granulés blancs. Elle s’est déroulée sur le site de synthèse d’ammoniac de l’usine BASF à Oppau en Rhénanie-Palatinat. A cette époque, on observe une augmentation de l’utilisation d’engrais par les agriculteurs. Des usines comme celles d’Oppau, commune rattachée à Ludwigshafen en 1938, en produisent donc en continu avant de faire d’énormes stocks. Le mélange de sulfate d’ammonium et de nitrate d’ammonium pouvait ainsi avoir tendance à s’agglutiner et provoquer des explosions pour engendrer un relâchement était dans la procédure habituelle, et aurait été réalisée environ 20 000 fois avant le drame.

A 7 heures 32 minutes et 14 secondes, une première explosion se produit, suivie quelques secondes plus tard d’une deuxième, encore plus violente. Le souffle se serait fait ressentir jusqu’à Munich, soit à presque 400 km, mais aussi à Zurich et Göttingen. Dans la cathédrale de Worms, tous les vitraux médiévaux se sont brisés et à Heidelberg, un tramway a déraillé. Des dégâts matériels se seraient produit jusqu’à une distance de 75 km. Sur place, les journaux de l’époque rapportent des flammes de 100 mètres de haut. Les rues d’Oppau ressemblaient alors à une scène de guerre : 3 750 bâtiments ont été détruits et 1 860 personnes se sont retrouvées sans abri du jour au lendemain. Les dommages matériels ont été estimés à 321 millions de marks. Sur le site, un cratère de 165 mètres de long, 96 mètres de large et d’une profondeur de 18, 5 mètres s’est formé. A titre de comparaison, le plus grand cratère provoqué par l’Armée anglaise en Flandre durant la Première Guerre mondiale avait une largeur de 130 mètres et une profondeur de 12 mètres…

Une vague de solidarité s’est alors mise en place à travers tout le pays : campagnes de dons, collectes de nourriture, meubles, vêtements… afin de réparer les dégâts. Le gouvernement du Reich débloqua de son côté 10 millions de marks. Le 24 septembre 1921, soit trois jours après la catastrophe, 24 millions de marks avaient déjà été récoltés. Des organisations étrangères n’ont elles aussi pas hésité à se montrer généreuses avec les victimes d’Oppau, comme le Comité central de secours de la ville de New-York ou encore la Croix Rouge suédoise.

 

Oppau cratère explosion
Capture d'écran Youtube - Suite à l'explosion, un cratère de 165 mètres de long, 96 mètres de large et d’une profondeur de 18, 5 mètres s’est formé sur le site d'Oppau.

 


Postérité de l’explosion d’Oppau

BASF qui s'est immédiatement dédouanée de toute responsabilité juridique, vit les charges à son égard abandonnées en 1923, faute de preuves de négligence.

La gravité de l’explosion a mis le doute chez beaucoup quant aux réelles causes de l’incident, et dans le contexte post Seconde Guerre mondiale, on n’a pas manqué de voir émerger des théories du complot : la presse des Alliés de la Triple Entente – comme le New York Times, Daily Telegraph et le Wall Street Journal - suspectait l’Allemagne de chercher à obtenir des armes et notamment des bombes (ce qui lui était interdit par le Traité de Versailles).

En Allemagne, le nitrate d’ammonium relève de la législation concernant les explosifs : en effet, la substance s’est aussi avérée comme très populaires chez les terroristes, par exemple dans l’attentat contre le bâtiment fédéral d’Oklahoma City aux États-Unis en 1995 ou plus récemment dans l’attentat à la voiture piégée du terroriste d’extrême droite Behring Breivik à Oslo en 2011. Les attaques ont respectivement tué 166 et 8 personnes.

En mai 2020, le journal « Times of Israël » a révélé que les services secrets israéliens auraient averti les autorités allemandes de centaines de kilos de nitrate d’ammonium stockés par des partisans du groupe terroriste islamique Hezbollah dans le sud du pays. Ce bras militaire du « Parti de Dieu », considéré depuis 2013 comme groupe terroriste par l’Union Européenne compterait environ 1 050 adeptes en Allemagne.

 

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