Dans un contexte post-pandémique difficile pour la culture, ATH, un théâtre indépendant situé à Tây Hồ, s’efforce de redonner vie à l’art vivant à Hanoï. Entre formations artistiques, spectacles innovants et initiatives communautaires, l’organisme mené par Quentin Delorme se bat pour rassembler artistes et public autour d’une vision inclusive et autofinancée de la scène culturelle. Retour sur leurs défis actuels.
ATH est l’un des rares organismes internationaux indépendants à offrir un accès à l’art vivant aux habitants de Hanoï. Ce petit théâtre de près de 100 sièges propose des représentations chaque week-end, tout en formant la jeunesse et les artistes confirmés à se produire sur scène. Cette année, leur tournée Ngay Xưa a rencontré un grand succès et continuera d’attirer du public les 7, 8, 21 et 22 décembre prochains. Leur festival Winter Fest 2024 promet également de séduire les spectateurs, en rassemblant petits et grands autour de pièces créées dans leurs locaux à Tây Hồ.
« La maladie du XXIᵉ siècle, c’est que l’art vivant est en chute libre. »
Quentin Delorme, directeur d’ATH, explique : « Les personnes qui participent à nos cours sont généralement des étrangers ou des Vietnamiens intéressés par la dimension internationale de notre structure. Nos cours sont dispensés en anglais, en français, et nous travaillons aussi en vietnamien. Notre clientèle est plutôt aisée, mais nous restons ouverts humainement et accueillons également des personnes avec des budgets plus limités en échange de quelques coups de main, par exemple pour nos festivals. »
« On a du mal à retrouver le public d’avant. »
L’équipe d’une vingtaine de personnes de l’ATH s’investit également dans le programme Neighbourhood Theatre, qui rapproche chaque semaine la jeunesse hanoïenne des arts de la scène. Ce programme invite des compagnies professionnelles, des organisations et des groupes privés à participer à des activités artistiques. L’objectif ? Améliorer les compétences professionnelles, renforcer la cohésion d’équipe et optimiser la performance au travail des participants, qu’ils soient étudiants, employés ou particuliers. Malgré des initiatives innovantes, l’organisme peine à se relever des conséquences du COVID-19. « On a du mal à retrouver le public d’avant », confie Quentin Delorme. « La maladie du XXIᵉ siècle, c’est que l’art vivant est en chute libre. » L’homme, aux cheveux en bataille et au sourire amical, est arrivé au Vietnam il y a près de 15 ans.
L’impact mondial de la pandémie sur l’art vivant
Au Vietnam, des festivals d’art prestigieux continuent de recevoir le soutien du ministère de la Culture vietnamien, comme le Festival national de Cai Luong 2024, ainsi que le Festival national de théâtre dramatique et d’autres événements. Ces manifestations parviennent à conquérir leur public, mais pour le théâtre indépendant international au Vietnam, les défis sont tout autres. Selon Quentin Delorme, le manque d’intérêt du public pour les événements culturels n’est pas un problème propre au Vietnam, mais un phénomène mondial. La pandémie a transformé la manière dont le grand public consomme la culture. Pour faire face à cette nouvelle dynamique mondiale, le Vietnam a investi dans des campagnes de sensibilisation et des initiatives visant à stimuler la participation, comme les festivals culturels et la promotion des sites touristiques via des plateformes numériques.
« On se dit qu’il y a encore besoin de gens pour maintenir tout ça. »
« Après la pandémie de COVID, nous avons eu du mal à relancer les projets que nous avions mis en place avant. On s’était dit qu’une fois les sites culturels rouverts, tout repartirait, mais ce n’est pas le cas », explique Quentin Delorme, qui a dû fermer l’un de ses anciens centres à Long Biên pendant la période de confinement. « Ce qui m’inquiète, c’est que même le monde de la musique souffre encore des conséquences de la pandémie. Certes, il y a de plus en plus de bars et de cafés, mais des lieux emblématiques comme le Hanoï Rock City sont confrontés à des problèmes similaires aux nôtres », affirme l’artiste. Le regard pensif, il ajoute : « Sur la scène de l’art vivant depuis 15 ans, j’ai l’impression qu’on stagne un peu, je veux dire artistiquement parlant. Ça fait 15 ans qu’on voit la même chose, même les directeurs et tout ça ne bougent pas. »
Pour faire face à ces nouvelles dynamiques, Quentin s'accroche à l’espoir qu’une nouvelle manière de proposer de l’art vivant verra le jour. « On se dit qu’il y a encore besoin de gens pour maintenir tout ça. On n’est pas les seuls à Hanoï, ni dans le monde entier, même si le public devient de plus en plus rare. »
Construire un écosystème autonome autour de l’art vivant
Contrairement aux théâtres publics subventionnés par le gouvernement, l'ATH ne bénéficie d'aucune aide financière. « Le principal problème à Hanoï, c’est que chacun reste dans son coin, et les artistes (d'art vivant) ne se rencontrent jamais. Il y a plein de microcosmes, et notre but est de regrouper tout le monde. Nous cherchons à créer un écosystème artistique autofinancé », explique Quentin Delorme. Leur nouvelle pièce, Ngay Xưa, a vu le jour grâce au soutien de l’Institut français de Hanoï. « Malheureusement, l’institut ne peut pas nous accompagner sur chaque projet, donc nous devons nous organiser autrement », poursuit-il.
Le directeur s’efforce d’ouvrir un maximum d’opportunités aux artistes locaux. « Notre objectif était d’ouvrir un lieu dédié à cela. Avec nos professeurs, qui sont également des artistes actifs dans leur domaine, nous tentons de mettre en place un système permettant aux artistes de donner des cours le matin, de créer l’après-midi et de vivre pleinement de leur art. Petit à petit, avec le cumul de toutes ces initiatives, nous espérons leur permettre d'en vivre. Nous en sommes encore aux débuts – cela fait un an et demi – mais ça commence à prendre forme. » ATH n’est pas le seul organisme à promouvoir un théâtre indépendant. Le Goethe-Institut de Hanoï encourage également la jeunesse vietnamienne à s'intéresser au théâtre contemporain et à élargir ses horizons. « Dans le cinéma, il existe encore de nombreuses opportunités d’emploi, mais dans l’art vivant, c’est plus complexe. L’idée est aussi de donner de l’espoir à ces jeunes talents », ajoute Quentin Delorme.
En animant des cours de théâtre pour les jeunes, notamment avec l’initiative Neighbourhood Theatre, l’ATH cherche à raviver l’intérêt des jeunes pour cette discipline et à les sensibiliser. Ce genre d’initiative porte déjà ses fruits : une ancienne élève de Quentin a récemment ouvert son propre site d'art vivant à Long Biên, et l’organisme ACA y propose des cours de théâtre en vietnamien tout en organisant des événements. « Pour Ngay Xưa, nous allons collaborer avec le Lycée français, qui prévoit de faire venir deux bus d’élèves pour des représentations en journée. La Vietnam International School nous a également commandé un projet. L’ambassade prévoit de nous soutenir en achetant de nombreux billets. Par ailleurs, nous commençons à proposer des séances de théâtre privé pour des entreprises et institutions, et des agences de voyages envisagent d’intégrer nos spectacles dans leurs catalogues pour offrir une alternative culturelle unique », conclut Quentin Delorme.