L'ex-PDG de France Télécom Didier Lombard a plaidé son innocence et dit avoir été "marqué à vie" par les "souffrances" de ses anciens salariés, mercredi à Paris à l'ouverture du procès en appel d'anciens dirigeants du groupe pour harcèlement moral institutionnel.
M. Lombard et l'ancien numéro 2 Louis-Pierre Wenès avaient été sanctionnés, le 20 décembre 2019 en première instance, d'un an de prison, dont huit mois avec sursis, et 15.000 euros d'amende, une condamnation inédite à la suite d'une série de suicides de salariés.
"Des faits que je conteste avoir commis", a déclaré devant la cour M. Lombard. Il y a "des choses que j'aurais voulu éviter (...) mais qui ne sont pas la conséquence de mesures décidées de façon centralisée", a poursuivi l'ancien patron, âgé de 80 ans.
M. Wenès a lui évoqué un "jugement humainement difficile", qui l'a "rempli de colère, d'émotion et d'incompréhension".
En 2019, le tribunal avait relevé leur "rôle prééminent" dans la mise en place d'une politique de réduction des effectifs "jusqu'au-boutiste" sur la période 2007-2008 chez France Télécom, devenue Orange en 2013.
- "Complot à trois" -
Jusqu'au 1er juillet, les deux anciens dirigeants comparaissent avec quatre autres ex-responsables de l'entreprise, sanctionnés de quatre mois de prison avec sursis et 5.000 euros d'amende en première instance, pour complicité de harcèlement moral.
Tous étaient présents à l'audience à laquelle ont assisté une quarantaine de parties civiles.
Je suis venue "pour soutenir tous nos collègues (parties civiles NDLR) et ne pas oublier toutes les victimes que ça a pu faire dans notre entreprise", a dit à la presse Annie Martin, salariée de la société depuis 1983.
"Cette affaire a été un drame épouvantable et c'est une épreuve. Et tant que le dossier ne sera pas terminé, ce sera une épreuve et une plaie ouverte", a affirmé Me Jean-Paul Tessonnière, avocat de plusieurs parties civiles.
Entreprise devenue à la fin des années 2000 le symbole de la souffrance au travail et première société du CAC 40 condamnée pour un "harcèlement moral" institutionnel, France Télécom n'avait de son côté pas fait appel du jugement qui l'avait sanctionnée de l'amende maximum, 75.000 euros.
Le groupe, reconnaissant "la souffrance de ses salariés" mais démentant être "un terreau de harcèlement généralisé", souhaitait ainsi "tourner une page d'une partie de (son) histoire" a indiqué mercredi son représentant.
L'ex-DRH de l'entreprise, Olivier Barberot, condamné à un an de prison, dont huit mois avec sursis, et 15.000 euros d'amende, s'était désisté de l'appel initialement interjeté.
Tous les prévenus avaient par ailleurs été condamnés à verser solidairement plus de 3 millions d'euros de dommages et intérêts aux parties civiles, anciens employés et familles de victimes.
Dans son jugement, le tribunal correctionnel avait insisté sur l'ampleur du harcèlement moral qui s'était propagé du sommet à l'ensemble du groupe en notant qu'il avait "eu pour cible plusieurs dizaines de milliers" de personnes.
"Nous accuser d'avoir mis en place un complot à trois (MM. Lombard, Wenès et Barberot NDLR) pour harceler les salariés, c'est méconnaître le fonctionnement d'une société comme France Télécom", a souligné M. Lombard. "Aucun mouvement ne peut être décidé sans consultation des comités locaux" où siègent les salariés, a-t-il plaidé.
- " A marche forcée" -
Le tribunal avait scruté les cas de 39 salariés: 19 s'étaient suicidés, 12 avaient tenté de le faire et huit avait connu un épisode de dépression ou un arrêt de travail.
Courant 2006, la direction de France Télécom, privatisée deux ans plus tôt, avait mis en œuvre une politique de déflation massive des effectifs visant 22.000 départs et 10.000 mobilités via deux plans de 2007 à 2010, la période sur laquelle porte le procès.
Cette politique répondait à "la nécessité de poursuivre la transformation du groupe" face aux défis technologiques de l'évolution vers le numérique et à "une concurrence exacerbée", a estimé mercredi M. Lombard.
A l'audience en 2019, les prévenus avaient parlé de départs volontaires. Un "simple affichage", avait estimé dans son jugement le tribunal, pour qui la direction, alertée du caractère "inaccessible" de l'objectif de 22.000 départs, avait fait le choix "d'une politique à marche forcée" à l'aide de moyens "interdits".
Par des mutations fonctionnelles ou géographiques forcées, baisses de rémunération, ou encore mails répétés incitant au départ, les dirigeants avaient, selon le jugement, "dégradé les conditions de travail des agents de France Télécom afin d'accélérer leurs départs définitifs de l'entreprise".