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Serge Braun, Téléthon : "Étudier les maladies rares bénéficie à tous"

Serge Braun, directeur scientifique de l'AFM-TéléthonSerge Braun, directeur scientifique de l'AFM-Téléthon
Serge Braun, directeur scientifique de l'AFM-Téléthon
Écrit par AFM-Téléthon
Publié le 27 avril 2021, mis à jour le 28 avril 2021

Le Téléthon finance chaque année des travaux de recherche destinés à soigner les maladies génétiques rares. Depuis 1990, leurs laboratoires développent des thérapies qui pourraient bien dépasser les frontières de ces maladies peu courantes.

Directeur scientifique de l’AFM-Téléthon, Serge Braun suit de près les avancées faites par les laboratoires du Téléthon depuis leur création. Des recherches lancées il y a des dizaines d’années commencent aujourd’hui à porter leurs fruits et de plus en plus de traitements arrivent sur le marché.

Alors qu’ils sont prévus pour traiter des pathologies rares, Serge Braun nous explique en quoi ces recherches ont contribué à la recherche toute entière et pourraient bien aider à soigner des maladies bien plus communes.

 

Le Téléthon a contribué à des grandes avancées en recherche fondamentale, en quoi ont-elles contribué à la recherche en général ?

William Harvey, un médecin anglais du 17ème siècle, a dit « Jamais la nature ne se dévoile autant que lorsqu'elle s'éloigne des sentiers battus ». Autrement dit : « il n’y a pas de meilleur moyen pour faire progresser la médecine que d'étudier les maladies les plus rares afin de percer à jour les lois de la nature ». Dans n’importe quel système, que ce soit pour l’organisme ou pour un moteur, pour comprendre comment il fonctionne, il faut retirer une pièce et observer les conséquences. Etudier les maladies rares permet de mettre le doigt sur des mécanismes fondamentaux.

 

Grâce à cette initiative, la recherche en général a gagné 10 à 15 ans

 

Quand le Généthon a été créé au début des années 90, l’enjeu était d’identifier les gènes responsables des maladies rares. Seule une poignée d’entre eux étaient alors connus et il fallait 10 ans à un laboratoire pour identifier un gène. Généthon a alors monté un laboratoire unique au monde, dans lequel des robots découpaient l’ADN afin que les chercheurs puissent les étudier et les localiser plus efficacement et ainsi identifier les gènes potentiellement responsables de maladies. Grâce à cette initiative, la recherche en général a gagné 10 à 15 ans.

En identifiant des gènes responsables de formes génétiques de la maladie de Parkinson ou de formes génétiques de la maladie d’Alzheimer, il a été possible de comprendre des mécanismes très importants de la survie des neurones et qui sont applicables indépendamment de maladies génétiques. Il a été possible de mettre en évidence les mécanismes fondamentaux de la division cellulaire, la multiplication des cellules, en étudiant des maladies qui conduisent à des cancers fréquents qui sont génétiques.

Par exemple, il existe une maladie très rare, la progeria, qui se caractérise par un vieillissement prématuré. Les enfants ont l’apparence de personnes âgées et ont toutes les maladies qui incombent à l’âge. Les protéines impliquées dans cette maladie sont aussi les protéines responsables de la vieillesse chez chacun d’entre nous. La maladie l’accélère chez les malades mais opère à petite vitesse chez nous. Comprendre les gènes et les mécanismes en cause permet de comprendre le vieillissement en général.

 

Un chercheur du Généthon travaillant sur la myopathie de Duchenne
Un chercheur du Généthon travaillant sur la myopathie de Duchenne 

 

Quelles sont les avancées thérapeutiques effectuées par le Généthon qui vont au-delà des maladies rares ?

Nous travaillons sur des thérapies qui sont applicables à des maladies très fréquentes. Ce qui découle naturellement de la découverte des gènes ce sont les thérapies géniques. Le principe est de délivrer une version saine du gène qui est défectueux et responsable de la maladie génétique. Pour cela, il faut réussir à ce que le gène entre dans les cellules du patient. Quand vous mangez du poisson ou du poulet, vous récupérez leur ADN mais vous n’allez pas développer d’écailles ni de plumes car l’organisme détruit l’ADN. Alors il faut envelopper l’ADN thérapeutique et pour cela ce qui marche le mieux est d’utiliser des virus. On enlève à ces virus les gènes qui les rendent nocifs et à la place on met l’ADN-médicament qu’on veut délivrer. Comme une lettre à la poste : on la met dans une enveloppe et ça arrive à destination !

Ces thérapies géniques ont par exemple permis de soigner des cécités génétiques comme l’Amaurose congénitale de Leber, une maladie avec laquelle on perd la vision avant 20 ans. La thérapie génique est au point pour cette maladie. On  peut maintenant utiliser la même technique pour délivrer des gènes qui pourraient soigner la dégénérescence maculaire liée à l’âge, qui n’est pas une maladie génétique et qui touche 30 à 40% des personnes âgées mais pour laquelle des gènes peuvent bloquer les processus anormaux.

Il y a maintenant des thérapies géniques qui sont développées dans le cancer, et qui découlent directement de thérapies mises au point dans les maladies rares. En soignant les « bébés bulles », des bébés avec un déficit immunitaire sévère, contraints de vivre sous une bulle stérile, nous avons développé une thérapie qui consiste à prélever de la moelle osseuse, y ajouter le gène manquant puis les réinjecter aux malades qui vont alors se mettre à fabriquer de nouveau des globules blancs. Aujourd’hui, cette immunothérapie peut permettre de soigner des cancers et de nombreux médicaments arrivent sur le marché sur la base de cellules sanguine des malades et qui sont armées génétiquement contre les tumeurs.

On peut aussi traiter des maladies infectieuses grâce à la thérapie génique. Et l’actualité nous donne raison. Que ce soient les vaccins Moderna ou Pfizer qui utilisent de l'ARN ou Astra-Zeneca et Johnson et Johnson qui utilisent des adénovirus modifiés, ce sont des technologies de thérapie génique.

D’autres thérapies sont utiles en dehors des maladies rares. A partir de thérapies géniques de maladies génétiques du cerveau on commence à voir apparaitre des essais cliniques pour des maladies comme Parkinson ou d’autres maladies neurodégénératives.

Avec le système des thérapies cellulaires, on peut maintenant reconstruire des cellules de la rétine. Il y a aussi un essai qui se prépare de greffe de peau reconstituée qui concerne au-delà des maladies génétiques de la peau, les grands brulés ou les ulcères qui ne cicatrisent plus chez les diabétiques.

 

 

Quelle est la différence entre le Téléthon et un laboratoire public comme l’INSERM ?

Nos missions ne sont pas les mêmes. L'INSERM a principalement des missions de recherches fondamentales mais aussi dans le domaine de la santé. L’objectif est l’excellence de la recherche sans nécessairement de stratégie définie. Le cas du Généthon est différent, la recherche y est programmée. Il y a des objectifs bien précis et des technologies à inventer mais toujours dans le but de trouver des traitements pour les maladies incurables. La finalité n'est pas la même.

 

Aujourd’hui nous sommes en mesure de traiter des maladies jusqu’alors dites « incurables »

 

Cet objectif fait que nous allons étudier toutes les pistes qui valent la peine, y compris celles qui paraissent les plus folles. Mais avec une détermination qui est la rage des familles et des malades. Je pense que ça permet d'aller plus loin dans l’innovation.

Alors qu’aucune recherche privée ne voulait se lancer sur les cartes du génome, le Généthon l’a fait. De même pour la thérapie génique, personne n’y croyait et on nous a souvent critiqué de faire ce pari. Nous avons prouvé que c’était possible. Sans le Téléthon, la thérapie génique n’aurait jamais progressé comme elle l’a fait et aujourd’hui nous sommes en mesure de traiter des maladies jusqu’alors dites « incurables ».

Evidemment nous nous appuyons aussi beaucoup sur des partenariats public/privé. Au sein du Généthon il y a une unité INSERM. Les liens avec le monde académique sont très forts et nous en avons aussi avec le monde des Biotechs et de la Pharma. Pour mettre au point des médicaments, il faut tous ces acteurs.

 

Ce problème de santé publique a trop longtemps été ignoré

 

Le Téléthon fait parfois l’objet de critiques. L’une d’elles reproche que tant d’argent soit investi dans des maladies très rares au lieu de consacrer ces fonds à des maladies plus courantes. Que leur répondez-vous?


Je trouve que ces critiques n’ont pas de sens. Comme je l’ai expliqué, les recherches sur les maladies rares peuvent bénéficier à beaucoup d’autres pans de la médecine. Et contrairement aux maladies dites fréquentes, l’industrie pharmaceutique ne s’y intéressait pas, faute de marché suffisant. Le Téléthon a démontré toute la légitimité des familles, des malades, des donateurs, autrement dit de la société civile en tant qu’acteur de la recherche.

Ensuite, tout le monde peut être concerné par les maladies rares puisque ces maladies touchent quand même 350 millions de personnes dans le monde. Ce problème de santé publique a trop longtemps été ignoré.

 

Je pense qu’il n’existe pas une seule maladie que l’on pourrait négliger.

 

De dire que les maladies fréquentes ne disposent pas des moyens nécessaires est une erreur, c’est bien le contraire. Des dizaines de milliards sont investis dans chacune des maladies fréquentes. La recherche sur le cancer dispose de dizaines de milliards d’investissements publics et privés chaque année. Ces maladies représentent un marché et donc l’industrie et les Etats investissent beaucoup dedans. Le Téléthon et ses 90 à 80 millions d’euros par an sont une goutte d’eau à côté. Nous sommes venus remplir un petit espace complètement négligé et nous contribuons à l’intérêt général.

Maintenant que nos recherches aboutissent et qu’elles débouchent sur des traitements, l’industrie commence à s’y intéresser, ce qui est une très bonne chose, même si nous sommes encore loin de soutenir la comparaison avec les autres maladies. Je pense qu’il n’existe pas une seule maladie que l’on pourrait négliger.

 

Interview réalisée par Adèle Hourdin