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L’extranéité et le divorce

Extranéité et divorce Extranéité et divorce
Écrit par Notaires de France
Publié le 11 mars 2021, mis à jour le 11 mars 2021

L’évolution du monde actuel est de plus en plus propice à la mixité des nationalités au sein des couples et à la mobilité de ces derniers. Dans un tel contexte, un certain nombre de réflexes sont de rigueur lorsque la mésentente conjugale apparaît. Le notaire Me Frédéric Varin nous en dit plus.

 

Lepetitjournal.com : Un couple d’expatriés français peut-il saisir un juge en France pour faire prononcer leur divorce ?

Me Varin : Pour répondre à cette question, il convient de se reporter au règlement européen n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 (dit « Règlement Bruxelles II bis ») relatif à la compétence des tribunaux en matière de divorce et de séparation de corps. Ce règlement lie tous les États membres de l’Union européenne, à l’exception du Danemark.

Depuis le 1er mars 2005 (date d’entrée en vigueur du règlement), quel que soit le pays d’expatriation, le juge français est compétent si l’un des critères de l’article 3 du règlement est rempli.

Le juge français sera donc compétent pour prononcer le divorce si :

- la résidence des époux est en France,

- la dernière résidence des époux est en France,

- la résidence du défendeur est en France,

- en cas de demande conjointe, si la résidence habituelle de l’un ou l’autre époux est en France,

- si la résidence habituelle du demandeur (s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande) est en France, ou

- si la résidence de l’époux français demandeur depuis au moins six mois avant la saisine du juge est en France

- si les deux époux sont Français.

 

Il convient de noter que les chefs de compétence du règlement sont alternatifs. Un seul des critères ci-dessus suffit à emporter la compétence du juge français. Cette compétence n’exclut néanmoins pas celle du juge d’un autre État.

>Si la situation ne concerne que des États membres qui appliquent ce règlement : les juridictions de plusieurs États membres peuvent être compétentes pour prononcer le divorce.

L’article 19 du règlement Bruxelles II bis prévoit alors une disposition relative à la litispendance : le deuxième juge saisi doit en principe surseoir à statuer en attendant que le premier se déclare sur sa compétence.

 

>Si la situation concerne des États tiers (hors UE) à ce règlement :

Les juridictions d’autres États, dont le droit interne disposerait de chefs de compétence, peuvent également être saisies. Le sursis à statuer de la seconde juridiction saisie sera généralement effectif, mais peut toutefois être sujet à plus d’incertitude en fonction du pays concerné.

Dans les deux cas : on retiendra qu’il est donc important d’agir vite pour saisir le juge français si un autre État est apte à statuer sur le divorce.

C’est ce que l’on appelle dans le jargon juridique le « forum shopping ».

 

Quelle sera la loi applicable au divorce si le juge français est saisi ? Les époux peuvent-ils la choisir librement ?

Tout d’abord, il faut souligner ce que l’on entend par « loi applicable au divorce » : la loi applicable aux causes et à certains effets extra-patrimoniaux du divorce.

Lorsque le juge français est saisi et se déclare compétent : en fonction de la particularité de la situation des époux, la loi applicable au divorce peut varier.

Hormis les mesures provisoires que prend le juge aux affaires familiales qui sont toujours celles prévues par la loi française, le juge français va déterminer la loi applicable au divorce au moyen des instruments suivants :

Trois conventions bilatérales lient la France : la convention franco-polonaise du 5 avril 1967, la convention franco-yougoslave du 18 mai 1971 (applicable uniquement entre la France et le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine et la Slovénie), et la convention franco-marocaine du 10 août 1981. Cette dernière convention soumet la dissolution du mariage à la loi nationale commune des époux, ou à défaut, la loi de leur domicile commun ou de leur dernière résidence commune.

Si la situation ne rentre pas dans le champ d’application de ces conventions, c’est le règlement (UE) n° 1259/2010 du 20 décembre 2010 dit Rome III, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps qui s’applique pour déterminer la loi applicable.

 

L’article 8 du Règlement Rome III dresse une liste de facteurs hiérarchisés de rattachement :

a) loi de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction; ou, à défaut,

b) loi de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que cette résidence n’ait pas pris fin plus d’un an avant la saisine de la juridiction et que l’un des époux réside encore dans cet État au moment de la saisine de la juridiction; ou, à défaut,

c)  loi de la nationalité des deux époux au moment de la saisine de la juridiction; ou, à défaut,

d) loi dont la juridiction est saisie.

 

L’article 5 permet au couple de déroger à ce rattachement et de choisir la loi applicable à leur divorce parmi les lois suivantes:

a) la loi de l’État de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion de la convention; ou

b) la loi de l’État de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que l’un d’eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention; ou

c) la loi de l’État de la nationalité de l’un des époux au moment de la conclusion de la convention; ou

d) la loi du for.

Attention : Les effets du divorce relatifs au patrimoine du couple et aux obligations alimentaires échappent en réalité à la loi du divorce et obéissent souvent à des dispositifs spéciaux.

 

Quels sont ces dispositifs ?

Les effets patrimoniaux (effets sur les biens) du divorce obéissent au droit commun pour les époux mariés avant le 1er septembre 1992, à la convention de La Haye du 14 mars 1978 pour les époux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 29 janvier 2019 et au règlement UE 2016/1103 dit « règlement régimes matrimoniaux » applicable aux couples mariés à compter du 29 janvier 2019. Au moyen de ces instruments le juge déterminera le régime matrimonial du couple et les effets qui en découlent sur leur patrimoine.

La prestation compensatoire obéit au règlement (CE) n° 4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires.

En général, si le juge français se déclare compétent pour connaître du divorce, il sera souvent compétent également pour statuer sur la demande de prestation compensatoire selon l’article 3 du règlement.

La loi applicable aux obligations alimentaires est prévue par le protocole de La Haye du 23 novembre 2007 qui en principe, donne compétence à la loi de la résidence habituelle du créancier d’aliments.

 

Le divorce conventionnel, aussi appelé divorce sans juge, est-il opportun dans le cadre d’un divorce comportant des éléments d’extranéité ?

Avec ce type de divorce, les ex-époux ne disposent ni d’un jugement, ni d’un acte authentique, ce qui s’avèrera très problématique pour sa reconnaissance et son exécution à l’étranger.

Notamment, il ne peut être exclu que ce type de divorce ne soit pas reconnu ou exécuté dans certains États, en particulier dans des États tiers (hors UE).

Dans un autre État membre de l’Union européenne, selon la circulaire du ministère de la Justice n°CIV/02/17 en date du 26 janvier 2017, le règlement (CE) dit « Bruxelles II bis » prévoit un régime de libre circulation des décisions en rendues en matière matrimoniale et de responsabilité parentale, qui s’applique aux accords entre parties exécutoires dans l’État membre d’origine, lesquels sont reconnus et rendus exécutoires dans les mêmes conditions que des décisions (article 46).

Pour les divorces intra-européens, en vertu du nouvel article 509-3 issu du décret n°2016-1907 du 28 décembre 2016, les parties peuvent demander au notaire qui a déposé au rang de ses minutes la convention de divorce de leur délivrer l’un des certificats prévus par le règlement Bruxelles II bis. Par dérogation à l’article 509-1 du Code de procédure civile, sont présentées au notaire au rang des minutes duquel la convention est déposée les requêtes aux fins de certification de ladite convention en application de l’article 39 du règlement Bruxelles II bis (certificat concernant les décisions en matière matrimoniale et certificat concernant les décisions en matière de responsabilité parentale).

Il n’est en revanche pas prévu que le notaire délivre aux parties le certificat de l’article 41 dudit règlement (certificat concernant le droit de visite en cas de conflit parental par exemple), ni celui de l’article 20 prévu par le règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 sur les obligations alimentaires (par exemple en cas de non-versement d’une prestation compensatoire). 

Dans ces hypothèses, la circulaire susvisée prévoit que le recours au juge étranger sera nécessaire pour rendre exécutoire la convention.

Un certain nombre de ces points devraient être améliorés avec l’entrée en application de la refonte du règlement Bruxelles II bis : dit Bruxelles II ter qui interviendra à compter du 1er août 2022. Pour autant, la question des obligations alimentaires restera entière.

Dans un État tiers, la reconnaissance et l’exécution du divorce sans juge seront variables en fonction de l’État en présence et très aléatoires.

 

Quels conseils donneriez-vous à des époux expatriés pour faciliter leur procédure de divorce ?

Il est possible d’anticiper les questions qui vont se poser à l’occasion d’une séparation, notamment en prévoyant un certain nombre de clauses dans un contrat de mariage.

Ces clauses auront pour but de réaliser des choix de lois pour assurer une prévisibilité et une unicité de la loi applicable à la détermination du régime matrimonial, aux causes du divorce, et aux obligations alimentaires.

Ces clauses pourront également avoir pour objet de déterminer, lors de la conclusion du mariage, quelle juridiction sera compétente pour traiter, dans certaines limites, des questions relatives aux obligations alimentaires. 

Il est donc important pour les époux de prendre conseil auprès de leur notaire à chaque étape de la vie du couple.