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Se séparer en expatriation : la double rupture

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Écrit par Justine Hugues
Publié le 28 janvier 2019, mis à jour le 3 décembre 2020

L’expatriation contribue à décupler les effets négatifs d’une séparation.  Dépendance financière de l’un des conjoints, culpabilité de séparer géographiquement les enfants d’un parent : les choix sont d’autant plus cornéliens que les ressources traditionnelles d’écoute et d’assistance font souvent défaut à l’étranger. Regards croisés. 

 

« Une rupture est un processus psychique douloureux qui se dessine en plusieurs étapes : le choc, la recherche de l’autre ou l’évitement, la colère, la dépression puis la reconstruction. Le ressenti est démultiplié en expatriation dans la mesure où il y a déjà eu une séparation avec la famille, le pays, les amis. Il y a donc une double séparation, une double rupture », analyse Dorothée Sibille, psychologue clinicienne basée à Hanoi. 

 

Chez les couples expatriés, les difficultés rencontrées face à l’intégration, la recherche d’un travail, le manque de relations et activités sociales peuvent se traduire par de l’anxiété et des souffrances psychologiques. Or, l’expatriation véhiculant souvent sa cohorte de stéréotypes positifs, il arrive que ces maux soient mis en sourdine, par crainte de renvoyer une image d’échec. D’autant plus que les communautés d’expat’ sont souvent réduites et partant, les rumeurs et jugements libres de circuler facilement. « C’est assez tabou, observe Isabelle Tiné, ancienne expatriée à l’origine du groupe Facebook Expat nanas : séparées, divorcées, qui compte près de 400 membres. Beaucoup de couples enchainent les expatriations et ignorent les difficultés conjugales, par peur d’assumer les conséquences ».  

 

L’altération de l’équilibre du couple entre l’actif et l’inactif, celui qui est en plein essor professionnel et l’autre qui a sacrifié sa carrière risque de conduire à un appauvrissement du lien et de l’estime - de soi et de l’autre. « Si ces décalages se creusent et s’il n’y a pas de discussion, le couple peut vite entamer une guerre de tranchée », observe Dorothée Sibille. 

 

 

Par quoi je commence ?

 

« Tout explose en même temps », raconte Isabelle Tiné. Quand les femmes par exemple n’ont pas de travail, ni véritable soutien amical et familial, elles plongent dans une profonde détresse. La première question qu’elles me posent est souvent : par quoi je commence ? ». Le réflexe de se tourner vers les instances consulaires est fréquemment assorti d’une fin de non recevoir. Les représentants de l’Etat à l’étranger ne sont généralement pas formés à l’écoute et au conseil et les instances sociales françaises ne disposent d’aucun relai à l’étranger.  Les conjoints sont alors tiraillés entre la volonté de rentrer au bercail et l’effroi de la situation précaire qu’implique la séparation géographique, surtout lorsqu’il y a des enfants. « J’ai pensé à rentrer en France mais je n’avais pas de toit, personne pour se porter caution pour un appartement, pas de travail et cela aurait signifié nous arracher à un environnement sûr, dans lequel nous sommes bien » se souvient Cécile, expatriée à Porto. Ici, il y a un côté dolce vita qui fait passer les pilules les plus amères ».

 

« Lorsqu’il y a des enfants, ce n’est plus le couple conjugal qui se sépare, c’est le système familial tout entier qui est déséquilibré, expose Violaine Jourdan, psychologue clinicienne établie à Singapour. Les conséquences psychologiques pour les parents, telles que la tristesse, la colère, l’angoisse, la peur, sont décuplées. Il est assez courant de recevoir des personnes refusant la séparation afin de ne pas être confrontées à la perte réelle qu’implique la séparation avec les enfants ». 

 

Divorcer en France ou dans le pays d’accueil ? Quel type de garde adopter ? Comment assumer les frais et décider d’éventuelles pensions dans l’attente d’un jugement ? Autant de problématiques que les conjoints doivent souvent résoudre de manière isolée, en vivant chaque étape de manière exacerbée. 

 

 

Faire face : entre soutien thérapeutique et réseaux d’entraide

 

« Cela s’apparente à un processus de deuil. Afin d’aider ce travail de deuil à cheminer, il est nécessaire de trouver un soutien et un réconfort », encourage Violaine Jourdan. L’espace thérapeutique - en présentiel ou à distance - signe déjà cette capacité à se confronter à soi et ouvre donc le chemin d’une reconstruction personnelle ». 

 

Au cours des dernières années, le suivi psychologique en expatriation a été rendu possible grâce à des associations telles que le réseau PsyExpat , qui regroupe dans son annuaire les psychologues francophones expatriés. Parallèlement, des structures plus ou moins institutionnalisées et regroupant des femmes ou des hommes en processus de séparation ou déjà séparés ont essaimé, notamment via les réseaux sociaux. « Je suis formée à l’écoute active. Concrètement, il m’arrive souvent de passer plus d’une heure au téléphone avec les membres », indique Isabelle Tiné, à l’origine de l’un de ces groupes.  « J’y ai trouvé un espace de parole libre où je pouvais me lâcher, sans être jugée, reconnaît Cécile, membre d’Expat nanas : séparées, divorcées. Et puis on échange des conseils et du soutien. Finalement, on passe toutes par les mêmes problèmes, qu’ils soient émotionnels ou pratiques. Nous sommes une communauté de déracinées et apprécions de pouvoir nous retrouver en parlant en français »

 

Bien résolue à apporter tout son concours, Isabelle Tiné envisage dans le moyen terme de monter une association qui pourrait prodiguer des conseils et offrir un répertoire de professionnels sur la séparation, à toutes les étapes de l’expatriation. Elle aurait ainsi plus de poids sur les politiques publiques autour de la mobilité internationale. « Des numéros comme le 3919, mis en place pour accompagner les victimes de violences conjugales, ne sont pas joignables si on n’a pas de code postal français » déplore t-elle. En attendant, la solidarité entre personnes ayant des expériences similaires reste un exutoire salutaire. 

 

« Dès que souffrance, tristesse, angoisse et autres émotions désagréables se font ressentir au cours de l’expatriation, ne les laissez pas vous déborder et vous envahir. Toute émotion est une information compréhensible. Écoutez-les pour comprendre ce qu’elles vous disent ! » conclut Violaine Jourdan. 

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