A quelques semaines de l’annonce du « grand plan pour la langue française » par Emmanuel Macron, l’inquiétude règne à la fondation Alliance Française. En proie à des difficultés budgétaires, cet organisme a récemment perdu le tiers de ses administrateurs, dont son président Jérôme Clément. Retour sur les enjeux d’une crise institutionnelle, dans un contexte où les ambitions francophones du gouvernement semblent manquer de moyens.
« Le français est un atout pour l’avenir », déclarait le président Macron lors de son récent voyage en Chine. Une certitude bien éloignée du risque de suppression de postes qui plane sur les employés du boulevard Raspail.
Créée en 2007 et reconnue d’utilité publique, la fondation Alliance Française vise à animer, développer et moderniser un réseau de 834 alliances dans 132 pays. Pour Lucas Pruet, responsable de la pédagogie et de l’innovation numérique, « pendant longtemps, de réseau il n’ y avait que le nom, tant les alliances étaient autonomes. Aujourd’hui, c’est différent : on a un vrai rôle d’accompagnement et de mise en commun des outils ». La fondation est dépositaire de la marque « Alliance Française ». Elle contribue à assurer qu’à Sydney comme à San Pedro Sula au Honduras, la qualité des cours dispensés et des évènements culturels proposés soit au rendez-vous.
Courage, fuyons !
La démission, le 18 janvier, de six administrateurs de la fondation, est principalement due au tarissement des financements prévus et en particulier ceux de l’Alliance Française de Paris Ile-de-France. Celle-ci estime avoir été spoliée et refuse, depuis deux ans, de payer le loyer de ses bureaux qui lui appartenaient, avant d’être cédés à la fondation, lors de sa création. Une ardoise de plus de 700.000 euros et un Etat aux abonnés absents quand il s’agit de renflouer les caisses de la fondation.
Pour Bertrand Commelin, secrétaire général de l’institution, « on est un peu les boucs émissaires dans cette situation. La réalité, c’est que l’Alliance de Paris va mal. Elle subit de plein fouet la concurrence des autres institutions qui dispensent des cours de français. On lui avait demandé d’être à la tête de l’initiative Alliance 2020, mais le contentieux a eu raison de cette collaboration ». Cet ambitieux plan de modernisation vise, entre autres, à protéger la marque, professionnaliser les enseignants et développer le numérique.
Pour M. Pruet, « on commence à peine à voir les fruits de tout ce qu’on a mis en place, la plateforme d’apprentissage en ligne notamment. Il y a 34 alliances qui ont intégré cette modalité dans leur modèle économique, cela paraît assez improbable de les laisser tomber en plein milieu ». Ce représentant du personnel déplore le « gâchis » que constituerait la mise au ralenti, voire la fin, de la fondation. « On sait tous que les outils ne sont rentables qu’après plusieurs années. Les questionnaires annuels envoyés aux Alliances confirment que les besoins sont là et que les avantages d’avoir une tête de réseau sont reconnus », poursuit-il.
Alors, malgré les menaces et les démissions, on n’est pas encore prêt à jeter l’éponge dans le sixième arrondissement de la capitale. « On va louer plus d’espace et faire vivre notre théâtre qui vient de rouvrir. On va réduire nos dépenses et continuer à travailler pour faire face à la concurrence, en termes d’outils numériques notamment », nous dit M. Commelin.
Un ambassadeur à la rescousse
C'est dans ce contexte de fragilisation de la fondation qu’Emmanuel Macron a récemment missionné M. l'ambassadeur Pierre Vimont, diplomate reconnu, pour réfléchir aux solutions. Parmi elles, le rapprochement du réseau des Alliances avec celui des Instituts Français pour trouver des « synergies », comprendre, des économies.
Le secrétaire d’Etat Jean-Baptiste Lemoyne, que nous avons interrogé sur le sujet, questionne le rôle de la fondation comme structure de coordination des alliances. « La fondation n’a pas trouvé de moyen complémentaire aux dotations budgétaires pour assurer la pérennité de son plan de route. Nous gagnerions à mettre en place un outil qui ne soit pas parisien, mais plutôt une réunion de représentants des alliances, afin de tenir compte de leurs besoins et de leurs intérêts de façon très directe ».
Si le secrétaire général de la fondation se dit favorable à ce rapprochement, il rappelle que « le mouvement est déjà bien décentralisé. On a des Etats Généraux et des réunions régionales très régulièrement ». Il souhaite « donner toutes ses chances à la fondation, peut importe dans quel nouveau cadre, pour qu’elle accomplisse ses missions. Si elle venait à disparaître, je ne vois pas qui pourrait la remplacer ».
Le rayonnement culturel et linguistique oui, mais à peu de frais
Les menaces qui pèsent sur la fondation sont symptomatiques de la difficile conciliation entre les grandes ambitions et les caisses vides de la diplomatie culturelle à la française.
« La francophonie c’est une effectivité, mais ce sont surtout des potentialités », rappelle M. Commelin. « On peut devenir une des premières langues dans le monde mais il faut s’en donner les moyens ».
Avec Leila Slimani, une représentante sans salaire ni bureau en lieu et place du ministère de la francophonie, et une tête de réseau mal portante, le défi sera compliqué à relever.