Sénateur socialiste des Français établis hors de France depuis 2020, Yan Chantrel revient pour Lepetitjournal.com, sur deux propositions qu’il porte actuellement : la création de commissions consulaires pour faciliter l’accès aux aides pour les enfants en situation de handicap scolarisés à l’étranger, et l’encadrement des établissements d’enseignement supérieur privés à but lucratif. Avec ses projets, Yan Chantrel souhaite faire évoluer la politique actuelle qui « ouvre des droits sans les moyens », ne permettant pas de les appliquer.


Qu’attendre de votre amendement visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers scolarisés à l’étranger ? (ndlr. l'amendement a été adopté par le Sénat le 10 juillet 2025 et doit désormais être examiné à l'Assemblé Nationale)
Cela concerne les enfants en situation de handicap ou ayant des besoins particuliers dans nos établissements français à l’étranger. À l’AEFE, il existe des aides, comme la présence d’AESH, des accompagnants pour les élèves en situation de handicap, pris en charge par l’État, comme c’est le cas en France. Le problème, c’est que la prise en charge est très longue et fastidieuse. Cela peut prendre un an, pendant lequel les familles doivent avancer les frais. Certaines se retrouvent en grande difficulté financière, voire en insécurité, sans savoir si elles bénéficieront réellement d’une aide. Parfois, ce sont les établissements qui prennent en charge les frais, ce qui les met eux aussi en difficulté.
L’objectif de mon amendement est de créer un dispositif spécifique aux Français de l’étranger.
Le système actuel repose sur la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) du dernier lieu de résidence en France. Seulement, les MDPH n’ont pas l’habitude de traiter des dossiers venus de l’étranger, et ces derniers se retrouvent noyés dans la masse. En France, on parle de plus de 500.000 élèves concernés ; hors de France, environ 500. Ces dossiers passent donc souvent au second plan et prennent un temps fou. L’objectif de mon amendement est de créer un dispositif spécifique aux Français de l’étranger, pour accélérer la procédure. J’ai repris le modèle de certaines commissions existantes dans les consulats avec une commission dédiée, composée d’experts nommés. Elle permettrait une reconnaissance locale du handicap, équivalente à celle de la MDPH, et faciliterait ainsi les démarches pour les familles.
Quel rôle joueraient les associations et les élus locaux dans ce dispositif ?
Cette commission serait composée d’un représentant du poste consulaire, un issu de l’Agence pour l'enseignement français à l'étranger, un médecin ou psychologue référent ainsi qu’un représentant d’association de familles. J’ai repris le modèle en France en l’adaptant aux spécificités des Français de l’étranger. Plus largement, il y a un net besoin en France et hors de France d'améliorer le statut et les salaires des AESH. Dans certains pays, comme à Barcelone, les associations de parents d’élèves ont mis en place des formations internes, avec des dispositifs très efficaces. Ce sont des exemples à suivre. J’ai construit cette proposition avec des élus qui vivent les mêmes situations au quotidien, parfois avec leurs propres enfants. Cela fait des années que l’on en parle. Ce n’est pas parfait, cela nécessitera d’autres actions mais c’est une première avancée pour faciliter la vie de nos compatriotes.
Je veux corriger le système, pas ajouter de la complexité.
Pour l’instant, le texte est reparti à l’Assemblée nationale et reste en discussion mais le gouvernement y est opposé. D’une manière générale, il ne soutient pas beaucoup les propositions en faveur des Français de l’étranger. Dès que l’on propose quelque chose, c’est non. À la place, ils proposent des référents handicap pour accompagner les familles. Mais cela ne règle pas le problème structurel. Je veux améliorer le système, pas y ajouter de la complexité. Mais à chaque opportunité législative, je défends nos problématiques et spécificités en tant que Français établis hors de France. Au vu de la configuration politique, même si le gouvernement est contre, je l’ai obligé à s'intéresser au sujet.
Que pensez-vous de l’intégration des personnes en situation de handicap dans la politique actuelle ?
La question de l’intégration des personnes en situation de handicap prend de plus en plus de place et cela concerne de plus en plus d’élèves mais les budgets, eux, ne le sont pas. Le gouvernement met en place des procédures, des mécanismes de régulation budgétaire, pour amoindrir les bénéficiaires et c’est une vraie problématique structurelle. Pourtant, un droit ouvert doit être financé, sinon il n’existe pas et devient fictif. Nous le voyons sur d’autres sujets comme l’IVG. Si vous avez le droit, mais que les moyens ne sont pas là, le droit n’est pas effectif. C’est, à mon sens, la pire des choses. Je veux que le droit soit respecté, financé et appliqué. Je me battrai jusqu’au bout pour qu’il soit inclus dans le texte final et, pour l’instant, le Sénat a soutenu ma proposition.

Vous avez également proposé un texte de loi pour encadrer les établissements d’enseignement supérieur à but lucratif. Quels en sont les objectifs concrets ?
Il s’agit d’une proposition qui vise à interdire ou encadrer les frais de réservation des établissements d’enseignement supérieur à but lucratif. Des frais qui grimpent parfois jusqu’à 800€ et ne sont pas remboursés même en cas de désistement. Cela pousse certains étudiants à poursuivre dans des formations qui ne mènent à rien, souvent avec des diplômes peu reconnus. Des écoles à but lucratif qui optent également pour des pratiques commerciales agressives avec des appels incessants ou des emails en masse. Leur logique est de faire du chiffre, pas la qualité éducative. Elles font des économies sur la qualité des enseignements avec des classes surchargées, des cours à distance, y compris pour des CAP cuisine par exemple, ce qui n’est pas normal. Des formations qui sont souvent financées par des familles modestes qui espèrent offrir un avenir à leurs enfants. Il est alors important qu’elles sachent au minimum à quoi elles s’engagent. Le texte vise donc aussi à renforcer les contrôles et sanctions contre ces établissements.
La proposition est très proche du texte proposé par mon collègue Emmanuel Grégoire, refusé en février 2025, à quelques articles près. À l’Assemblée, le texte n’a pas été rejeté, mais n’a pas pu être inscrit à l’ordre du jour. J’essaie de le faire passer au Sénat, avec l’espoir qu’il soit examiné dès la rentrée mais il y a un consensus transpartisan sur le sujet qui me rend optimiste.
Les écoles profitent de la situation en se disant qu’il n’y aura pas de recours, parce qu’elles ne sont pas sur le territoire.

Les pratiques de ces écoles touchent-elles aussi les Français de l’étranger ?
Les pratiques touchent aussi les Français de l’étranger ainsi que des étrangers souhaitant venir étudier en France. Certains paient des frais avant même d’avoir leur visa, qu’ils n’obtiennent pas toujours et ne sont pas remboursés. Cela donne déjà une image déplorable vis-à-vis de notre pays. Les écoles profitent de la situation en se disant qu’il n’y aura pas de recours, parce qu’elles ne sont pas sur le territoire. Elles organisent même des filières dans certains pays, en faisant de la promotion en promettant qu’on pourra venir en France grâce à elles.
Mais ce n’est pas parce que vous êtes inscrit dans une école que la France vous délivre un visa. C’est mensonger et préjudiciable, y compris pour nos compatriotes à l’étranger, qui peuvent manquer d’informations fiables sur la qualité des écoles. Beaucoup de leurs enfants viennent faire leurs études supérieures en France, dans de grandes écoles ou des universités, mais certains se retrouvent aussi dans des établissements privés à but lucratif. Ils sont donc concernés eux aussi et il faut que l’on améliore cela.
J'invite les Français établis hors de France à voter pour qui ils veulent mais surtout à s’engager, à se présenter aux élections.
Avez-vous un dernier message à faire passer à nos lecteurs ?
Je veux leur rappeler l’importance des élections à venir, notamment les élections consulaires. Il s’agit d’une occasion unique de faire entendre réellement leurs problématiques locales, leurs besoins, sur tous les sujets que nous avons évoqués : l’éducation, la santé, le quotidien, l’accès aux services consulaires ou simplement pour renouveler ses papiers. C’est au moment des élections que les Français de l’étranger ont la possibilité de se faire entendre. Je les invite à voter pour des personnes qui les défendent et à s’engager, à se présenter aux élections, car il y a trop souvent un déficit d’engagement. Et surtout, à en parler autour d’eux, à faire connaître ces élections. Les Français établis hors de France sont des Français à part entière, et il faut qu’ils l’expriment à travers leurs représentants et leur participation aux élections.
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