Dans l’univers du luxe, certains noms résonnent comme une signature. Alexis Caulaincourt en fait partie. Fondateur de la maison éponyme, il incarne une vision du soulier masculin où se mêlent élégance intemporelle, influence cosmopolite et savoir-faire artisanal français. Avec une sensibilité nourrie par ses voyages et une clientèle répartie aux quatre coins du monde, l’esthète entrepreneur s’est imposé comme un créateur à la fois enraciné dans la tradition et ouvert sur le monde. Rencontre avec lepetitjournal.com


Caulaincourt est une maison française mais avec un rayonnement global. Comment décrivez-vous votre positionnement international aujourd’hui ?
Je pense que sur la scène internationale, nous sommes perçus comme la nouvelle garde du soulier traditionnel, comme une maison traditionnelle qui propose un objet de style plus qu’un accessoire de mode, mais sans pour autant être la chaussure formelle traditionnelle telle qu’elle a pu exister jusqu’à aujourd’hui. Je pense que l’on nous voit comme une sorte d’équilibre, une mixologie entre un vrai raffinement français, l’art de vivre et toute cette esthétique dont on est fiers en France, et d’un autre côté un regard presque moderniste sur l’objet chaussant, quelle que soit la chaussure.
Comment conciliez-vous l’héritage du savoir-faire français avec des influences venues d’ailleurs ?
Je pense que l’épicentre de Caulaincourt, ce que j’appelle la pierre blanche, c’est la liberté. Je m’explique. En tant que marque, nous agissons comme un contrepied à l’uniformisation et d’une certaine façon, Caulaincourt, c’est le panache d’être soi. Donc on s’empare de cette liberté, c’est un truc très français, et on va la proclamer. C’est ce qu’on fait depuis presque vingt ans. Et d’une certaine façon, c’est ce que font nos clients quand ils achètent une paire de souliers chez nous. Aujourd’hui, nous avons cette liberté de mélanger, de créer un blend d’influences. Bien que le point de départ soit l’art de vivre français accompagné de son savoir-faire, il y a pas mal d’influences que nous acceptons de recevoir dans la direction artistique, dans la création, dans les expressions de la marque, parce qu’on n’a pas envie de se priver de cette richesse.
Il y a aussi la pop culture américaine, qui est une énorme influence
Et bien qu’étant une maison profondément française, cela ne nous empêche absolument pas d’avoir la liberté d’exploiter des influences ou des envies esthétiques qui proviennent du monde entier.Personnellement, j’ai énormément de plaisir à consommer visuellement des objets japonais, la rigueur, la sobriété, l’attention au détail. Il y a aussi la pop culture américaine, qui est une énorme influence, comme on l’a vu dans la dernière collaboration Petrossian Caulaincourt avec la City One. C’est vraiment une influence années 80 90, on se croirait revenu à la grande époque des tenues de l’US Open d’Andre Agassi ! L’influence italienne se perçoit dans mon travail, un côté outdoor comme en Argentine, sur des boots très robustes, très bulky, la Patagonie par exemple. Il y a énormément d’influences qui se mélangent. Je pourrais en parler pendant des heures ...

Quels sont les pays ou régions dans lesquels vous rencontrez le plus de succès ?
Les États-Unis, l’Angleterre paradoxalement, évidemment l’Europe continentale, Dubaï où nous avons beaucoup de clients à la fois en appétit si j’ose dire, et loyaux et fidèles à la marque. Le Japon aussi, où on a une présence depuis une dizaine d’années. Le Japon est un endroit important pour nous. Nous sommes en Russie aussi, en Asie plutôt Hong Kong, Singapour et Corée du Sud. Et puis nous avons une petite poche de clientèle sud-américaine ou d’Amérique centrale, très présente également.
Petrossian et Caulaincourt s’unissent pour fabriquer des baskets en cuir de saumon
Quels retours vous surprennent le plus de la part de votre clientèle internationale ?
Ils ont une loyauté extrêmement étonnante. Pas que je ne comprenne pas leur loyauté, mais ce sont des gens qui ont la possibilité d’acheter ce qu’ils veulent où ils veulent, en termes de pouvoir d’achat mais aussi d’accès à l’information, aux produits via internet, Instagram, YouTube, etc. Donc le fait qu’ils reviennent encore et encore chez Caulaincourt est vraiment la preuve de quelque chose de fort. Et j’aurais du mal à définir ce qui produit fondamentalement cette loyauté parce que je pense que ça va au-delà du produit. Je pense qu’une partie du mérite revient à notre staff, les gens en boutique, ceux qui répondent sur les réseaux. Nous mettons beaucoup de cœur et d’énergie là-dessus.
Nous avons eu un écho international très tôt dans l’aventure.
Selon vous, pourquoi ces marchés en particulier sont-ils sensibles à votre travail ?
Nous sommes suffisamment reconnus pour exister à l’étranger, sans avoir cette étiquette de marque de luxe qui surfacture un produit. Nous représentons une alternative crédible. Le produit a confirmé l’intuition que les clients ont, parce que ça fait presque vingt ans que nos chaussures circulent en France et à l’étranger. Nous avons eu un écho international très tôt dans l’aventure. Je pense qu’il y a aussi ce qu’on appelle le French flair with the savoir-faire avec l’accent américain. Je pense que nos souliers portent la trace de la main, de la passion, de la culture, du raffinement. Il y a quelque chose de magique et les gens s’en emparent quand ils arrivent à le percevoir.

Observez-vous des tendances émergentes selon les zones géographiques ?
Je pense que la grande tendance, c’est le confort, qu’on parle d’un soulier formel ou pas. Aujourd’hui, c’est la nécessité absolue. Et ça tombe plutôt bien parce que nous, on est vraiment très forts dans ce domaine. Nous avons énormément travaillé cet aspect soit par le montage des chaussures, donc la façon dont la semelle est solidarisée, cousue avec la tige, soit par la souplesse des matériaux, soit par le procédé de fabrication. Nous avons été parmi les premiers à proposer des chaussures non doublées, tout en étant résistantes et robustes. Dans les pays où il fait chaud, c’est formidable.
Avez-vous remarqué des différences culturelles dans la façon d’aborder la personnalisation, le style ou le rapport au luxe ?
Le rapport au luxe est un sujet très intéressant, notamment par rapport au prix. Plus la clientèle est éduquée, plus elle comprend nos prix. Parfois, certaines personnes ne comprennent pas notre prix parce qu’ils le trouvent trop bas par rapport à la qualité perçue. Étant habitués à Berluti, John Lobb, Gucci, Prada, ils ne veulent pas croire qu’un produit de cette qualité puisse exister sans être à 2.000 euros. Je peux comprendre ce réflexe. Il y a aussi des pays où les gens achètent du luxe pour le statut que leur confère la marque, simplement parce que c’est cher. Ils achètent un statut, très clairement. Et cette clientèle-là, qui ne s’intéresse pas au produit, au savoir-faire, à la création, on a du mal à lui parler parce qu’on ne lui propose pas ce qu’elle cherche.
Sur le style, je pense que les gens achètent chez nous ce style français parisien. C’est une élégance teintée de liberté, donc de créativité
Dans d’autres pays comme les États-Unis, l’Italie, la France, le Japon, mais aussi l’Argentine, le Mexique, la Norvège, il y a une culture du savoir-faire, du travail de la main. On ne peut aimer et respecter que ce qu’on connaît. Quand on a cette culture, on comprend plus profondément la nature d’un objet. Là où, sans cette culture, on va surtout le comprendre par son prix. Sur le style, je pense que les gens achètent chez nous ce style français parisien. C’est une élégance teintée de liberté, donc de créativité. Yves Saint Laurent faisait des vêtements noirs avec des coupes sobres mais extraordinaires. Ce n’est pas une question de pays mais d’éducation esthétique.

Comment la diversité de votre clientèle nourrit-elle votre créativité ?
C’est fondamental pour moi. Je suis quelqu’un qui peut être inspiré par un million de choses sans rapport entre elles. Un regard, une lumière, une architecture, une couleur, le pelage d’un animal, le plumage d’un oiseau, la couleur de la mer, un reflet sur un coquillage, un film, un morceau, une émotion. C’est très varié. La sensibilité artistique me permet de percevoir ces choses et de les transformer. Et la diversité de la clientèle nourrit ma créativité. Très souvent, quand je crée un nouvel objet, je pars d’une intuition, d’une inspiration. Je m’inspire de certains clients pour imaginer de nouveaux objets et me dire que tel soulier aurait de l’allure sur telle personne dans telle situation.
La dimension française est le point de départ, mais ensuite de nombreuses influences internationales s’y accrochent pour produire le résultat final.
Avez-vous déjà développé un modèle ou une collection inspirée spécifiquement par un pays ou une culture particulière ?
Oui. On en parlait tout à l’heure, notamment avec le Japon. Nous avons fait plusieurs collaborations avec des maisons japonaises. Les vestes qu’on a faites, devenues iconiques, la Haïku Jacket, une safari jacket repensée et retravaillée, faite avec des tissus artisanaux japonais en sashiko, réalisés par la maison Koya, l’un des teinturiers les plus illustres du Japon. On a aussi décliné ça en baskets bimatières avec ce tissu. On retrouve aussi une inspiration Dolce Vita dans nos collections printemps été, une souplesse visuelle et physique dans l’objet. La dimension française est le point de départ, mais ensuite de nombreuses influences internationales s’y accrochent pour produire le résultat final.

Quels sont vos objectifs de développement international dans les années à venir ?
Ils sont très élevés, car nous considérons avoir un vrai potentiel dans un certain nombre de pays. Nous sommes en train de retravailler toute l’expérience client sur la partie digitale. On va avoir un nouveau site web qui sortira en 2026, avec une expérience encore plus performante, encore plus customer friendly, encore plus positive, pour offrir le meilleur possible à nos clients à l’étranger qui ne peuvent pas systématiquement venir à notre rencontre en France ou à Dubaï.
Nous prévoyons d’ouvrir un premier magasin à l’étranger dans quelques mois. Et on a aussi vocation à nous implanter via des partenaires wholesale. Mais l’ambition ultime, c’est vraiment de nous implanter en propre à l’étranger. Et notre rêve, ce serait d’ouvrir une boutique aux États-Unis et une en Asie dans un premier temps, après avoir ouvert notre première boutique à l’étranger qui sera plus proche de Paris. On réfléchit à Londres, à Bruxelles, on a quelques pistes qu’on étudie. Le rêve absolu serait de poser nos valises un jour à New York ou quelque part aux États-Unis.
Et il y a quelque chose que l’IA aura du mal à aller chercher : L’émotion du petit garçon qu’on reste en tant qu’homme quand on est confronté à un objet qui nous fait rêver
Comment imaginez-vous l’évolution du luxe masculin dans un monde de plus en plus globalisé ?
Je pense que les marques qui survivront seront celles qui réussiront à maintenir une authenticité absolue. Si derrière chaque geste, chaque objet, chaque image, il n’y a pas une intention vraie, une culture profonde, alors beaucoup de marques vont mourir. Je pense aussi que pour conserver cette culture-là, il faudra une harmonie parfaite entre une vraie fluidité digitale et la capacité à offrir une expérience retail en boutique qui soit vraiment jouissive, positive, mémorable. Plus le digital va exploser, plus l’importance de l’expérience en boutique va augmenter par effet de ricochet.
Et il y a quelque chose que l’IA aura du mal à aller chercher : l’émotion. L’émotion de l’humain. L’émotion du petit garçon qu’on reste en tant qu’homme quand on est confronté à un objet qui nous fait rêver. Mais la seule image ne suffira pas. Le luxe masculin aura toujours besoin d’un écho dans la réalité. Et plus le monde accélère vers une "amazonéisation" de l’économie, plus on aura besoin de sentir l’odeur du cuir, le goût d’un whisky, le contact du bois d’une table. Je pense que c’est fondamental et que ça le restera. Et même que ça deviendra de plus en plus important.
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