Muriel Grenon est la lauréate du Trophée Education, remis par le CNED, des Trophées des Français de l'étranger 2022. Cette chercheuse en biologie du cancer enseigne à l’université de NUI Galway dans l’ouest de l’Irlande. Elle y a créé en 2012 le programme de vulgarisation scientifique Cell EXPLORERS.
Cell EXPLORERS est un programme d’éducation proposant des activités de vulgarisation et de communication scientifique à destination du large public, en particulier des jeunes et leur famille. Originellement développé à NUI Galway, le programme est maintenant actif dans 13 universités et instituts de technologie irlandais mais aussi en Afrique du Sud. Entre 2012 et 2021, 2.680 membres de Cell Explorers ont directement interagi avec 45.100 membres du public, dont 758 classes dans 510 écoles irlandaises.
LePetitJournal.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Muriel Grenon : Je suis maître de conférences à l’Université de Galway, National University of Island Galway. Je suis arrivée à Galway en 2004, en tant que chercheur tout d’abord, puis j’ai commencé à enseigner en 2008 et je suis devenue maître de conférences en 2013.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours universitaire ?
Je viens du département de l’Indre, d’une ville qui s’appelle Déols, à côté de Châteauroux. J’ai commencé mes études de Biologie à l’Université de Tours. Après mon DEUG (ndlr : Diplôme d'études universitaires générales), je voulais faire un doctorat en génétique. Je suis partie à Paris, à l’université Paris XI Orsay (Paris-Sud aujourd'hui, ndlr). J’ai fait une licence de Biochimie, une maîtrise de Génétique Moléculaire et Cellulaire et ensuite un DEA de Génétique Moléculaire et Cellulaire. J’ai réalisé ma thèse de doctorat en Génétique Moléculaire et Cellulaire dans un laboratoire CNRS à Villejuif, dans l’Institut de Recherche sur le Cancer. Et à la fin de ma thèse, je suis partie faire un post-doc, à côté de Londres à l’Imperial Cancer Research (Cancer Research UK), un des plus gros organismes de recherches sur le cancer. J’étais dans un de leurs instituts Top of the Pop de la recherche dans ce domaine ! Après deux ans de recherches, j’ai fait un autre post-doc à Cambridge dans un autre institut, pendant plus de trois ans. Je me suis ensuite tournée vers l’Irlande et Galway car l’opportunité de diriger des recherches s’est ouverte à moi.
Et vous connaissiez l’Irlande avant votre arrivée à Galway ?
J'y étais venue juste une fois très succinctement lors de mon second post-doc pour une collaboration. J’ai beaucoup voyagé en Europe avec mes parents, mais je ne connaissais pas du tout l’Irlande.
Quelle est votre spécialité dans la recherche ?
Je suis une généticienne de la levure par formation, un organisme qui est un très bon modèle pour étudier les mécanismes fondamentaux affectés dans les cancers. Mais depuis que j’ai créé mon programme Cell Explorers, j'ai complètement switché par rapport à ce que je faisais avant.
En 2012, j’enseignais davantage et j’ai suivi des modules qui étaient destinés aux professeurs afin d’améliorer l’enseignement. Il y avait toute une section de réflexion sur la manière de travailler et de collaborer avec ses étudiants. Mes enfants étaient alors en bas âges et cela a fait germer la question de "comment est-ce que je pourrais collaborer avec mes étudiants ?".
A la même période, il y avait un financement qui était proposé par l’université pour démarrer des projets de collaboration entre les étudiants et les enseignants. Je suis allée voir mes étudiants de première et deuxième année, et je leur ai proposés Cell Explorers. En parallèle, je suis allée voir l’école de mes enfants et leur ai demandé s'ils étaient intéressés de recevoir des étudiants chercheurs scientifiques dans leurs classes afin de faire de la science avec les écoliers. Le projet pilote était lancé.
J’ai réuni une équipe de 10 étudiants et nous avons créé 4 sessions pratiques. Mon but était de faire de la science pratique avec du matériel ! L’expérience a très bien fonctionné. Les enfants étaient contents. L’instituteur de la classe était ravi. Les étudiants qui avaient créé des sessions étaient très satisfaits. J’étais épatée.
Quel était le contenu des sessions exactement ?
Les sessions se focalisaient essentiellement sur la biologie moléculaire et cellulaire, mon domaine d’expertise. J'avais mis en place une session sur les cellules, une session sur l’ADN et deux sessions sur les microbes. Chaque session contenait des expériences et des analyses de résultats. Après cette expérience positive, nous nous sommes dit que cela pourrait fonctionner avec d’autres écoles ! Nous avons alors demandé d’autres financements que nous avons obtenus. En parallèle, de nombreux étudiants qui avaient entendu parler du projet, venaient frapper à ma porte pour me demander de participer !
Comment se déroule une session de Cell Explorers ?
Concrètement notre équipe réserve une heure avec une classe, et nous arrivons à six personnes dans la classe, tous en blouse avec des boîtes en plastique pleines de matériel. L’idée des sessions est de faire des vraies expériences. Un petit groupe de 4 à 6 enfants, entre 10 et 13 ans, est encadré par un jeune scientifique. La session débute avec une présentation : "Qui sommes-nous ? Qu'est-ce qu'un être vivant ? Qu'est-ce que c'est qu'une cellule ? Qu'est-ce que c'est l'ADN ? À quoi sert l'ADN ? Pourquoi c'est important ?".
Le but n'est pas de le faire pour les enfants mais bien qu'ils fassent eux-mêmes de vraies expériences. Nous ne sommes pas dans la magie ! Quand on extrait de l’ADN, on le fait comme tous les scientifiques dans les laboratoires et cela commence par préparer de l'ADN à partir d'une banane ! Et même au bout de 150 fois, c’est toujours sympa de voir leurs regards quand l'expérience fonctionne.
Un des buts du programme est d'essayer de démystifier l'image du scientifique pour que les enfants arrivent un peu à se projeter dans nos facilitateurs qui sont de jeunes scientifiques. Le scientifique devient moins mystérieux. Il vient dans la classe. Il est jeune et sympathique.
Pourquoi travaillez-vous particulièrement avec les enfants de ce groupe d’âge (10-13 ans) ?
Les recherches montrent qu’aux alentours de cet âge, les enfants décident si la science est faite pour eux ou non. On se rend compte qu’il y a beaucoup d’enfants à qui ça ne parle pas car ils n'arrivent pas à se représenter en tant que scientifique. Ils pensent que pour être scientifique, il faut être très fort en maths, incroyablement intelligent ou qu'il faut mieux être un garçon qu'une fille.
Un des buts du programme est d'essayer de démystifier l'image du scientifique pour que les enfants arrivent un peu à se projeter dans nos facilitateurs, qui sont de jeunes scientifiques. Le scientifique devient moins mystérieux. Il vient dans la classe. Il est jeune et sympathique.
Le programme est donc pour les enfants des écoles, mais il est aussi surtout pour les étudiants et les jeunes chercheurs des universités pour qu’ils apprennent à communiquer les sciences. Il est important que les chercheurs ou les futurs enseignants savent parler de la science au public.
Et donc depuis 2012, cette expérience a bien essaimé dans toute l’Irlande. Que représente dorénavant le programme ?
Cela a bien fonctionné dès le début et nous avons amplifié le programme pendant deux ans sur Galway. Nous avons alors obtenu d’autres financements pour développer le programme ailleurs. J'ai commencé à agrandir Cell Explorers en 2015 avec quelques collaborateurs dans d'autres villes comme Limerick. Il y a eu trois étapes d’extensions successives du programme entre 2015 et 2019. Nous avons aujourd'hui 13 équipes dans toute l'Irlande, basée dans 13 universités où les jeunes chercheurs font faire de la science aux élèves, dans les écoles près de chez eux.
Je veux savoir qu'est-ce qui a de l'impact sur les enfants, comment bien optimiser nos sessions et quel est l'élément déclencheur qui donne envie aux élèves de s'intéresser à la science.
Que retirent les jeunes chercheurs qui participent au programme de ces expériences et interactions avec les enfants ?
Ils le font parce qu'ils ont envie de partager leur plaisir et leur intérêt de la science et puis, ils ont aussi envie de donner à la communauté. Cet enthousiasme pour le bénévolat et le volontariat est finalement très irlandais. Puis, une fois qu’ils participent, ils se rendent compte qu'ils adorent discuter avec les enfants, qui sont très enthousiastes et posent de bonnes questions.
De plus, il est parfois assez frustrant de poursuivre une thèse : ce n'est pas tous les jours qu’on vous dit que vous êtes formidable ! Ces jeunes chercheurs peuvent avoir des journées difficiles et des emplois du temps chargés. C'est très rafraichissant pour eux de se trouver face à des enfants qui sont au top au niveau de la curiosité.
Nous analysons également en ce moment des questionnaires de personnes ayant participé au programme, il y a quelques années. Beaucoup de ceux qui nous ont répondu nous disent que cela a été très utile afin de trouver un job. Leur expérience au sein du programme leur a servi à démontrer leur habilité au travail en équipe et leur capacité d’enseigner dans un contexte informel.
Quels sont vos futurs projets pour Cell Explorers ?
Nous avons arrêté l’expansion en 2020 pour solidifier nos pratiques et faire des recherches sur notre programme. Je suis avant tout une chercheuse et je veux mener Cell Explorers comme un programme de recherche. J'avais toujours eu envie d'utiliser le programme pour permettre d'identifier des pratiques éducationnelles de sensibilisation aux sciences. Je veux savoir qu'est-ce qui a de l'impact sur les enfants, comment bien optimiser nos sessions et quel est l'élément déclencheur qui donne envie aux élèves de s'intéresser à la science.
Nous avons également établi des collaborations pour voir comment nos pratiques peuvent fonctionner pour des enfants qui n'ont pas beaucoup de "capital scientifique", de par leur environnement. Certains enfants pensent que la science ne leur est pas accessible. Nous voulons améliorer nos pratiques pour engager un maximum d'enfants et pas seulement ceux qui sont déjà convaincus.
Ce sont bien souvent des parents qui aiment la science qui emmènent leurs enfants faire des activités lors des Festivals des Sciences par exemple. C'est donc une des raisons pour lesquelles, nous aimons aller directement sensibiliser au sein des écoles. Cela nous permet de toucher un maximum d'enfants. Nous pouvons aussi challenger nos méthodes et ainsi mieux répondre aux questions des enfants. Notre but est vraiment de briser les mythes autour des scientifiques, même les plus tenaces, car non, ils ne sont pas tous bons en maths !
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Crédits photographiques: Science Foundation Ireland, Aengus McMahon, Alan Place, Cell Explorers.