Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

ANALYSE – ‘Le prochain Syriza sera-t-il irlandais ?

Écrit par Lepetitjournal Dublin
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 19 mai 2015

L'édition du Monde Diplomatique de mai publiait une longue enquête du journaliste Renaud Lambert : De Lisbonne à Dublin, sur quels alliés Athènes peut-elle compter ? A la recherche du prochain Syriza. Ce dernier envisage en effet un nouveau scénario après la victoire de Syriza en Grèce : la propagation des idées anti-austérité en Europe. Alors, qui seront les suivants ? Le Portugal et l'Irlande, répond-il : ces deux pays ont tous deux fait partie d'un ?'plan de sauvetage'' européen, la droite y est au pouvoir et mène une politique d'austérité forte? et des élections législatives sont prévues prochainement.

Les bons élèves de la troïka

?'Nous ne sommes pas la Grèce !'', se plaît à répéter le ministre des finances irlandais Michael Noonan'', écrit Renaud Lambert. ?'En 2014, l'Irlande a enregistré la plus forte croissance de l'Union européenne (+ 4,8 %) et le Portugal s'apprête, selon le président de la Banque centrale européenne (BCE) Mario Draghi, ?'à récolter les bénéfices des politiques mises en ?uvre au cours des dernières années ?'. ?' Les Grecs pourraient prendre exemple sur l'Irlande, suggère le Premier ministre irlandais Enda Kenny. Après tout, nous sommes les meilleurs élèves'' Un titre auquel peut également prétendre le Portugal, selon la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) Christine Lagarde.'' Et pourtant, dans son article, Renaud Lambert va s'attacher à démontrer que l'Irlande comme le Portugal ont plus de points communs avec la Grèce qu'ils ne le pensent.

Un traitement de faveur qui masque des difficultés financières

Dans un extrait de la même enquête publié par Le Monde diplomatique intitulé : L'Irlande s'inventait des euros et la BCE fermait les yeux, Renaud Lambert dénonce le ?'tour de passe-passe'' qui a permis à l'Irlande de passer pour le ?'bon élève'' de la BCE. En 2010, Dublin émet donc des reconnaissances de dettes à destinations des ?'banques moribondes'', auparavant nationalisées. Cela leur permet de se financer auprès de la Banque Centrale irlandaise. Cette opération, normalement illégale au sein de la zone euro, rapporte alors 31 milliards d'euro, soit 21% du PIB de l'époque. ?'Dans les faits, il s'agit d'une opération de monétisation de la dette, résume Tom McDonnell, économiste au sein de l'Institut de recherche économique Nevin (NERI). La Banque centrale a tout simplement créé 31 milliards d'euros sur un écran d'ordinateur'' cite Renaud Lambert. ?'Il est certain que la BCE n'était pas ravie, nous confie M. Dominic Hannigan, député du Parti travailliste (centre-gauche), qui gouverne le pays au sein d'une coalition formée avec le Fine Gael (droite). Mais, à l'époque, nous avions décidé de garantir les dettes de nos banques sous la pression de Bruxelles.'' En janvier 2010, l'ancien directeur de la BCE Jean-Claude Trichet avait appelé le ministre des finances irlandais de l'époque pour lui demander de ?'sauver les banques à tout prix''. ?'D'une certaine façon, poursuit M. Hannigan, l'Irlande a accepté de se sacrifier pour le reste de l'Europe. Cela méritait bien un petit coup de main !''. Une situation financière qui n'était donc au départ pas plus glorieuse que celle de la Grèce, qui elle n'est pas autorisée à utiliser le même procédé cette année, selon Renaud Lambert.

Un rejet massif et grandissant de l'austérité

Mais ce qui laisse penser que l'Irlande pourrait être le pays du ?'prochain Syriza'', selon Renaud Lambert, c'est surtout la colère des Irlandais contre l'austérité. Dans un autre extrait de cette enquête, La goutte d'eau irlandaise, il se demande jusqu'où va mener ce rejet massif de la taxe sur l'eau courante en Irlande.

Il rappelle que l'Irlande fût d'abord un exemple de la réussite libérale avant de chuter, touchée violemment par la crise financière. En 2010, le déficit budgétaire atteint 32% du PIB. L'Irlande s'impose alors une cure d'austérité drastique? et c'est alors que les Irlandais étonnent l'Europe entière, en ne manifestant pratiquement pas. ?'Le 24 juillet 2014, le quotidien britannique The Guardian s'interrogeait sur l'un des mystères de la crise européenne : ?'Pourquoi les Irlandais réagissent-ils aussi calmement.'' En avril 2009, le ministre des finances irlandais Brian Lenihan se félicite : « Nos partenaires en Europe sont impressionnés par notre capacité à endurer la douleur. En France, vous auriez eu des émeutes'', cite comme exemple Renaud Lambert.

Mais le 19 décembre 2013, le gouvernement vote une loi établissant une taxe sur la consommation d'eau courante, provoquant sans le savoir le ?'réveil des Irlandais'' : dès le début de l'année 2014, les manifestations se multiplient. Le 1er novembre, 120.000 personnes manifestent dans tout le pays. Le 10 décembre, ils sont 100.000 devant le Parlement, à Dublin. Et le 25 mars 2015, ils étaient encore 80.000 dans les rues du pays. ?'En dépit d'une croissance insolente ? 4,8 % en 2014 ?, la population continue à souffrir de l'austérité. Sur la base des chiffres les plus récents, en 2013, un tiers de la population se trouvait en situation de ?'privation forcée'', caractérisée par ?'l'insatisfaction de deux besoins de base, ou plus (?) tels que la nourriture, le chauffage ou des vêtements adaptés pour l'hiver''. Le chiffre était trois fois moins élevé en 2008, avant que n'éclate la crise financière. Pour beaucoup, la taxe ? ramenée à une fourchette de 60 à 160 euros depuis les mobilisations de l'automne ? constitue un coût d'autant plus inacceptable qu'il s'avère insurmontable.'' explique alors Renaud Lambert.

Les manifestants rejettent tout à la fois : la taxe, l'austérité, et ?'les connivences politiques''. Car pour Renaud Lambert, pas de doute, le gouvernement a été influencé, et cette taxe est le résultat d'une exigence de la ?'troïka''. ?'Il s'agit en fin de compte d'une nouvelle façon de nous faire payer pour les banquiers qui ont déclenché la crise'', conclut Mme Ruth Coppinger, députée du Parti socialiste (trotskyste)'', cite-il. ?'Pour d'autres, l'épisode démontre que la culture de la connivence entre élites politiques et économiques qui avait précipité la crise lui a survécu. Le gouvernement a confié l'installation de compteurs à eau dans l'ensemble du pays à une entreprise appartenant au magnat de la presse Denis O'Brien, généreux donateur du parti Fine Gael (droite, au pouvoir en coalition avec le parti travailliste) et l'une des plus caricaturales incarnations d'une frange du patronat irlandais peu soucieuse de l'intérêt général. Coût total de l'opération ? Environ 540 millions d'euros, pour des mesures de la consommation qui ne débuteront pas avant sept ans alors que les compteurs affichent une durée de vie limitée à? dix ans. On a connu investissement plus aisé à justifier.''

Sinn Féin, le prochain Syriza ?

Dans ce ?'paysage politique en décomposition'', le parti nationaliste de gauche, Sinn Féin, peut-il connaître le même succès que son allié traditionnel, Syriza ? Renaud Lambert rappelle tout de même que le parti Sinn Féin est plus modéré. En témoigne son comportement face à cette crise : Gerry Adams, le président du parti, déclare à qui veut l'entendre que seul un parti anti-austérité comme le Sinn Féin abolira cette loi lorsqu'il sera élu. Pourtant, il a également déclaré qu'il payerait sa facture d'eau, par respect de la loi, ?'un enjeu majeur pour une formation qui tente de se défaire de son association à l'Armée républicaine irlandaise (IRA)'' estime Renaud Lambert. Résultat : les voix des manifestants en colère sont récupérées à sa gauche, par le Parti socialiste par exemple.

Le parti Sinn Féin va donc devoir préciser sa position s'il veut profiter de la vague anti-austérité qui secoue le pays, voire l'Europe.

Extraits recueillis dans Le Monde Diplomatique :
- Extrait 1 : L'Irlande s'inventait des euros et la BCE fermait les yeux
- Extrait 2 : La goutte d'eau irlandaise 
- Article : De Lisbonne à Dublin, sur quels alliés Athènes peut-elle compter ? A la recherche du prochain Syriza 

Audrey Lalli (www.lepetitjournal.com/dublin), mardi 19 mai 2015

Crédit photo: Lorenzo Gaudenzi Wikipédia Commons

Inscrivez-vous à notre newsletter gratuite !
Suivez nous sur Facebook et sur Twitter

 

logofbdublin
Publié le 18 mai 2015, mis à jour le 19 mai 2015

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions