Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

Piqué au tiare, un livre pour les passionnés de Tahiti… écrit à Dakar

Amoureux fou de Tahiti, Cyril vit depuis deux ans à Dakar. Ici, il nous raconte son amour pour Tahiti, son livre, écrit à Dakar, sa découverte du Sénégal ou il pourrait déjà faire référence tant il connaît déjà le Pays de la Téranga comme peu d’entre nous.

Cyril à TahitiCyril à Tahiti
Écrit par Lepetitjournal Dakar
Publié le 27 février 2018, mis à jour le 16 avril 2024

Amoureux fou de Tahiti, Cyril vit depuis deux ans à Dakar. Ici, il nous raconte son amour pour Tahiti, son livre, écrit à Dakar, sa découverte du Sénégal ou il pourrait déjà faire référence tant il connaît déjà le Pays de la Téranga comme peu d’entre nous.

 

Tu viens de publier le livre « Piqué au tiare » qui raconte les moments marquants de tes quatre années en Polynésie française et pourtant tu vis à Dakar depuis deux ans. Peux-tu nous expliquer ce mystère ?

J’ai vécu quatre ans sur l’île de Tahiti  entre 2011 et 2015, avec ma femme, Cécile, prof de maths et trois de mes quatre filles. J’y ai exercé le métier de journaliste au quotidien La Dépêche de Tahiti. Au fil des rencontres, voyages et événements, j’ai découvert le style de vie, la culture et les valeurs ma’ohi. J’ai aussi interviewé de nombreux polynésiens, anonymes, people, artistes, sportifs, reine de beauté, qui chacun m’ont dévoilé une part de l’âme polynésienne. J’ai été confronté aux nombreux problèmes de société qui rongent Tahiti. Petit à petit, le « mana » (l’esprit) polynésien m’a transformé, je suis tombé fou amoureux de ce Pays d’outre-mer, au point de vouloir y passer le restant de mes jours. C’est le phénomène « Piqué au tiare » (ndlr : le tiare est un buisson, dont la fleur, gardenia tahitiensis, symbole de Tahiti, dégage un fort parfum qui ressemble à celui du jasmin).

En arrivant à Dakar, en août 2015, j’étais très nostalgique de Tahiti et comme j’avais du temps, j’ai voulu répondre en détail à une question que m’ont souvent posé mes amis français : « C’est comment la vie au paradis ? ». En 2-3 soirs, c’est trop court pour faire comprendre ce qui nous a touchés. C’est pour cela que j’ai écrit deux livres, un récit de 558 pages, qui est sorti en décembre 2017, et est disponible sur Amazon uniquement. Je finis actuellement un livre photos de 320 pages, qui traite de la vie quotidienne, des traditions, de la culture, des événements et présente toutes les îles que j’ai visitées. J’ai aussi écrit ces livres pour ceux qui comme moi ont vécu un long séjour et sont tombés amoureux de la Polynésie, mais aussi pour tous ceux qui en rêvent et n’y sont jamais allés. Parmi les expatriés, beaucoup se sont déjà interrogés sur l’opportunité de s’installer à Tahiti. Avec mon texte, ils seront transportés dans l’atmosphère polynésienne et verront à quoi s’attendre, de la phase d’adaptation jusqu’au départ.

 

Piqué au thiare

 

Qu’est-ce qui t’as tant plu à Tahiti ?

C’est très difficile à résumer, je vais essayer de synthétiser… Déjà, il y a le contexte : un climat chaud et humide, beaucoup de soleil, l’été toute l’année, le lagon à l’eau translucide, la montagne à la végétation exubérante. C’est fou comme on est hypnotisé par les paysages sublimes. Plus d’une fois en conduisant, mes filles et ma femme m’ont supplié de regarder la route pour ne pas tomber dans le lagon !

Ensuite, ce n’est pas une légende, la plupart des Polynésiens vivent avec une grande simplicité et savent accueillir. On se tutoie, on se parle franchement, presque sans filtre, chichi, ni hiérarchie et encore moins d’a priori. Une relation humaine se doit de commencer dans le respect, la politesse et la bienveillance. Tout le monde est sur le même pied d’égalité. On sent tout de suite qu’au fenua, deux qualités sont mises sur un piédestal : la modestie et la gentillesse, même s’il existe bien sûr des jaloux et des racistes. Autre ressenti, on n’est pas jugé sur son apparence. On peut s’habiller en toutes circonstances d’un short et d’une chemise à fleurs pour un tane (homme), et d’une robe légère pour les vahine (femme), avec de savates aux pieds (tongs). C’était nos tenues dans la vie privée comme au travail ou même au réveillon de Noël. Tant qu’on respecte tout le monde, et qu’on s’ouvre à la culture et à la vie locale, on s’intègre vite et facilement.

Pour ma famille, la découverte du ori tahiti, la danse polynésienne traditionnelle, a été une révélation et un accélérateur d’intégration. Ma femme et ma fille cadette l’ont pratiquée au sein d’une école réputée, Tahiti Ora. De mon côté, j’ai suivi de nombreuses troupes pour mon journal ainsi que le plus grand événement de l’année, le concours de ori du Heiva i Tahiti en juillet. Il ne faut pas cantonner le ori à de belles chorégraphies effectuées par des vahine séduisantes, c’est bien plus que cela. En plus des chorégraphies, cette danse regroupe plusieurs arts et disciplines : la littérature, l’histoire, la philosophie, la musique, le chant, le théâtre, la couture pour les costumes, et même la nature puisqu’il y a toujours un costume végétal. Je parle dans mon livre des autres aspects de la culture tahitienne millénaire : le himene (chants traditionnels), les tu’aro ma’ohi (sports traditionnels). Tout ceci forme un concentré de l’âme polynésienne.

 

Cyril à Tahiti

 

Est-ce qu’on ne vit pas un peu déconnecté du monde moderne dans une petite île ?

Absolument pas. On trouve tout le confort moderne : internet, télé par satellite, grandes surfaces, etc. La vie culturelle, associative et nocturne est dynamique. Il y a environ 180 000 habitants sur Tahiti, des événements tous les week-ends, sans parler des joies de la plage et des randonnées en montagne, on ne s’ennuie pas, même si les Polynésiens tombent parfois dans la « fiu attitude », un mot intraduisible qui exprime la lassitude et la fatigue. De mon côté, en quatre ans, je n’ai pas réussi à me lasser, j’étais électrisé par mes découvertes.

En fait, la seule chose qui change avec le décalage horaire de 11 h ou 12 heures avec la France suivant la saison, c’est qu’on perd petit à petit le contact avec l’actualité métropolitaine. On ne regarde plus le 20 h de TF1, qui passe à 8 h quand on travaille, mais on ne rate jamais le journal local de 18h ou 18h30 sur Polynésie première (filiale de France 3) ou TNTV, la chaîne financée par le gouvernement local. On s’intéresse aussi beaucoup plus à tout ce qui se passe à Auckland, à 5 heures d’avion, à Sydney (7 h d’avion) ou à Los Angeles (8 h d’avion), là où les Polynésiens et les popa’a (métro) aisés adorent passer des vacances « shopping, restos et spectacles ».

Tahiti dispose d’un statut spécial de Pays d’outre-mer au sein de la République française, avec une assemblée représentative, un président, un gouvernement. Est-ce que tu te sens toujours en France ou déjà dans un pays étranger ?

La Polynésie française, c’est bien entendu la France :  l’État est représenté par un haut-commissaire, qui gère les prérogatives régaliennes, la justice, la sécurité, la défense… Mais Tahiti dispose aussi d’une grande autonomie depuis 30 ans avec une assemblée territoriale qui vote les lois dans de nombreux domaines, comme l’économie, le social par exemple tout en devant prendre en compte des lois françaises et européennes, ce qui peut amener à des situations parfois ubuesques… La Polynésie cogère aussi l’éducation avec Paris. Il y a par exemple des cours de reo ma’ohi (langue tahitienne) en école primaire, un concours de orero (déclamation de légendes en tahitien) ainsi que des cours d’histoire-géographie axés sur l’Océanie. Tahiti a aussi son drapeau, son hymne, ses équipes sportives engagées dans des compétitions internationales, un style de vie unique et surtout une culture millénaire. Les Polynésiens ont vécu et prospéré pendant des siècles sans voir un Européen. Même si l’ensemble de cet héritage ne s’est pas transmis, même si la langue tahitienne est en perte de vitesse à cause de l’internet illimité et des réseaux sociaux, la culture traditionnelle et le mana polynésien perdurent au quotidien. On se sent donc comme dans un pays étranger, à la découverte de ses codes et de sa culture, mais en gardant les avantages de vivre dans son pays. C’est un sentiment particulier, très différent de celui que je ressens en étant un toubab au Sénégal.

Tout n’est pas parfait au paradis, j’imagine. Tu as parlé de « problèmes de société qui rongent Tahiti ». Quels sont-ils ?

Le paka, la marijuana locale, l’alcoolisme, les violences intrafamiliales et la malbouffe font des ravages dans une population où environ 30 à 40 % vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Il faut savoir que l’allocation chômage n’existe pas à Tahiti, ni les impôts sur le revenu. L’aide sociale aux familles démunies se limite à des quelques bons d’aide alimentaire dans l’année et un semblant d’allocations familiales. L’état providence à la Française n’existe pas. Quand tu n’as pas de boulot,  tu te débrouilles avec ton potager, tu vas cueillir des fruits et chasser le cochon sauvage dans la montagne, tu pêches dans le lagon, et tu vends des colliers de fleurs de tiare ou de frangipaniers sur la route de ceinture. Heureusement, il existe aussi une grande solidarité informelle, dans les familles et les communautés religieuses. Des mécènes privés agissent aussi discrètement en achetant par exemple les affaires scolaires.

Quelle est la difficulté principale pour un métropolitain qui veut s’installer ?

Le plus important, le plus sélectif, c’est la vie chère, très chère. Selon l’institut polynésien de la statistique (ISPF), le coût de la vie à Tahiti est 45 % plus cher qu’en France (à Tahiti, on ne dit pas la métropole, mais la France). Et encore, le ressenti est différent que l’on vienne de Paris ou, comme moi, de Servian, un village viticole de l’Hérault. J’avais calculé précisément un écart de 60 % avec mes dépenses courantes précédentes. Heureusement, ma femme, professeure de maths, bénéficiait d’un salaire indexé à 1,84 et de fortes primes d’éloignement. Mon salaire de journaliste local dans le privé était, quant à lui, plus bas qu’en France ! Il est donc préférable de venir à Tahiti avec au moins un bon salaire, de préférence celui d’un fonctionnaire d’État, surtout quand on a des enfants à charge. Mais j’ai aussi vu des jeunes lancer leur entreprise avec succès ou des artisans  prendre une « patente » et par leurs compétences trouver des clients rapidement et vivre aisément. Certains domaines économiques manquent encore de compétences. Mais attention, sans travail, on peut griller ses économies en quelques mois et repartir sans un sou. On voyait  des cas de ce type tous les ans. Il faut donc bien réfléchir avant de faire le grand saut.

 

Cyril à Tahiti

 

Quels sont tes meilleurs souvenirs de cette « vie au paradis » ?

À côté de la vie quotidienne à Tahiti, où je me suis tout de suite senti comme un poisson dans l’eau, j’ai adoré les voyages dans les îles : Bora Bora, Moorea, Fakarava, Tikehau, Nuku Hiva, Hiva Oa. J’ai choisi d’aller dans des pensions de famille au lieu des hôtels de luxe. C’est là que s’exprime le mieux l’hospitalité polynésienne. Tu es reçu comme un membre de la famille, on te prépare des activités et sorties personnalisées, on t’intègre dans la vie locale pendant ton séjour. Tu ne te sens plus du tout touriste, mais habitant de l’île. Par exemple, j’ai en mémoire une soirée où des mama expliquaient aux ados de Maupiti la préparation du monoi, des chapeaux en pandanus et d’autres produits artisanaux, avec des vidéos, des chants et des danses. Inoubliable. Mais je raconte de nombreux autres moments d’exception dans mon livre.

Les balades en pirogue sur le lagon sont aussi des moments hors du temps : tu nages avec les raies et les requins en pointe noire, tu fais du snorkeling entre les patates de corail avec des centaines de poissons différents, tu manges du poisson grillé et du poisson cru au lait de coco sur un motu (îlot), tu apprends à préparer ton monoï, à décortiquer une coco ou à faire un chapeau ou un panier en pandanus… Et tout ça, tranquillement, par petit groupe de 10 ou 20 personnes, car il n’y a que 200 000 touristes par an. Bref, tu as l’impression d’avoir le paradis pour toi tout seul.

Mes grands souvenirs, ce sont aussi les trois Heiva i Tahiti que j’ai suivis. Les spectacles de ori sont fantastiques. Quand 120 à 150 artistes te racontent une légende avec de la danse, du théâtre, des to’ere (ndlr : instrument en bois pourvu d’une fente, tenu par une main pendant que l'autre le frappe rapidement avec une baguette de bois de fer) et des pahu (tambour), ça te prend aux tripes. La troupe t’embarque dans un voyage de trois quart d’heure sans temps mort. J’ai vu plusieurs spectacles du Cirque du Soleil à Las Vegas, des comédies musicales en France, je peux t’assurer qu’un spectacle de ori t’apporte encore plus d’émotions et d’images marquantes. Sans parler des odeurs de fleurs de tiare et de monoï… Tu as d’ailleurs beaucoup de mal à trouver le sommeil après une soirée de Heiva !

Comme tu le vois, Tahiti a tatoué notre cœur et notre âme. On aurait aimé s’installer définitivement, mais ma femme ne pouvait bénéficier que de deux contrats de deux ans, c’est la règle, on a donc repris l’avion. On ne pouvait pas tenter l’aventure de perdre un salaire avec quatre enfants, dont trois étudiantes.

Comment as-tu vécu ce départ ?

Mal, très mal, je suis parti la mort dans l’âme. C’est aussi cela l’expatriation. Parfois on doit quitter un pays que l’on a dans la peau. Le coup de foudre que j’ai eu pour la Polynésie française ressemble à ce que l’on ressent lorsque l’on trouve la femme ou l’homme de sa vie. Pour la première fois de ma vie, j’ai dit : « C’est ici que je veux vivre jusqu’à la fin de mes jours. » J’avais pourtant beaucoup aimé les régions françaises où j’avais vécu, Bourg en Bresse (Ain), Palaiseau (Essonne), Sauvian et Servian (Hérault), mais Tahiti les dépassait tous. Quand, après avoir ressenti ça, tu dois t’en aller, tu vis ce déchirement comme un chagrin d’amour. Des profs qui avaient vécu 4 ans à Tahiti m’avaient prévenu : « Quand tu pars, tu mets six mois à t’en remettre ». Moi, c’est un an et demi qu’il m’a fallu…

Comment es-tu arrivé au Sénégal ?

Quitte à partir, nous avions envie de découvrir le monde. Ma femme a donc postulé auprès de plusieurs lycées français à l’étranger, sur plusieurs continents. Des amis nous avaient conseillé le pays de la Téranga, après y avoir passé de très belles années et les témoignages glanés sur le web étaient très positifs. Le lycée français était notre premier vœu, ma femme a été sélectionnée, on est arrivés à la mi-août, enchantés d’être dans un pays francophone.

Comment se sont déroulés les premiers mois au Sénégal ?

On a trouvé une pension de famille à Sacré Cœur III où la patronne, Martine, bichonne ses clients et leur donne tous les bons plans, on a vécu le même accueil que dans les pensions polynésiennes. Elle nous a très bien guidés dans Dakar. On a effectué nos recherches de logement avec un jeune couple, très débrouillard, qui arrivait aussi de Tahiti, ça a simplifié cette période. En quinze jours, on a trouvé l’appartement qu’il nous fallait à la limite de N’Gor et des Almadies. On a acheté notre matériel et effectué toutes nos démarches en 72 h. Un samedi matin, on prenait le petit-déjeuner chez Martine avec nos valises. Le soir-même, je regardais Jour de Foot (Canal +) dans mon salon et on dormait dans notre lit acheté à Canal 4. C’est fondamental d’avoir rapidement son chez-soi pour bien commencer son expatriation.

Le logement c’est bien, mais tu es venu sans job. En as-tu trouvé un ?

Dans ce domaine, je suis tombé de haut. Moi qui n’avait jamais eu de mal à trouver des postes dans la communication ou le journalisme durant 25 ans de carrière, je n’ai eu que deux entretiens d’embauche sérieux en deux ans, malgré des centaines de candidature spontanée, des réponses à un nombre incalculable d’offres d’emploi et même une petite tournée au porte à porte. J’ai décroché un travail journalistique intéressant pour un site internet d’infos locales, mais vu le salaire et l’absence de contrat de travail, j’ai décliné la proposition. J’ai compris qu’ici, avec le nombre important de jeunes diplômés qui sortent de l’université Cheikh Anta Diop ou des écoles privées, mon CV, malgré mes multiples expériences et compétences ainsi que quelques récompenses nationales, sans référence d’une grande multinationale, ni licence ou master, partait rapidement à la poubelle. J’ai donc décidé de préparer une licence de journalisme par Validation des Acquis de l’expérience à l’université de Lille que j’espère décrocher en juin. Ce diplôme m’ouvrira aussi des portes dans l’enseignement, une possible reconversion… J’ai heureusement pu garder un pied dans le journalisme grâce à un ami, patron de presse, qui m’a demandé de l’aider à améliorer son magazine.

 

Cyril à Bambilor

 

Qu’est-ce qui t’as le plus frappé en arrivant au Sénégal ?

Vivre dans une grande ville, en arrivant de l’île de Tahiti, a été un choc pour moi. J’ai remplacé les buissons de tiare, les cocotiers, le lagon et la montagne par une forêt d’immeubles à perte de vue et une poussière omniprésente. Voir aussi tous ces enfants talibés errer dans les rues pour mendier, pieds nus, avec des habits sales, m’a fendu le cœur et je ne m’y habitue toujours pas. La pollution a ruiné ma santé, j’ai enchaîné les bronchites asthmatiques et crises d’allergie. Et je m’énervais dès qu’un vendeur de rue m’ennuyait avec ses parfums et maillots de foot tombés du camion, ou quand les taximen me klaxonnaient frénétiquement dès que je faisais un pas dans mon quartier… La première année a été extrêmement difficile, j’avais perdu tout sens de l’humour. Je souffrais en fait d’avoir quitté Tahiti et je reportais toute ma mauvaise humeur sur Dakar. J’ai quand même tenu le coup en préparant ces deux livres ainsi qu’un site personnel. Ma femme et ma fille se sont, quant à elles, tout de suite beaucoup plu ici, en passant aussi leurs journées au superbe lycée français J. Mermoz, avec une vie sociale sympa. Elles m’ont soutenu et m’ont montré les bons côtés de la vie locale.

As-tu changé d’avis sur Dakar ?

Oui, complètement. Maintenant que mon regard est plus objectif, Dakar me paraît être une capitale à taille humaine, un assemblage de petites villes, chacune a son caractère, son âme. J’apprécie de trouver tout dans mon quartier, coiffeur, médecin, pharmacie, boulangerie, couturier… J’aime me balader à N’Gor, Ouakam ou aux Mamelles. Comme de nombreux commerçants déballent leur marchandise sur le trottoir, où certains artisans travaillent également, certaines rues ressemblent à des scènes de film, particulièrement à Ouakam ! J’ai de plus en plus envie de prendre des photos même si ici chaque cliché se négocie et se paie. Et puis il y a l’océan. J’aime beaucoup marcher sur les plages de N’Gor et du Virage, voire celle de la mosquée de la divinité.

Côté relations humaines, j’apprécie la grande politesse des Sénégalais (Bonjour ? Comment ça va ? Et la santé ? Tes enfants ? Ta femme ?), des habitudes que l’on a un peu perdu en France. On peut facilement discuter avec des Sénégalais, le tutoiement arrive très vite comme à Tahiti.

Quels sont tes coins préférés au Sénégal ?

J’adore la petite Côte. Mais pour moi, small is beautiful, je préfère Popenguine, Toubab Dialaw, la Somone à Saly et M’Bour. Quand on est dans la période froide à Dakar, comme c’est le cas actuellement, le week-end, on prend la voiture, on roule une heure et demie, et on arrive sur des plages propres et tranquilles, sans pollution, où il fait 30 degrés et plus. On mange à un resto, les pieds dans le sable,  avec vue sur l’océan. On marche, on se baigne, l’eau est à 20°C, c’est frais mais supportable. Bref, c’est le paradis.

J’aime beaucoup Saint-Louis, une ville aux trois visages, voire plus, avec son quartier historique, le quartier des pêcheurs, et la ville moderne, sans oublier les immenses plages de la Langue de Barbarie. J’aimerai y revenir 15 jours pour mieux comprendre cette ville. Grâce à leur office de tourisme, j’ai pu rencontrer en brousse des familles Peulh et Maure, ce n’est pas « Rendez-vous en terre inconnue », la célèbre émission sur France 2 de Frédéric Lopez, mais c’est intéressant de voir leurs conditions de vie et de dialoguer quelques heures autour d’un thé à la menthe, avec l’aide d’un traducteur.

J’ai aussi fait un road trip de six jours jusqu’à Tambacounda, il y a un an, pour découvrir l’intérieur du pays ainsi que le beau parc national du Niokolo-Koba. J’aime de plus en plus aller à Gorée, île d’histoire mais aussi de culture contemporaine. Et dès que la famille vient nous voir, je les amène au lac rose et au désert de Lompoul. J’espère bientôt découvrir le pays Bassari et la Casamance. En attendant, pour moi, la perle du Sénégal, c’est sans conteste le Siné Saloum, avec ses villages, ses îles et sa mangrove. C’est une destination de classe mondiale. Les balades en pirogue avec un guide qui connaît parfaitement sa région sont des journées hors du temps, aussi exceptionnelles que les journées sur le lagon à Tahiti. Et je commence à m’intéresser aux oiseaux, avec les nombreuses réserves que j’ai déjà visitées à Saint-Louis, la Somone ou Popenguine.

Quel regard portes-tu globalement sur le Sénégal ?

Je trouve que ce pays est en pleine transformation. Les infrastructures sortent de terre rapidement. Je te donne un exemple. La première fois que je suis allé à Popenguine, j’ai emprunté la nationale puis une piste en latérite sur 5 kms. Six mois après, j’avais l’autoroute et la route goudronnée. On peut voyager dans une grande partie du pays grâce à des routes nationales en bon état, certaines sont quasi neuves et d’autres autoroutes sont en chantier. J’ai aussi vécu l’ouverture du nouvel aéroport Blaise-Diagne. J’y suis allé huit fois en décembre quand j’ai reçu mes enfants et de la famille. Je n’ai pas attendu deux  heures qu’ils sortent de l’aéroport comme ça avait été le cas en novembre à l’aéroport Léopold Sédar Senghor, quand j’attendais des amis. Non, même pas 30 minutes. Le parking est très grand. Malgré ces petits ratés du début et quelques finitions en cours, l’AIBD est un bijou, fonctionnel et pratique.

Je remarque aussi qu’on n’a plus de coupures d’électricité, sauf imprévu, comme un pylône qui prend feu, ni de coupures d’eau. Dans mon quartier de N’Gor, je vois les commerces fleurir depuis deux ans très rapidement, ça n’arrête pas d’évoluer. Tous ces éléments réunis me font penser au développement rapide de la région parisienne, dans les années 1960-1980, là où j’ai grandi. Le seul point frustrant, c’est Damniadio, je passe souvent devant, et les travaux paraissent avancer très lentement…

J’espère que le Sénégal va réussir à relancer le tourisme. Pour moi, il manque par endroit  des offices de tourisme pour proposer des services homogènes et clairs, à la fois sur place et en ligne ainsi que pour proposer des guides compétents comme ceux que j’ai rencontrés à Saint-Louis, Joal-Fadiouth, la Somone, Ndangane… Le touriste européen ne vient pas au Sénégal pour les plages mais pour découvrir le style de vie et la culture. Il n’y a rien de mieux qu’une pension de famille, même dans une case, mais avec un minimum de confort international et des hôtes qui maitrisent bien le français et l’anglais. À Tahiti, on dormait très bien sur des motu (ilot) dans des fare (case) en ni’au (palmes de cocotier), avec de l’eau à température ambiante et de l’électricité deux heures par soir.

Enfin, l’arrivée de la manne du pétrole et du gaz dans moins de 5 ans va, je l’espère, permettre au pays d’investir massivement dans l’éducation et la santé pour permettre à toute sa population de bénéficier d’un grand bond en qualité de vie. Inch Allah comme disent les Sénégalais !

Y a-t-il des choses qui te manquent de la France ?

Des produits, pas vraiment. À Tahiti, vu les prix exorbitants, on se privait souvent de fromages, de vins, etc et on mangeait beaucoup de poissons et de fruits. J’avais même un manguier et un pamplemoussier très productif dans mon jardin. Ici, j’apprécie le poisson et le poulet yassa, je vénère la lotte et le capitaine ainsi que la dibiterie.

Pour moi, la grande difficulté dans l’expatriation, c’est de ne pas voir autant que je le voudrais mes trois grandes filles qui étudient en France et en Espagne, ainsi que ma famille, c’est ça le gros manque. On ne se voit que deux fois par an et parfois ça me pèse. Tout le reste ou presque, c’est gérable.

Est-ce que tu comptes rester longtemps au Sénégal ?

J’en saurai plus en mars, au moment du renouvellement du contrat de ma femme et je serai heureux de passer trois nouvelles années, en  essayant de découvrir la richesse culturelle du pays. Maintenant que j’ai écrit ces deux livres sur Tahiti, j’ai l’esprit à 100 % tourné vers le Sénégal et j’envisage cette fois-ci de reprendre un travail, même si le salaire n’est pas à la hauteur de mes ambitions.

Mais, pour être franc, mon souhait le plus cher sera un jour ou l’autre de retourner vivre à Tahiti. Notre « chez nous », dans nos têtes, c’est désormais là-bas. Une de mes filles compte aussi, une fois ses études terminées, s’y installer. On a peu de chances de retourner en Polynésie française par une mutation de ma femme, car en maths, désormais il n’y a qu’un ou deux postes proposés aux métropolitains chaque année, face à une centaine de candidats. J’ai suggéré à Cécile de se reconvertir en prof de philosophie, d’EPS ou d’anglais, là où les postes sont nombreux, mais elle a refusé ! J’espère que nous allons donc vivre encore quelques années à l’étranger et quand nos filles auront terminé leurs études et seront devenues autonomes financièrement, peut-être rentrerons nous au fenua en repartant de zéro, sans travail, et en créant notre entreprise…

Est-ce que ton livre « Piqué au tiare » rencontre son public ?

J’ai déjà vendu 300 exemplaires en un mois et demi, grâce à mes posts sur les réseaux sociaux, où les passionnés de Tahiti me connaissent depuis quatre ans sous mon pseudo « Cyril à Tahiti ». C’est un bon début. Je vais lancer une opération de crowfounding pour obtenir 300 pré-achats de mon livre photo, avant de l’imprimer et le diffuser par mes propres moyens en avril-mai. En juillet-août, j’envisage de faire le tour des principaux festivals polynésiens en France. Les premiers retours des lecteurs sont bons, le bouche à oreille fonctionne via les réseaux sociaux.

Comptes-tu écrire un livre sur le Sénégal ?

Pour l’instant, non, je n’ai qu’une vision touristique et partielle du pays. Je suis pour l’instant passé un peu à côté de cette expatriation parce que j’avais trop la tête à Tahiti et parce que je n’ai pas trouvé de travail. J’ai déjà quelques reportages photos ainsi que des histoires à raconter, mais rien d’aussi intéressant que ce que l’on peut lire sur les blogs  « La lorgnette du Margouillat » et « Une vie en Afrique », deux sites de référence pour comprendre le Sénégal, quand on y arrive.

Quels conseils donnerais-tu à une personne qui se demande si elle est faite pour une expatriation à Tahiti ?

Lis « Piqué au tiare » et tu ne te poseras plus de questions, tu achèteras ton billet d’avion dès que tu auras fermé mon livre. Tahiti n’est pas un paradis seulement pour son style de vie cool et sa culture locale passionnante, c’est aussi le pays de la pêche, la plongée sous-marine et des sports de glisse : va’a (pirogue à balancier), surf, paddle, wakeboard, kitesurf, planche à voile… En plus les prix des billets d’avion sont en train de baisser significativement grâce à l’arrivée de deux nouvelles compagnies sur le marché. C’est le moment d’y aller !

Et pour le Sénégal ?

Quelques idées en vrac. Côté logement, je conseille aux nouveaux venus d’effectuer leurs recherches sur place pour choisir le quartier qui correspond à leurs envies, on a l’embarras du choix à Dakar. Il existe des agences immobilières mais on trouve aussi de nombreux courtier dans chaque quartier. Il faut prévoir deux bonnes semaines, voire plus, pour trouver son logement. Et une fois installés, il n’est pas rare d’avoir des problèmes de plomberie ou autre…

Au niveau santé, on trouve de nombreux  médecins compétents, qu’ils soient d’ici comme le mien, ou d’ailleurs. Il est facile d’obtenir un rendez-vous avec un spécialiste. Il y a aussi un SOS médecins très efficace, un nombre incalculable de laboratoires d’analyse, j’ai tout essayé en 2 ans et je peux le garantir, ça marche bien. En cas de gros problème, les expatriés se tournent vers des cliniques privées au Plateau, qui sont en lien avec les caisses de remboursement françaises, ça évite parfois d’avancer les frais.

Côté sécurité, je me sens tout à fait à l’aise à Dakar. Depuis les attentats en Côte d’Ivoire et au Mali, le gouvernement a posté des binômes de militaires, tous les 300 mètres, dans de nombreux quartiers de Dakar. Il y a aussi des vigiles devant les commerces et grande surfaces, immeubles et villas. Avec tout ce dispositif, difficile de se faire voler ou agresser en journée. La nuit, il faut juste être prudent dans certains quartiers, comme dans toute capitale. On a vécu deux alertes attentats en deux ans, mais il ne s’est rien passé. L’armée française ainsi que les services secrets sénégalais, français et américains semblent travailler avec efficacité, merci à eux, et pourvu que ça dure, Inch Allah !

Le Sénégal est vraiment une terre idéale pour les familles, avec beaucoup d’enfants, car les parents peuvent faciliter leur quotidien avec l’emploi d’une femme de ménage-cuisinière-nounou à un prix défiant toute concurrence (ils peuvent aussi la payer plus cher que le marché ou financer les frais de scolarité de ses enfants comme le font de nombreux expatriés). Ils peuvent aussi embaucher des coaches pour des cours de musique, de chant, de danse africaine ou contemporaine à un prix abordable. L’association des Éléments Français au Sénégal est très précieuse, elle propose un grand choix d’activités pour adultes et enfants et est ouverte aux Français non militaire par parrainage. On peut aussi compter sur le Clos Normand et l’Olympique Club, sans parler des associations locales, qu’il faut savoir dénicher comme ces cours de cirque à la piscine olympique !

Coté éducation, le lycée français J. Mermoz est un établissement d’exception, avec des bâtiments magnifiques et quasiment neufs (inaugurés en 2011), du matériel pédagogique à profusion, des équipements sportifs incroyables (une piscine de 25 mètres entre autres !), une équipe pédagogique compétente et triée sur le volet ainsi qu’une équipe de direction  qui tient bien son établissement. Il faut néanmoins  faire face à des frais de scolarité élevés, environ 3 000 euros par an, mais les familles à faible revenu peuvent obtenir des bourses. D’autres établissements en lien avec l’Aefe sont installés à Dakar (l’institution Jeanne d’Arc, plusieurs écoles) mais aussi à Thiès, Saly, Saint-Louis et Zinguichor.

Il ne faut pas avoir peur des éventuelles maladies. Il suffit de respecter les vaccinations conseillées, se protéger contre les moustiques de nuit comme à Tahiti, laver ses fruits et légumes avec une goutte de Javel dans une bassine d’eau, ne pas boire l’eau du robinet pour les sujets fragiles, c’est tout. La grande majorité des restaurants à Dakar respectent les normes d’hygiène internationales, il y a un très grand choix, dans tous les types de cuisine : sénégalaise, ivoirienne, asiatique, marocaine, française… On mange très bien pour un prix raisonnable, voire peu onéreux, c’est l’un des charmes de la vie à Dakar.

Ce pays est d’une grande richesse culturelle. Il faut voyager dans les régions pendant les vacances. Pour cela il est nécessaire d’acheter une voiture. L’offre de voiture d’occasion est pléthorique mais il faut faire le tri. De mon côté, j’ai opté pour une voiture neuve, une citadine conçue pour le marché africain, avec une caisse relevée, un radiateur plus grand, des renforcements latéraux, etc. On n’est pas obligé d’acheter un 4x4, difficile à manœuvrer en ville et où les places de parking sont rares, à moins bien sûr d’aller en brousse chaque week-end. Je conseille la lecture du mensuel gratuit DéclicCar sur ce sujet.

S’installer au Sénégal est au final une expatriation plutôt  facile parce qu’une grande partie de la population parle ou comprend le français, parce que l’on retrouve de nombreux symboles français (grandes surfaces, dos d’âne…), parce qu’on trouve tout à Dakar, surnommée par certains « le 16e arrondissement de l’Afrique de l’Ouest », parce qu’on est environ 25 000 Français et que l’on peut à tout moment trouver de l’aide auprès de compatriotes, et parce que les Sénégalais sont très ouverts et sympas avec les toubabs. Bref, c’est une destination à conseiller pour une première expatriation.

Bio express

Cyril à Tahiti, 49 ans, marié avec Cécile, père de quatre filles : Sarah (25 ans), Marie-Charlène (22 ans), Pauline (22 ans), Anaïs (14 ans).

25 ans de journalisme et de communication

Site : Cyril à Tahit

Facebook : « Cyril à Tahiti » et « Piqué au tiare »

Mon livre "Piqué au tiare" est disponible sur Amazon

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions