Jean-Marie Dupart, en fervent défenseur de l’environnement, revient sur son parcours au Sénégal et son travail dans les parcs nationaux. Passionné d’ornithologie, il sort cette année « Oiseaux du Sénégal », un livre de vulgarisation à l’intention du grand public afin de faire connaître les oiseaux qui peuplent les parcs nationaux sénégalais. Cette œuvre est une des nombreuses idées de Jean-Marie, qui n’a de cesse de défendre l’environnement autour de plusieurs projets. Retour sur cette figure multi-casquettes et sur son livre où se mêlent ses passions pour l’ornithologie et la photographie.
Depuis combien de temps êtes-vous au Sénégal et pourquoi avoir choisi d’y habiter ?
Je suis au Sénégal en permanence depuis 7 ans mais je suis venu pour la première fois en 1976. Mon choix, c’est une longue histoire ! Déjà, j’adore l’Afrique, j’ai fait pas mal d’aller-retours en Afrique quand j’étais jeune. J’avais envie de m’éloigner du rythme à l’européenne, du stress, donc voilà, je me suis décidé à m’installer en Afrique. Et le Sénégal parce que c’est le seul pays où tu peux avoir des projets à moyen termes parce que les autres pays c’est instable et à chaque élection tu ne peux pas savoir ce qu’il risque de se passer. C’est le seul pays démocratique et stable. Dans les autres pays d’Afrique de l’ouest, tu ne peux pas partir sur des projets à moyen terme car tu ne sais pas ce qui peut se passer dans le futur. C’est aussi un pays avec énormément d’oiseaux et de choses à faire autour.
Avant la réalisation de votre livre et les clichés des oiseaux du Sénégal, vous avez aussi photographié votre région natale, les Landes et les montagnes basques ?
Je fais de la photo depuis l’âge de 16 ans en amateur. Je suis issu d’une famille de la nature, chez moi on partait souvent dans la forêt, dans la montagne. Et un jour voilà, je me suis mis à faire de la photo. C’est devenu une passion petit à petit, en marge de mon travail.
A côté, vous avez aussi plusieurs flèches à votre arc, puisque vous êtes ingénieur en techniques agricoles, mais aussi passionné d’environnement et d’ornithologie ?
La formation culturelle, je l’ai grâce à ma mère, une directrice d’école, qui est en avance sur son temps et qui me parlait d’écologie. Elle faisait des leçons sur les animaux en classe. Après les études, je suis ingénieur en techniques agricoles et j’ai travaillé dans trois boites sur des projets écologiques. Dès le début, les choix étaient basés là-dessus. Après j’ai travaillé pour une société qui fabriquait des machines pour l’agriculture, pour permettre de ne pas traiter les sols. J’ai toujours eu cette sensibilité écolo. Ça peut paraître bizarre aussi mais ma grande découverte c’est René Dumont, le premier candidat de 74 aux élections présidentielles. Son livre s’appelle L’utopie ou la mort et il parle beaucoup d’Afrique, c’est un spécialiste de l’écologie tropicale. Et donc il m’a sensibilisé à ça, j’étais moi-même dans le même cheminement : l’Afrique et l’écologie, et donc ça m’a marqué. Je le relis d’ailleurs de temps en temps, c’est mon livre de chevet ! D’ailleurs, dès 1974, il écrivait des trucs qui se passent aujourd’hui, il avait prédit pas mal de choses ! Bon et puis après, j’ai cette envie de me diversifier parce que je suis "touche à tout", curieux. Je m’intéresse à l’érosion, l’écologie, l’histoire, etc…
Pourquoi cette passion pour le continent africain ?
C’est d’abord une histoire personnelle et familiale. Mon père a travaillé en Afrique il y a longtemps et je l’ai toujours entendu parler de l'Afrique. Donc pour mon premier voyage, en 1976, je prends ma 4L et je pars en Afrique. Je prends la route par le Maroc, la Mauritanie, je suis en pleine marche verte avec les sahraouis, donc ça me rapproche de l’histoire aussi. J’ai toujours été attiré par ça. J’ai aussi un amour pour le rythme africain. J’aime bien prendre mon temps, me poser, discuter. On peut passer une journée à ne rien faire de spécial, mais rien faire c'est aussi réfléchir !
Pourquoi cette passion pour l’ornithologie ?
De l’histoire familiale aussi ! Quand j’ai commencé à faire des photos d’oiseaux j’avais 16 ans et quand tu commences, tu commences à t’intéresser. Je ne suis pas ornithologue, je m’intéresse aux oiseaux au Sénégal parce que malheureusement, au Sénégal il n’y a plus que des oiseaux. Les mammifères, tout ce qui est éléphants, girafes, ne sont plus au Sénégal. La chasse coloniale a joué énormément dans ce processus même si les Sénégalais ont repris le flambeau pour gagner de l’argent. C’est aussi dû à l’augmentation de la population et à la pression humaine.
Comment s’est réalisée l’écriture du livre Oiseaux du Sénégal ?
L’écriture du livre s’est faite en plusieurs étapes. Pour les parcs du Nord du Sénégal j’ai commencé à faire des visites un peu plus élaborées que ce qui se faisait avant et j’ai commencé à faire des fiches oiseaux pour les gens qui visitaient. A force je me suis retrouvé à faire des reliures de toutes ces fiches et les gens me demandaient : « mais pourquoi tu n’écris pas un livre ? ». J’ai finalement décidé de le faire. Il y avait aussi la sensation d'un manque, pour les gens qui s’intéressent à la nature sans plus de précision que ça. Ils n’avaient pas de supports, de livres, parce que soit ils étaient très chers, soit ils étaient inaccessibles parce que ce sont des ouvrages de recherche scientifique, donc pour quelqu’un qui visite un parc ce n'est pas simple ni adéquat.
D’où viennent les photographies de votre livre ?
J’ai fait les photos dans les parcs nationaux sénégalais. Et chez moi, ensuite, j’ai réuni les informations en deux à trois mois de recherche. J’ai aussi un avantage c’est que j’écris assez rapidement donc cela m’a aidé.
Est-ce qu’il y a eu des difficultés ?
Le plus dur c’était de choisir les oiseaux parce qu’il y en a énormément ! Et pour ne pas faire un livre avec 600 espèces il faut donc choisir 100 à 150 espèces, les plus faciles à voir. Il faut étudier et choisir celles qu’on garde ou non. Les premiers c’est assez facile mais ensuite il faut faire des choix. Peut être que ce sont des choix plutôt affectifs.
Qu’est-ce que ça vous a apporté de l’écrire ?
Ça m’a apporté beaucoup car je me suis penché de manière plus structurée sur les oiseaux. On découvre tous les jours quelque chose de nouveau.
Vous avez aussi travaillé dans les parcs nationaux Sénégalais, qu’est-ce que vous faisiez exactement ?
J’ai travaillé dans les parcs nationaux car je connaissais le président et j’avais offert des photos pour le parc. Ils m’ont proposé de venir travailler là-bas. J’ai fait du comptage, tous les travaux qu’il y a faire dans les parcs nationaux, la plantation de filaos, de mangroves... J’ai mis aussi sur Excel tous les oiseaux, mois par mois et années par années, car ils n’avaient jamais structuré ça. Ça permettait de faire des recherches et des études plus facilement et de remarquer les évolutions aisément.
Travailler sur l’environnement au Sénégal, est-ce que ce n’est pas difficile en termes de gestion des déchets et de développement des politiques publiques ?
Le problème au Sénégal c’est essentiellement le problème des déchets plastiques. Pour l’instant il n’y a pas de pollution industrielle au Sénégal à part sur Dakar. Et les sociétés agricoles sont européennes donc les risques de pollution agricole sont plus ou moins gérés, car les sociétés sont obligées de respecter les normes européennes donc de planifier les relevés d’eaux sinon leurs produits ne partent pas en Europe. Donc on a une petite garantie là-dessus. J’ai plus peur de l’agriculture sénégalaise où les agriculteurs peuvent faire n’importe comment, car les dosages ne sont pas forcément réglementés. Le problème ici c’est essentiellement une pollution visuelle, qui pourrait être traitée s’il y a une volonté d’Etat. Il faut mettre en place des services de traitement de ramassage efficace car on ne peut pas demander à une population de trier s’il n’y a pas de poubelles ou de ramassage concret et efficace.
Comment faites-vous pour vous battre ?
Actuellement, on est sur un projet de caravane de sensibilisation à l’environnement, on part 3 semaines avec 50 étudiants de Cheikh Anta Diop et de l’Université de Saint Louis et on fait le tour des parcs du Sénégal et des villages limitrophes. On fait de la sensibilisation auprès de la population et de la plantation d’arbres. L’idée c’est que ce sont les jeunes qui vont faire changer les choses.
Vous travaillez en parallèle avec l’Université Cheich Anta Diop sur d’autres projets n’est-ce pas ?
L’université c’est un hasard. A Dakar, certains avaient besoin de faire des stages pratiques sur l’environnement, la brèche du fleuve de Saint Louis par exemple. C’est un sujet récurrent et donc ils font des stages sur la Langue de barbarie et je leur sers d’accompagnateur. Moi je n’interviens pas à Dakar mais c’est un travail pratique.
La nouvelle génération sénégalaise est-elle consciente des enjeux environnementaux qui se posent actuellement ?
C’est le même problème qu’en Europe, la nouvelle génération prend conscience, il y a des associations écologiques étudiantes mais le problème c’est l’élite, les gens dans la rue, si tu leur dis « il faut protéger les oiseaux » ils te disent « je vais d’abord essayer de trouver à manger pour midi ». Moi je suis persuadé, même si ça peut paraître bizarre, que la seule solution pour accélérer le phénomène, c’est le bâton. Il faut d’abord que le gouvernement mette des moyens pour ramasser, des usines de traitement et qu’ensuite on dise à la population « Si tu ne jettes pas dans la poubelle, c’est une amende de 1000 francs. » C’est ce qui s’est passé en Europe, aussi ! Malheureusement les gens en général ne s’y intéressent pas. En France aussi, la preuve c’est les élections, ils s’y intéressent à la marge, ça gêne pour les vacances, mais bon si ça ne gêne pas dans la vie on s’en fout, on vit dans une société schizophrène : on veut du bien, du loisir, mais pas l’embêtement qui va avec.
Avec tout ça, vous avez créé une formation de guides touristiques avec l’Université ? Quel est l’objectif final ?
Ce sont deux structures, une première qui est liée directement à l’UGB verte à St Louis. Actuellement, il y a un projet qui est mené par un professeur de géographie à la fac pour faire une sorte de BTS en nature ornithologie, pour qu’il y ait des guides aptes à expliquer. Malheureusement aujourd’hui au Sénégal, on est à ce niveau de facilité, les guides savent seulement le nom des oiseaux, ils sont incapables de te dire pourquoi l’oiseau est là, d’où il vient etc… il y aussi un deuxième phénomène, c’est que tu ne peux pas raconter n’importe quoi, les gens avec internet sont renseignés. Il n’est pas possible d’inventer, il faut être sérieux. Donc on a mis en place cette structure.
Il y a un autre projet qui concerne les parcs nationaux. Il y a une association de jeunes éco-gardes sénégalais qui a été créée et qui fait tous les comptages à Dakar. Elle commence à s’intégrer à la vie des parcs nationaux avec pour but de faire avancer les choses. C’est intéressant. Les ornithologues et les spécialistes de la nature ici, se comportent trop souvent comme des ex-colons, et personnellement ça me dérange. Je pense que la sensibilisation des jeunes d’ici passera par une intervention des leurs. Quand c’est de l’intervention extérieure, cela a beaucoup moins d’impact. Quand c’est leurs fils ou leurs neveux, ça modifie complètement l’impression des gens par rapport à ça.
Pour exemple, avec les enfants des écoles de Saint Louis et de Gandiol on a fait une opération de nettoyage et de plantation de mangrove dans le cadre des vacances citoyennes. Quand leurs mères jetaient ils disaient : « Oh non ! On a nettoyé là, on a planté là… » c’est par là que ça passe ! Ces opérations ça se fait partout, je trouve aujourd’hui que les parcs nationaux sénégalais évoluent bien, il y a une vraie une prise de conscience parce qu’il y a un nouveau directeur aussi et qu’il impulse sur ces questions !
Est-ce que vous avez d’autres projets pour le futur ?
Des projets d’écriture oui. Je vais faire un bouquin qui sera la suite de celui-là si celui-là marche, parce que ce sera sur les oiseaux plus rares. Et après, j’ai un autre projet de bouquin que j’ai déjà commencé à écrire, sur toutes les petites choses qui me sont arrivées depuis que je suis au Sénégal. Je voudrais le faire à travers les yeux de mon chien, j’ai un border collie. C’est un chien adorable, et donc il joue avec les enfants. Au Sénégal ça peut paraître bizarre car d’habitude les chiens se font marcher dessus. Donc j’aimerais écrire ces petits sketchs, mais vu par l’œil du chien. Par exemple, le chien qui marche sur la plage et qui se fait embêter par tous les sachets plastiques. C’est une démarche intellectuelle de se mettre à la place du chien, comment il peut voir le Sénégal, malmené, mal vu, tabassé.
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Article publié initialement le 9 août 2017, mise à jour du 5 avril 2018 (par Gaëlle Picut) : Jean-Marie Dupart prévoit de publier en septembre 2019 une nouvelle version enrichie de son livre sur les oiseaux du Sénégal, en auto-édition. "Je vais ajouter 40 nouveaux oiseaux" indique l'auteur. Parallèlement, il continue ses actions de formation pour les parcs nationaux et pour les agents des Eaux et Forêts. Très régulièrement, il organise des séjours autour des oiseaux et plus globalement de la nature dans le Nord du Sénégal pour des passionnés français, italiens ou anglais ou des résidents. Il continue de mener des actions en faveur de l'environnement (en lien notamment avec l'érosion côtière à Saint-Louis et de la Langue de Barbarie). Et il suit avec attention (et inquiétude) les projets susceptibles de nuire à l'environnement du Sénégal (déclassement d'une partie de la réserve naturelle de la Somone, construction d'un port terminal à conteneurs à Ndayane/Toubab Dialaw, etc.). Jean-Marie Dupart prône pour le Sénégal auquel il est très attaché une voie de développement raisonnée et raisonnable, qui malheureusement, ne lui semble pas être celle toujours empruntée...