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Berengere Brooks, metteur en scène : la réflexion par l’absurde

Berengere-BrooksBerengere-Brooks
Écrit par Irène Idrisse
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 6 janvier 2021

Côte d’Ivoire, Tanzanie et enfin Sénégal pour Bérengère Brooks « française, un peu anglaise » qui y a posé ses valises depuis cinq ans. Auteure et metteur en scène, sa pièce : « De l’Importance d’Etre d’Accord » sera jouée le 16 décembre à l’Institut français de Dakar. Entretien avec une créatrice dont les œuvres mêlent tout à la fois humour et une prise de conscience acérée des problématiques contemporaines.

lorsque je crée un spectacle, je crée tout, y compris la scénographie - costumes et décors - la bande-son et les lumières… Il faut que tous ces éléments parlent le même langage pour que le spectacle soit réussi

Depuis quand vivez vous au Sénégal ?

Depuis 5 ans mais il y a 10 ans, j’ai vécu déjà pendant 3 ans à Dakar.

Vous êtes metteur en scène, comment en êtes vous venue à ce métier ?

J’ai fait des études de théâtre en Angleterre pour devenir au départ scénographe et au fil des années je me suis plus tournée vers la mise en scène et l’écriture mais lorsque je crée un spectacle, je crée tout, y compris la scénographie - costumes et décors - la bande-son et les lumières. Pour moi, c’est un tout, il faut que tous ces éléments parlent le même langage pour que le spectacle soit réussi.

Qu’est ce qui en ce métier vous a plu en premier lieu ?

La liberté ! Au théâtre, on peut tout faire, puisque que ce n’est pas « pour de vrai » comme disent les enfants… Et en même temps, c’est bien réel puisque les comédiens sont là devant vous ! Ce paradoxe me plait beaucoup.

Vous travaillez en Afrique. Qu’est ce que ce facteur implique ?

Savoir s’adapter rapidement à tous les imprévus et ne pas essayer de travailler comme en Europe mais trouver une autre manière de travailler ici et avec les gens d’ici.

 

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Vous êtes également auteure. Comment choisissez-vous vos thèmes d’écriture ?

Ce qui m’entoure, ce qui m’amuse, ce que je trouve injuste, ou ce qui me questionne. Dans l’écriture, j’aime pousser les choses vers leurs limites, cela découle souvent  sur l’absurde, ce qui est intéressant au théâtre.

Vous êtes et auteure et metteur en scène : n’est-ce pas là un statut de démiurge ?

Pour moi, cela va ensemble, comme je pratique ce qu’on appelle l’écriture de plateau, c’est-à-dire une écriture scénique et non pas seulement une écriture textuelle, cela me semble normal. Le théâtre est un langage physique avant d’être un texte. Il peut d’ailleurs exister sans texte. Le geste du comédien suffit à créer du théâtre.

Il y a toute une génération de jeunes comédiens qui n’a accès à aucune formation théâtrale mis à part quelques stages organisés par ci par là, et pourtant la demande est forte 

Vous est-il aisé de trouver des comédiens à même de porter vos mots ?

C’est souvent la personnalité même du comédien qui me donne envie de lui donner mes mots. J’aime voir le comédien derrière le personnage. Et j’aime retravailler avec les mêmes comédiens car il me semble que je peux écrire pour eux, je sais comment ils pourront porter mon texte.

Existe-t-il  une école, structure permettant d’apprendre le métier de comédien au Sénégal ?

Non, et c’est un vrai problème. Il y a toute une génération de jeunes comédiens qui n’a accès à aucune formation théâtrale mis à part quelques stages organisés par ci par là, et pourtant la demande est forte. Les jeunes comédiens apprennent leur métier en travaillant pour des séries pour la télévision mais ils se rendent bien compte que cela ne suffit pas. Après plus de 10 ans d’arrêt, l’Ecole des Arts a rouvert une section Art Dramatique l’année dernière mais 5 étudiants seulement ont été admis, ce n’est pas cela qui va assurer la relève.

 

Berengere-Brooks

 

D’ailleurs existe-t-il une réelle dichotomie entre acteurs et comédiens ?

 Je ne fais pas vraiment la différence entre les 2 mots mais « acteur » s’applique sans doute plus au cinéma et comédien au théâtre, mais personnellement, j’utilise les 2 termes.

Revenons à vos thèmes : l’environnement est donc source d’inspiration pour vous. Pourquoi  ce  besoin de l’introduire dans vos écrits?

Je parle de ce qui me touche, j’aime rendre compte de l’absurdité de certaines situations de notre vie quotidienne en les mettant en scène pour pousser le spectateur à s’interroger à son tour sur le monde qui l’entoure.

Votre écriture a-t-elle à voir avec une démarche militante ?

Peut-être mais sans le vouloir, je ne cherche pas à délivrer de message dans mes pièces, mais plutôt à montrer la réalité sous un angle diffèrent, ou avec une loupe pour mettre en évidence certains détails. C’est le propre de tout artiste, je crois.

D’où tu vas là ? Comment oses-tu venir chez moi ?

Le thème de votre précédente pièce est l’exil : « D’où tu vas ! » est son titre. Pouvez-vous nous expliciter ce titre, ce qui a motivé le choix de celui-ci, ce que ce sujet évoque pour vous et comment vous l’avez abordé?

En répétition, nous travaillions avec les acteurs sur ces deux questions : « Où tu Vas » ? et « D’où tu viens »? qui sont sans doute les 2 questions auxquelles les migrants doivent répondre au quotidien. Le bafouillage d’une des comédiennes a créé cette nouvelle question « D’où Tu vas ? » qui pour moi, n’en n’est plus une, mais plutôt une injonction pleine de mépris de l’Europe à l’égard des migrants : d’où tu vas là ? Comment oses-tu venir chez moi ? C’est comme cela qu’il faut le comprendre. Pour écrire cette pièce, j’ai beaucoup lu de témoignages de migrants, et j’ai utilisé la trame d’un conte de Grimm qui montre bien que cette histoire de personnes qui doivent quitter leur pays pour différentes raisons est très ancienne et se répète depuis des siècles.

« Je travaille beaucoup par images de placements et de déplacements des corps dans un espace, ce qui vient sans doute de ma formation de plasticienne… »

Quelle a été la vie de cette pièce ? A-t-elle trouvé écho au sein du public ?

Cette pièce a été bien accueillie par le public, que ce soit par le public dakarois de l’Institut Français, de Blaise Senghor, ou celui fait d’élèves d’un collège de Matam, et pour moi, c’est très important de toucher des personnes qui vivent cette réalité de la migration de manière très différente. Avec ce spectacle, nous sommes allés partout au Sénégal, dans toutes les régions, dans les Centres culturels, les Universités, des écoles. Et ce n’est pas fini, nous allons repartir encore au sud du Sénégal et dans les capitales d’Afrique de l’Ouest en 2018.

Comment s’effectue votre processus de création artistique : (hibernation, immersion dans le sujet par de la documentation ?

Je commence par trouver un thème qui m’intéresse, j’essaye de voir ce qui a déjà été écrit ou fait sur ce thème, s’il y a des histoires réelles ou de fictions qui pourraient m’inspirer, me nourrir. Souvent, je commence par ressembler des musiques, des sons qui pourraient être la bande son parfaite. J’écris quelques scènes ou quelques bouts de scènes, mais pas forcément des dialogues. Je travaille beaucoup par images de placements et de déplacements des corps dans un espace, ce qui vient sans doute de ma formation de plasticienne, puis je réunis les comédiens et je commence le travail avec eux. Je ne leur parle pas du thème, ni de l’histoire que je veux raconter au départ. On travaille beaucoup en silence autour de ces images et j’introduis du texte petit à petit. Je leur demande aussi d’improviser sur des choses très précises, très cadrées. Ce n’est qu’au bout de 2 ou 3 mois, qu’ils ont un texte écrit et que l’on commence l’assemblage des séquences : musiques, déplacements, chorégraphies, dialogues, etc… et que tout cela prend un sens mais rarement la forme d’une narration linéaire.

 

Berengere-Brooks

 

Vos acteurs sont principalement sénégalais. S’expriment-ils en français ou en wolof ou dans un mélange des deux ?

En Français. Mais par le passé, j’ai travaillé avec des comédiens qui ne parlaient pas ma langue et moi pas la leur, et c’était très intéressant, nous avons créé des spectacles que l’on pourrait qualifier de danse-théâtre avec très peu de dialogues mais tout autant compréhensibles par tous.

Il me semble que le travail au quotidien de comédien au théâtre est plus enrichissant, satisfaisant, que celui d’acteur de cinéma 

Pouvez-vous nous expliquer la constance du schéma suivant dans votre casting, à savoir : un acteur leucoderme parmi des africains ?

Ce n’est pas une obligation mais étant moi-même souvent la seule blanche parmi des Africains et mon travail étant ancré dans notre quotidien commun, cela fait sans doute sens d’avoir un acteur blanc sur scène. Ce sont les thèmes abordés qui le nécessitent.

Il existe parfois un snobisme des comédiens œuvrant sur les planches vis-à-vis de ceux faisant du cinéma. D’où cela vient-il ? Quelles différences fondamentales existent-ils entre les deux disciplines ?

Il n’y a aucune raison que ce snobisme existe mais c’est vrai que ce n’est pas tout à fait le même métier et qu’il est sans doute plus facile pour un comédien de théâtre de faire du cinéma que l’inverse, pour des raisons purement techniques. Il me semble que le travail au quotidien de comédien au théâtre est plus enrichissant, satisfaisant, que celui d’acteur de cinéma où certaines journées sont faites de longues heures d’attente pour jouer seulement 30 secondes devant la caméra mais au bout du compte, c’est bien l’amour du jeu qui habite acteurs et comédiens et ils ne sont pas si différents.

découvrir comment dans notre vie au quotidien, habitudes, coutumes et traditions se confondent et créent des situations qui nous empêchent d’avancer ou simplement, de voir les choses différemment 

 

De quoi traite votre pièce actuelle ?

De la jeunesse face aux traditions, de ce tiraillement… Comment faire avec les traditions de son pays, de sa famille, dans un monde moderne, mondialisé. Il y a aussi cette idée d’être d’accord, d’où le titre : « De l’Importance d’Etre d’Accord ». Il est important d’être d’accord au sein du groupe auquel on appartient mais avant tout d’être d’accord avec soi-même, je crois. Et là encore, souvent cela peut provoquer des tiraillements… Pour parler de cela, j’ai utilisé des scènes de 2 courtes pièces de Brecht où un enfant se trouve confronté à l’absurdité de certaines traditions. Je voulais au départ raconter la vie de cet enfant, mais finalement, pendant le travail, c’est la vie de sa mère que je me suis mise à inventer et raconter. Je voulais aussi découvrir comment dans notre vie au quotidien, habitudes, coutumes et traditions se confondent et créent des situations qui nous empêchent d’avancer ou simplement, de voir les choses différemment.

 

Berebgere-Brooks-De l’Importance d’Etre d’Accord

 

Parcours  - de combattant - d’une pièce de théâtre au Sénégal

Pourquoi cette thématique ?

En observant les jeunes comédiens avec lesquels je travaille qui sont dans cette situation. Ils vivent dans une société moderne, mondialisée, connectée, ont envie de créer, de faire des choses mais semblent tiraillés entre cet élan et leur envie de respecter leurs ainés, ou certaines traditions. J’avais envie de leur dire, ce n’est pas incompatible mais il va falloir bousculer un peu les choses quand même…

Sitôt qu’une pièce est créée et mise en scène, quel est son parcours au Sénégal ? Les guichets auxquels ladite pièce peut frapper afin d’obtenir des subventions en vue de tournées par exemple ? 

Je crois qu’il faut travailler en amont. C’est-à-dire qu’avant d’entrer en création, il faut avoir déjà un financement pour une tournée, sinon, c’est trop frustrant et je vois beaucoup de spectacles qui sont créés pour être jouer seulement une ou deux fois à Dakar. Il est très difficile d’obtenir des subventions pour le théâtre au Sénégal et heureusement je suis soutenue par des Institutions Culturelles comme le Goethe Institut, la Fondation Rosa Luxemburg ou encore l’Institut Français qui me permettent de créer mais je ne vous cache pas que c’est très difficile. Je milite pour une réelle professionnalisation du métier de comédien au Sénégal, que les comédiens soient reconnus et payés pour leur travail, notamment pour le travail de répétitions, ce qui est encore trop rarement le cas.

 

Berengere-Brooks

 

Pourquoi cette thématique ?

En observant les jeunes comédiens avec lesquels je travaille qui sont dans cette situation. Ils vivent dans une société moderne, mondialisée, connectée, ont envie de créer, de faire des choses mais semblent tiraillés entre cet élan et leur envie de respecter leurs ainés, ou certaines traditions. J’avais envie de leur dire, ce n’est pas incompatible mais il va falloir bousculer un peu les choses quand même…

Sitôt qu’une pièce est créée et mise en scène, quel est son parcours au Sénégal ? Les guichets auxquels ladite pièce peut frapper afin d’obtenir des subventions en vue de tournées par exemple ? 

Je crois qu’il faut travailler en amont. C’est-à-dire qu’avant d’entrer en création, il faut avoir déjà un financement pour une tournée, sinon, c’est trop frustrant et je vois beaucoup de spectacles qui sont créés pour être jouer seulement une ou deux fois à Dakar. Il est très difficile d’obtenir des subventions pour le théâtre au Sénégal et heureusement je suis soutenue par des Institutions Culturelles comme le Goethe Institut, la Fondation Rosa Luxemburg ou encore l’Institut Français qui me permettent de créer mais je ne vous cache pas que c’est très difficile. Je milite pour une réelle professionnalisation du métier de comédien au Sénégal, que les comédiens soient reconnus et payés pour leur travail, notamment pour le travail de répétitions, ce qui est encore trop rarement le cas.

Comment vous définiriez vous en un mot ?

Inventive.

Un dernier mot ?

Tout cela a l’air très sérieux mais mes spectacles sont plutôt drôles ! L’humour est une bonne manière d’appréhender le monde. Alors, venez voir « De l’Importance d’Etre d’Accord » le 16 Décembre à l’Institut Français de Dakar !

 

Prochaines dates de la tournée :

Le 13 Décembre à l’UGB de St Louis

Le 16 à l’Institut Français de Dakar

Le 20 à l’Université de Thiès

Le 27 au Festival Formes et Rythmes du Monde de Toubab Dialaw.

 

Vos préférences

Pièce de théâtre préférée :

J’aurai plutôt envie de citer des metteurs en scène comme Bob Wilson ou Peter Brook. Mais si il faut citer un classique je donnerais « La Cerisaie » de Tchekhov… mais mise en scène par Peter Brook.

Personnage de théâtre préféré :

Cordelia dans Le Roi Lear de Shakespeare

Auteur préféré :

Samuel Becket

Réplique préférée :

« To be or not to be » bien sûr ! Question essentielle pour tous les comédiens !

Moment de théâtre préféré :

Le début des répétitions lorsque tout est à inventer.

www.brrrproduction.com

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