L’italien le plus célèbre des Almadies c’est lui : Mauro Petroni. Esthète, l’homme vit Art respire Art, pense Art. Etonnant parcours pour celui qui fit des études de sciences politiques. Ses mots sont poétiques, acides, assassins parfois mais ne dérogent pas à cet humanisme qu’il porte en lui et qui lui font appréhender le monde avec un petit sourire amusé. Entretien avec un homme tout entier dans la quête et la révélation du Beau.
Moi je suis devenu artiste un jour comme je vous l’ai dit, à la suite d’un mot sur une enveloppe
Pouvez-vous vous présenter ?
Mauro Petroni, italien, français un peu, sénégalais beaucoup. J’ai un atelier de céramiques aux Almadies, je fais des céramiques et je m’occupe d’art contemporain.
Depuis quand résidez-vous au Sénégal et plus particulièrement à Dakar ?
Je suis arrivé à Dakar vers la fin du mois de janvier 1983.
Dans quel cadre avez vous foulé la terre sénégalaise pour la première fois ?
Voyage, découverte, savoir... je suis arrivé par la Mauritanie, le premier souvenir que j’ai du Sénégal c’est le Pont de Saint Louis que j’ai traversé à pied.
D’où veniez-vous ?
De l’autre côté du pont…
Avant le Sénégal, aviez vous déjà visité d’autres pays d’Afrique ?
Beaucoup, au moins une vingtaine au cours de trois voyages.
Comment vous est venue l’idée de vous installer à demeure au Sénégal ?
Je n’ai jamais eu l’intention de rester ! La chose a muri dans le temps.
Quelles furent vos premières impressions ?
Les couleurs des boubous des femmes.
Votre plus grand étonnement ?
Même s’il y avait de la place, j’ai eu l’impression que les gens voulaient toujours être dans le même espace, s’entasser, se serrer. Évidement, ça ne me choque plus maintenant.
Vous êtes céramiste avant tout. Pouvez vous nous relater comment vous en êtes venu à cet art ?
C’est très lié à ces voyages. J’ai rencontré à Tombouctou un français qui faisait ce métier. Par la suite il est devenu mon maitre. Et c’est lui qui m’a fait venir à Dakar. Il s’appelait Paul Frapolli.
Qu’est ce qui en lui, vous a séduit ?
Sur le fleuve Niger, nous étions sur le rivage, assis sur le sable. Pendant qu’il me parlait, il touchait avec sa main le sable et il faisait de formes. L’homme m’a plu, le métier m’a intrigué.
En règle générale, au fil du temps et de la pratique, l’art dans lequel officie un artiste devient-il son métier faisant de lui un professionnel de la chose ?
C’est le regard des autres qui est déterminant. J’étais apprenti. Un jour j’ai reçu une invitation de je ne sais plus quelle institution et c’était écrit : Mauro Petroni, artiste. J’ai ri ! Et encore plus quand on m’a appelé « artiste italien », ça comptait double !!! Ça contait double …
Mais le statut de « professionnel » n’offre t’il pas un confort pouvant nuire à l’Art qui est par essence un libre exercice et un exercice libre ?
Il faut toujours lutter, comme partout tu n’es jamais « arrivé ». En même temps, la professionnalisation peut consolider le statut et donner plus de possibilités, et donc de libertés.
La bohême nécessaire à la création artistique est-elle donc une notion surfaite propre aux romans ?
Je pense que oui, c’est une lecture romantique. Mais je revendique l’Independence ! Être considéré « artiste » aide beaucoup à se positionner comme diffèrent, hors-série. Après le système te rattrape, c’est un peu le jeu du chat et de la souris.
L’art requière-t’il des muses pour l’élan premier puis une discipline ?
Discipline c’est sûr, même si chacun peut avoir sa propre muse… On revient à une conception romantique de l’art : tout ça c’est du toc. Même le mot « artiste » ne signifie plus rien. On peut se remplir la bouche, être rasta, habillé dans un style, jouer le grand jeu. Aujourd’hui l’art c’est un marché.
Si l’on devient forgeron en forgeant, devient-on artiste en pratiquant d’où l’intérêt de l’école des arts, entre autres structures ?
Ça dépend, on peut jouer de la musique sans savoir lire les notes. Plus difficile d’être écrivain sans savoir écrire. Encore qu’on peut dicter… Mais on ne peut pas dicter la peinture. Tout est un peu confus, il y a mille voies, mais l’apprentissage reste une grande et belle chose. Et une bonne école peut vraiment structurer ta formation.
Le choix de devenir un artiste plastique doit-il découler d’un talent que l’on a en soi ou ce choix peut-il s’ancrer sur l’envie ou la passion, plus une solide volonté d’apprendre, de faire et parfaire ?
Chacun sa réponse. Moi, j’avais fait une école de sciences politiques. Je ne suis pas bon en dessin.
En matière d’artistes plasticiens, quels sont les artistes sénégalais dont la carrière vous a le plus époustouflé ?
Soly Cissé. C’est sans doute le plus flamboyant.
Que ressent-on lorsque l’on découvre un artiste de grand talent avant qu’il n’explose ?
Comme avoir acheté un terrain aux Almadies avant la surenchère du quartier.
Que ressent-on lorsque la carrière dudit artiste décolle comme par exemple celle de l’inénarrable Soly Cissé ?
Plaisir pour lui si c’est votre ami, énervement si vous le trouvez antipathique.
Sentiment de dépossession, de la joie et/ ou une certaine fierté d’avoir assisté à la genèse de l‘odyssée?
Comme partout, même dans le métier artistique on peut avoir beaucoup de satisfactions, mais aussi beaucoup de jalousies et de trahisons. Même si tu apprécies quelqu’un, il arrive le moment des questions : pourquoi il fait comme ça, pourquoi il ne m’a pas consulté... Il faut toujours penser que l’artiste doit surtout être un homme libre !
A ce propos, comment avez-vous connu Soly Cissé ?
À la maison d’un autre artiste, Amadou Sow, décédé aujourd’hui. Soly venait de faire sa première exposition au CCF, il y a vingt ans plus ou moins. Peu de temps après, en 1999, il a exposé chez moi pour la première fois.
Comment vous est venue l’idée de créer l’Atelier Céramique aux Almadies ?
L’atelier existait, l’idée a été de transformer occasionnellement l’espace en lieu d’exposition et de donner plus de visibilité aux artistes.
Quel est son rôle ?
Montrer, réveiller, faire plaisir, ME faire plaisir !
A force d’exposer d’autres artistes, ne s’oublie t’on pas soi-même ?
Une belle exposition est comme une création. Je me sens actif et vivant quand je la réalise, j’expose les autres mais c’est MON exposition.
Comment votre nom s’est-il retrouvé associé à toutes les manifestations artistiques initiées par le groupe BTP Eiffage ?
Un rapport de confiance qui a grandi dans le temps, une très belle aventure pour moi et, je l’espère, pour eux aussi.
Quel est votre apport quant à la mission artistique que cette entreprise semble s’être donnée ?
J’ai pratiquement géré tous les évènements que l’Entreprise a organisé. Pour elle c’est la satisfaction d’avoir cette image d’entreprise citoyenne : le plus important mécène du pays. Maintenant on parle beaucoup de RSE des entreprises, Eiffage a rempli ce rôle depuis vingt ans : on savait l’importance de ce qu’on faisait, mais ce n’était pas codé, on donnait libre cours aux envies, dans une logique de soutien à la culture.
Etes-vous le conseiller de son directeur général Gérard Senac ?
Nous sommes amis et complices, d’abord. Je n’ai pas un bureau à Eiffage, mais j’apprécie beaucoup cette collaboration et toutes les choses que nous avons pu faire ensemble.
Vous êtes notamment connu pour votre rôle dans la Biennale des Arts et le Gorée Regards sur Cours. Pouvez vous nous parler de ces deux institutions ?
Là, il faudrait un petit roman ! En plus vous avez oublié le Partcours, qui arrive cette année à la sixième édition. Incroyable pour une manifestation autonome et spontanée !
Par qui ont-elles été créées et depuis quand faites-vous partie des comités d’organisation ?
La Biennale a été créée par l’état du Senegal, Regards sur Cours par Marie José Crespin avec d’autres goréens, Le Partcours par Koyo Kouho et moi-même avec une dizaine de galeries indépendantes.
Etant donné le tourbillon artistique qui vous entoure, n’avez-vous jamais eu l’idée de créer un espace dédié à l’art ou école d’arts au sein duquel, en sus des professeurs attitrés, les différents artistes que vous connaissez, vivant au Sénégal ou de passage passeraient selon leur temps libre, donner des cours partager leurs expériences avec les étudiants de tout âge y compris dans des classes-enfants ?
C’est une très bonne idée. Voulez-vous venir pour organiser ça ?
Votre principal et semble t’il unique sponsor est Eiffage. N’est-ce pas ? Le départ à la retraite annoncé comme « prochain » de son directeur affectera t’il vos activités telles que les expositions d’artistes etc?
J’espère que ce départ sera progressif. C’est évident que beaucoup de choses vont changer pour moi, et pas seulement pour moi. Je crois que toute la communauté artistique va en souffrir. Mais, comme c’est écrit sur les cars rapides, « tout passe ».
En règle générale, un artiste peut-il prendre sa retraite comme tout autre travailleur classique ou « artiste un jour, artiste toujours » ?
Renversez la phrase, « artiste toujours, artiste un jour ». Moi je suis devenu artiste un jour comme je vous l’ai dit, à la suite d’un mot sur une enveloppe. Peut-être qu’un autre jour je vais recevoir une autre lettre « Mauro Petroni, retraité ». Pas sûr que je vais ouvrir l’enveloppe…
La biennale des arts 2016 est une réussite sur plusieurs plans mais accuse également des manquements. Au sein du comité, quelles mesures seront prises afin que cet évènement aille s’améliorant ?
Je ne connais pas d’homme sans défaut, d’évènement sans manquements. Plus c’est grand, plus c’est difficile. Les bonnes intentions ne suffisent jamais. On y travaille.
Financé par l’état à hauteur de 500 millions de CFA, à quelles innovations - si innovations il y a – doit-on s’attendre pour l’édition 2018 ?
On pourrait se dire que, dotée de plus de moyens, l’innovation la plus importante devrait être de travailler avec plus de sérénité. Difficile ! C’est toujours très confus, c’est comme ça partout ailleurs.
Bénéfice t’elle également de financements privés ?
Oui, plus ou moins 30% du budget.
Quels sont vos projets ?
Bien terminer cette interview.
Vous sentez-vous comme un Italien en terre sénégalaise, un apatride ? Comment vous qualifieriez vous ?
J’ai été toujours très admiratif de l’ouverture que les sénégalais ont eu vis-à-vis de moi. Je ne me suis jamais senti diffèrent, écarté. On m’a permis de vivre et de m’affirmer. C’est curieux, mais je crois que beaucoup est du à mon statut, un « artiste » ne dérange personne.
Quels sont les avantages de vivre hors de sa terre natale ?
Justement, un « artiste blanc » est un peu un « hors caste ». Cela donne beaucoup de liberté, tu n’appartiens pas à un clan, tu n’es pas dans une logique d’ethnie, ni de nation étrangère. Je suis passé partout, j’ai côtoyé les grands et les petits. Je connais beaucoup de monde et de choses au Sénégal, et j’ai beaucoup visité le pays.
Les inconvénients ?
Les billets pour rentrer au village (en Italie) sont très chers.
Que représente l’Italie pour vous ?
Un beau pays, une belle langue. Un grand livre d’histoire de l’art. Cette culture m’a donné beaucoup de force pour avancer. Je ressens du spleen dans mes souvenirs : je me revois la bas, quand j’étais plein d’envie de partir et de faire.
Vous accusez maintenant 34 ans années de Sénégal. Quelles sont les plus grandes joies que cette terre d’Afrique vous a apportées ?
La liberté, les espaces, les sourires.
Avez-vous des regrets ?
Oui, que Dakar soit devenu si moche !
Enfin, votre actualité ?
A la rentrée l’organisation du prochain Partcours (décembre), avec une exposition à l’atelier.
D’autres expositions suivront. Un projet à Ziguinchor, et une collaboration dans une importante production cinématographique. Pour arriver à la Biennale en mai 2018.
Selon Nietzche, sans la musique la vie serait une erreur. Selon vous, sans l’art la vie serait… ?
J’aime bien vous retourner les questions : c’est quoi l’art sans la vie ? Ces deux mots sont souvent liés, « art de vivre », « vivre de son art ». Nous sommes en train de les séparer, il y a une tendance à aller vers un art mécanique, qui n’est plus lié à la vie mais aux marchés, à l’exploitation, à la réussite économique. Il y a toujours eu ce risque, mais aujourd’hui, il me semble encore plus dangereux.