Faire (un peu) son Agnès Varda à Copenhague (à propos de sirènes, de Cariatides et de murals)
L’article suivant propose une balade dans la ville de Copenhague en prêtant attention à certains de ses murals, en prenant Agnès Varda comme guide. Une premiere partie a été publiée la semaine dernière, voici la suite de la promenade !
Toutes les villes se ressemblent quand elles sont réduites à une esquisse symbolique comme dans le « O » de l’inscription « Esco » (à Mollegade).
Ville dans lettre O - Violaine Caminade de Schuytter
Une idée de ville plus qu’une ville réelle. Le linge qui pend d’une fenêtre à l’autre sur un autre mural de Nørrebro (« Solidaritet ») renvoie à un type de ville plus méditerranéenne que la scandinave Copenhague. Est-ce une représentation utopique ou au contraire dystopique ? Est-ce l’allusion à une ville originaire d’où viendrait un voyageur, qui semble tristement assis avec sa valise sur le toit de l’immeuble représenté, comme en quête d’un foyer retrouvé ?
Voyageur - Violaine Caminade de Schuytter
La ville est parfois représentée à rebours de son idéal et c’est le cauchemar qui se profile, atténué par l’humour, comme dans cette caricature édifiante de Nørrebro :
Snoopy et Lutin rouge - Violaine Caminade de Schuytter
Le mal, c’est la drogue dans ce cas. Mais Agnès Varda le filmait sous un autre aspect dans Mur Murs, sous la forme d’un serpent sur un mural représentant Adam et Eve. A Copenhague, on en trouve aussi un sur un mural revisitant l’opposition genrée entre homme et femme : il sépare un Indien et une Indienne mais il semble plus goguenard et parodique que maléfique.
Indien, Indienne et serpent - Violaine Caminade de Schuytter
Cette Indienne de Titangade est associée à la tente, c’est-à-dire au foyer : le cliché a la vie dure. Sa voisine de Fredericksberg n’est pas dotée de l’attribut masculin phallique qu’est la pipe et doit se contenter de son sort de simple ménagère reléguée aux coulisses du placard, dans un entre- deux moins visible, entre deux immeubles.
Cependant le poing levé et les muscles exhibés de la femme de ménage sur la gauche du mural prédisent malgré le sourire une lutte encore à venir.
La rébellion n’est pas le monopole des chicanos dont Mur Murs se fait un vibrant porte- parole. On retrouve en effet le discours politique sur les murs de Copenhague : les graffiti « free Palestine » envahissent même l’espace dévolu au jeu enfantin ! Ou bien de façon moins sauvage certains murals s’assument plus officiellement comme les véhicules de tendances revendiquées, comme dans cet hommage rendu par les Chiliens de Copenhague au président Salvador Allende renversé par Pinochet.
Ailleurs ce sont trois étranges sirènes (des Euménides ?) aux chevelures ondoyantes qui, de leurs bras dansants, semblent faire signe au marcheur l’invitant (probablement) à dépasser les antagonismes raciaux (le rouge qui dégouline en dessous de ces représentations suggère sinon un bain de sang du moins un sacrifice).
Les cheveux de la femme du milieu cachent des seins qui, au contraire, s’exhibent quelques mètres plus loin sur un mural éclatant de santé, jouxtant une plus austère église comme on en voit tant à Copenhague.
Sirènes politiques et Seins nus avec jumeaux - Violaine Caminade de Schuytter
Mais cette femme aux seins nus a de quoi déconcerter un regard pudibond étranger. Est-ce une publicité pour l’allaitement ? Les Rémus et Romulus danois qu’elle tient dans ses bras sont un défi à l’interprétation d’une spectatrice non danoise. Mais ces jumeaux entrent étrangement et de façon fortuite en résonance avec une tombe du cimetière Assistens Kierkegaard avoisinant sur laquelle une mère angélique étreint deux petits identiques.
Ange jumeaux - Violaine Caminade de Schuytter
Car un mural, par nature, a une durée de vie plus limitée que la pierre. Mais il redouble en ce sens son Mementum Mori (Rappelle-toi que tu dois mourir). Car c’est bien en effet le message que colportent paradoxalement ces muraux, même aux sourires candides. En effet par sa précarité tout mural vaut avertissement lancé aux passants, comme ce mural à demi- caché par la construction d’un nouvel immeuble.
mural recouvert - Violaine Caminade de Schuytter
Plus qu’un tableau dans un musée, le mural sait qu’il est éphémère et ne peut concurrencer la pierre, qui elle-même, ne dure pas éternellement. C’est donc cette vérité dérangeante que le pittoresque art du mural propage, de Los Angeles à Copenhague, villes similaires à cet égard, qu’elles figurent sur la carte de l’Ancien ou du Nouveau monde !
Si notre article bien naïf, puisque il ignore complètement l’histoire de chacun de ces murals, s’inscrit (un peu) dans le prolongement de la vision d’Agnès Varda, il lui manque cependant ce qui fait entre autres le sel de son univers : la rencontre et le dialogue avec les authentiques protagonistes de cette fragile épopée picturale. Il nous reste donc à passer le relais en vous invitant à regarder vous aussi les multiples représentations qui colorent notre ville d’expatriation. A l’une des entrées du cimetière évoqué figure (en français !) au sol cette maxime : « La terre porte ton empreinte ». Mais ne peut-on en dire de même de ces murs peints car ne témoignent-ils pas aussi, à leur manière populaire, de l’âme de la ville ? Ce n’est pas le moment de faire, comme sur ce mural près de Fiskerhavnen son schtroumpf grognon !
Schtroump grognon - Violaine Caminade de Schuytter
Les photos de Copenhague ont été prises cette année par Violaine Caminade de Schuytter
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