Sophie Dupont, artiste contemporaine danoise, nous transporte dans un univers où le corps, l'espace et le temps se mêlent intimement. Une connexion, ou une reconnexion, avec soi mais aussi avec les autres, dans un monde dans lequel tout va très vite au point où on en oublie parfois de prendre le temps. C’est là tout l’art de Sophie ; quoi de plus primaire que de respirer et quel meilleur exercice pour se retrouver ?


Mon art est une éternelle tentative de se glisser dans la vie. Être dans la vie. Comprendre la vie. Ne pas la prendre pour acquise. Pourquoi voulons-nous vivre la vie ? Mon art est une manière de créer des œuvres activistes avec la respiration, où la concentration se ralentit afin de créer conjointement un espace porté sur l’attention, le soin et qui aborde les liens vitaux entre les gens.
En ce matin de janvier, Sophie Dupont nous ouvre les portes de son atelier. Dehors, le ciel est d’un bleu si intense qu’il en illumine la pièce et les œuvres qui s’y trouvent. Un échange des plus riches s’offre à nous car Sophie, qui ne le fait que très rarement, a choisi de nous partager son histoire.
Respirer pour survivre
Sophie Dupont : un nom qui sonne très frenchy nous direz-vous ? Tout à fait ! Et cela s’explique par une histoire familiale qui débute à La Rochelle, ville majoritairement Huguenotte au XVIème siècle puisque la réforme Protestante y est largement adoptée. Mais face aux guerres de religions, la famille de Sophie n’a d’autre choix que de s’exiler pour l’Allemagne. Sa famille gagnera plus tard le Danemark, où elle réside toujours aujourd’hui.
Sophie grandit entourée de sa grand-mère, une femme médecin, ce qui est assez rare à l’époque pour être souligné. Une figure forte qui sera la première à lui apprendre l’importance de la respiration en expliquant très tôt à Sophie que quand les choses deviennent trop compliquées et l'atmosphère irrespirable, il faut dans un premier temps penser à expirer pour retrouver son souffle.

Un conseil précieux, car cette grand-mère le sait, sa petite-fille vit dans un climat familial tendu. Les parents de Sophie divorcent lorsqu’elle a 8 ans puis sa mère, psychologue, rencontre un confrère, chef de sa section, qui deviendra le beau-père de Sophie. Un homme qui connaît la psychologie et qui n’hésite pas à l’utiliser contre sa belle-fille pour la faire disparaître.
Aucun jouet ne devait traîner dans l’appartement, aucune affaire m’appartenant, aucun signe de ma présence. J'étais parfois si triste que j’avais cette sensation de ne pas pouvoir respirer.
Il y avait une ferme près de chez nous où j’aimais aller pour m’occuper des chevaux. Il m’a alors interdit d’y aller sans raison. Ma mère m’aidait à y aller en cachette. Tout était d’ailleurs toujours fait “en cachette”, ce qui n’est absolument pas sain.
À 14 ans, Sophie veut partir vivre chez son père mais sa mère l’en empêche. Cette jeune fille a alors une idée : se faire hospitaliser pour disparaître un temps. À son tour, elle puise dans la psychologie.
Chaque jour, je priais fort afin d’être malade et de pouvoir me faire hospitaliser.
Cela fonctionne : petit à petit, ses jambes se paralysent et Sophie est hospitalisée pendant 2 mois. Une période durant laquelle Sophie est loin de tout, là sans être là. Une période “morte” de laquelle il faudra alors renaître.
Respirer pour vivre
Son exutoire, Sophie le trouve dans la danse lorsqu’elle a 16 ans. Cet art permet une connexion entre le sol et soi, de s'ancrer, d’exister. Un art qui lui apporte aussi discipline et force.
Une façon de se connecter à la vie mais aussi de se questionner sur l’équilibre, de l’apprivoiser aussi. Une sorte de balance entre le bon et le mauvais.
Lorsqu’elle a 21 ans, sa mère décède et la danse devient alors pour Sophie la manière ultime de s’exprimer pour elle-même. A cette période, Sophie vit à Londres, qu’elle quitte un an plus tard pour retourner à Aarhus.
La danse fait aujourd’hui partie de son art, et elle lie ce moyen d’expression à la respiration lors de ses performances.
Après son retour à Aarhus, Sophie visite fréquemment cette fameuse ferme qu’elle aimait tant et qui dispose aussi d’un atelier de peinture. C’est là qu’elle commence à peindre.
Un ami la convainc de s’inscrire dans une école d’art, ce qu’elle fait et va même jusqu’à intégrer “The Royal Danish Academy of Fine Art”.
C’est assez incroyable pour moi de me dire que mes œuvres qui étaient stockées sous mon lit depuis plus de 20 ans suite à ma candidature à l’école d’art font désormais partie de la collection du Musée National ! [en référence à son projet Abstracts 2000 ndlr]

Respirer pour la vie et l’équilibre
En 2010, Sophie Dupont débute une œuvre intitulée Marking Breath, une performance live qui se déroule du lever au coucher du soleil, au cours de laquelle Sophie marque chaque respiration qu'elle prend. En apparence subtile et simple, cette performance n’est ni l’un ni l’autre ; cela nécessite un degré extraordinaire de retenue et d’endurance – un acte déterminé de rébellion contre la société frénétique et stimulée dans laquelle beaucoup d’entre nous vivent. Elle a interprété cette œuvre 30 fois dans 12 pays différents.

Le travail de Sophie prend vie autour de cette notion d’équilibre qui la pousse à se questionner quant à la dualité de l’être humain mais aussi entre abstrait et figuratif.
Le figuratif, c’est nous, notre corps. Il est là et existe en tant que tel. L’abstrait, c’est tout ce qui vient se greffer autour : nos émotions, pensées, goûts, les ambiances…

L'art de Sophie réside dans cette volonté de faire se rencontrer le figuratif et l'abstrait et de donner plus d'espace au monde intérieur en recouvrant le corps d'abstrait, via des matières ou notamment des masques, que l’on découvre en quantité exposés sur le mur de son atelier. Sophie utilise son corps comme médiateur entre ces deux notions.
Mais je sais que c’est en réalité une bataille perdue d’avance. La vision d’un simple cil nous ramène au figuratif.

Le figuratif, le visible, sont toujours présents. Pourquoi une telle connexion à la vie ? Des questions qui poussent Sophie à se concentrer sur l’importance de cette vie qui est indéniablement visible lorsque, tout simplement, nous respirons. C’est un retour constant à la vie.
Il est impossible de choisir d'arrêter de respirer, même si on souhaite se faire du mal. La respiration reprend toujours le dessus. The breath will come.
Respirer pour se (re)connecter
Sophie en est convaincue, dans ce monde dans lequel nous sommes souvent focus sur l’extérieur, il est important de se recentrer sur ses sentiments, quels qu’ils soient, d’être en accord avec eux et même d’être curieux. Nous ne pouvons pas toujours être dans le contrôle.
L’être humain est en réalité pluriel et se connecter à soi et aux autres c’est aussi accepter cela.
Il y a encore 5 ans, j’aurais été incapable de raconter mon histoire. Tout d’abord parce que je ne veux pas que l’on pense que mon art est une thérapie. Il s’agit davantage de catharsis [purification des passions par le biais du spectacle théâtral, ndlr]. Je pense aussi qu’il est important de partager mon histoire aux plus jeunes, de transmettre le message que même si on traverse une période sombre, on finit toujours par avancer en empruntant le chemin de la vie.
Je me suis souvent demandé ce qui faisait qu’on continuait de vivre quand tout va mal : c’est l’amour et ce lien avec les autres.
Se prendre dans les bras - hugging - a cette vertu de calmer le système nerveux grâce à la production d’ocytocine et est aussi, bien entendu, une manière corporelle de se connecter à l’autre.
Sophie nous rappelle également l’importance de se reconnecter à la nature pour se reconnecter à soi.
Je n’invente rien, j’utilise ce qui nous entoure pour nous reconnecter à la vie. La respiration, le soleil qui se lève puis se couche…
Cette connexion à la nature se retrouve dans son art. Respirer, se reposer, dormir, nager, des manières simples de se reconnecter à la nature, à soi et aux autres que Sophie met elle-même en pratique au-delà de son art.
Dans Imprint of Sleep (Empreinte du Sommeil), Sophie explore les moyens de transférer les états d'être dans l'art. Ici, le principe du hasard ainsi que la perception de la couleur, de la substance et de l'atmosphère jouent un rôle important. Cela permet en même temps à Sophie de créer des œuvres sans effort. Ainsi, son art est aussi une réflexion sur la durabilité, où l’existence et la coexistence constituent les conditions de la vie. Et les questions de conscience et d'inconscience entrent aussi en jeu.
Dans ce monde où tout va trop vite, Sophie et son art nous offrent finalement un moment connecté au temps, plein de sincérité, rythmé par la respiration et les émotions.
Pour suivre et rester informés des futures expositions de Sophie qui se tiendront prochainement à Copenhague, au Mexique et en France, vous pouvez vous rendre directement sur son site. Vous y découvrirez toutes ses oeuvres et projets !
Sophie est également sur Instagram et Facebook et vous pouvez admirer ses oeuvres dans sa galerie à Copenhague.
Un immense merci à Sophie pour son chaleureux accueil et sa confiance lors de notre échange.
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