Rencontre avec Lawrence Ebelle à l’occasion de la sortie de son livre « Beyond the window sill - Copenhagen behind the scenes », iIlustré par Puk Ewdokia.
Un livre en anglais découpé en 14 chapitres pour 14 quartiers où Lawrence nous emmène à la rencontre de Copenhaguois qui parlent de leur vie, de leur environnement, de l’endroit où ils habitent et nous dévoilent une vue depuis une fenêtre de leur logement.
Lawrence Ebelle est née à Paris. Elle a beaucoup voyagé, suivi des études d’architecture à Chicago et a découvert Copenhague il y a 30 ans pour y poser ses valises quelques années plus tard. Après avoir travaillé pour des cabinets d’architecture, elle est désormais installée à son compte, menant des projets variés depuis son studio qu’elle envisage avant tout comme un laboratoire - un lieu où elle s’autorise à rêver, expérimenter, tester à échelle 1, passant de la deuxième à la troisième dimension et inversement. Lawrence est versatile, plurielle, éclectique et aime participer à des projets transversaux mêlant design, architecture, artisanat et scénographie.
Peux-tu nous parler de ta relation à Copenhague?
LE : Je vis une sorte d’histoire d’amour avec Copenhague où je suis venue en vacances la première fois en 1992 sur les recommandations de mon frère qui s’y était rendu pour un mariage et m’avait dit : c’est une ville qui te ressemble. À ce moment-là, j’avais prévu un grand tour des pays nordiques mais j’étais plutôt intéressée par la Suède. J’avais un vol Paris-Stockholm que j’ai finalement changé pour un Paris-Copenhague. Mon frère me connait bien. Il avait raison : je pensais ne rester dans la capitale danoise que 3 jours, j’y suis restée 3 semaines! Je m’y suis spontanément sentie bien. J’ai été littéralement subjuguée par la vibration créative et artistique. de la ville. De plus, chaque fois que j’allais chez quelqu’un, je trouvais les intérieurs incroyablement beaux ! La personne éminemment esthétique que je suis y succomba de facto.
À partir de là, j’ai eu une fascination pour Copenhague. Je me suis dès lors immergée dans la culture danoise et j’ai beaucoup fréquenté la Maison du Danemark à Paris.
Je suis revenue tous les ans à Copenhague - plutôt à la belle saison. Dans le même temps, je commençais à être fatiguée des grandes villes comme Chicago, New York ou Paris. Alors lorsqu’un ami danois m’a finalement demandé pourquoi je n'essaierais pas de venir habiter à Copenhague, j’ai sauté le pas!
Quelle est la genèse de ce livre ?
LE: Copenhague est devenue très populaire et à la mode depuis une dizaine d’années. Les gens sont attirés par tout ce qui est scandinave et plus particulièrement danois: le hygge, le design, le vélo… Je m’en suis réjouie au début!
De nombreux guides, magazines et autres publications ont sorti leur édition ou leur dossier sur Copenhague. Si les premiers écrits sur lesquels je suis tombée m’enthousiasmèrent et flattèrent mon égo pour avoir foulé le sol danois avant l’engouement général, ils ont fini par m’agacer car n’offrant aucune originalité. Ils me donnaient l’impression d’être façonnés dans le même moule, mettant toujours les mêmes lieux en exergue, listant les mêmes tables, soulignant les mêmes adresses. Illums Bollighus pour les férus de design, Atelier September pour les brunchs branchés Charlottenborg et Louisiana pour les amateurs d’art, la résidence royale d’Amalienborg et la petite Sirène pour les classiques ou encore Papirøen, quand celle-ci n’avait pas encore été victime de l’explosion immobilière.
Cette image extrêmement polie de la capitale danoise, qui en faisait presque un paradis sur terre où l’on occultait les choses moins flatteuses - les petits appartements exigus avec douche dans la cuisine voire à l’extérieur dans la maison de quartier, les prix exorbitants, l’obscurité extrême l’hiver, le protectionisme… a eu raison de moi.
Sans tomber dans le cliché inverse, je voulais au moins proposer une alternative ; un portrait de la ville inédit, en la présentant sous un autre angle, en montrant ce qui était moins visible.
J’aime écrire et avais déjà participé à la rédaction du guide du Petit Futé (Copenhague Night & Day), ce qui m’avait permis de connaitre nombre d’endroits et lieux intéressants. J’avais de fait déjà une sorte de trame, sinon des pistes à suivre pour ce projet.
Par ailleurs, grande fan des travaux de l’architecte finlandais, Juhani Palasmaa (The Eyes of the Skin. Architecture and the Senses, est l’une de mes bibles) dans le champ de la théorie en architecture et la phénoménologie, je voulais à mon tour décrire l’architecture de l’intimité, d’où cette volonté d’aller de l’intérieur vers l’extérieur. En effet, ceux qui font la ville sont ceux qui l’habitent. Je voulais donc m'inviter chez les gens et les interroger sur leurs origines, leur quartier et leur demander de me montrer leur vue préférée depuis une fenêtre de chez eux.
En tant qu’architecte, la fenêtre est pour moi non seulement un élément architectural important mais aussi la zone de contact privilégiée avec l’extérieur. Or dans les guides, on reste toujours au niveau de la rue, de la façade et je trouvais intéressant d’avoir une approche anthropologique à la verticale car offrant une plus grande variété.
Comment as-tu procédé ?
LE: Je voulais - comme je le disais précédemment - m’inviter chez les gens, tout en sachant qu’ils n’auraient pas beaucoup de temps à m’accorder. Il fallait donc un format concis. J’ai ainsi défini 5 questions : est-ce qu’il étaient Copenhaguois d’origine, comment ils étaient arrivés à Copenhague ? Comment s’était fait le choix du logement / du quartier où ils habitaient, comment ils le décriraient, s’ils l’aimaient et enfin la vue qu’ils préféraient depuis chez eux.
En premier lieu, j’ai rédigé une annonce que j’ai déposée dans des boites aux lettres dans toute la ville. J’ai eu quelques retours mais pas suffisamment d’étoffe pour mon projet. Malgré tout, ces premiers entretiens glanés du nord au sud et de l’est à l’ouest m’ont permis de démarrer. Cependant, je me suis vite rendue compte que je perdais un temps précieux à rencontrer une personne à Sydhavn à 14h et la suivante à Nordhavn à 15h30. J’ai donc décidé de mieux structurer mon travail et ai par la suite procédé par quartier : chaque semaine, je sélectionnais un quartier à sillonner et pour chacun, je m’imposais d’interviewer en moyenne 7 personnes pour que cela soit représentatif.
Je voulais un portrait nuancé de Copenhague et ai donc embrassé tous ces quartiers à l’exception de Brønshøj et Vanløse dont j’ai longtemps cru qu’ils ne faisaient pas partie de la commune de Copenhague - toutes mes excuses. 14 quartiers donc, de Nordvest à Amager en passant par Frederiksberg ou Østerbro. J’ai ainsi rencontré plus d’une centaine de personnes, de familles vivant dans toutes les parties de la ville. Au gré des enregistrements, j’ai redécouvert Copenhague. Ces entretiens, je les ai retranscrits. Enrichis plus tard par mes notes et mes photos, elles-mêmes bientôt sublimées au trait. Ce qui était primordial pour moi était de conserver les anecdotes, les choses moins connues ou drôles et les éléments qui révèlent un quartier. J’ai voulu mettre en avant toutes ces populations qui se côtoient et montrer comment les gens s’approprient un territoire, adoptent un quartier. Sur toutes les personnes que j’ai interviewées, une seule m’a dit qu’elle n’aimait pas l’endroit où elle vivait!
Un autre aspect qui me tenait à coeur pour ce livre était que le lecteur en ressente le côté intimiste et authentique, d’où la mise en lumière de lieux décriés et un désir impérieux de sortir des clichés et des sentiers battus, de révéler des trésors cachés.
C’est d’ailleurs pour cette raison que le livre commence par Nordvest, moins connu et moins couru que Christianshavn, même si cela a fini par changer ces dernières années avec l’arrivée de populations aux revenus plus élevés.
J’ai par exemple été chez un peintre qui habite à Emdrup (Nordvest) dans une colonie d’artistes près du lac d’Utterslev Mose. La vue sur la nature, depuis sa fenêtre, y est magnifique, inattendue. Non loin de là, sur la colline de Bispebjerg se trouve également l’une de mes églises préférées de la capitale: Grundtvigs kirke est pour moi une oeuvre architecturale des plus réussies.
Comme pour nombre des projets que je réalise, j’ai assez rapidement une idée de ce que j’aimerais obtenir. Au moment où j’esquissais ce qui allait devenir Beyond the window sill, j’étais déterminée à créer un livre illustré à la main car je voulais me démarquer de la plupart des livres existant sur le sujet où c’est la photographie qui prime comme vecteur visuel. Et puis j’adore le dessin, le travail de la main, la maîtrise du geste, du trait. C’est sans doute lié à ma formation d’architecte. Je me suis donc mise en quête d’un illustrateur et après quelques essais, j’ai choisi de travailler avec Puk Ewdokia. Ses illustrations de guingois et pleines de couleurs s’harmonisaient parfaitement avec mon approche et mon souhait de créer un ouvrage empreint d’humilité, bien qu’ayant sa place au rayon ‘beaux livres’.
Qui dit beaux livres, dit argent. Ce fut l’ultime combat pour mener ce projet à bien. En effet, produire un livre de cette qualité coûte cher. Au début de mon projet, j’ai essuyé plusieurs écueils. Toutes mes demandes de financement ont été rejetées. Cela m’a énormément affectée et j’ai momentanément abandonné cette idée de livre. Mais je suis quelqu’un de très patient, j’aime faire les choses bien même si cela prend du temps. En 2020, pandémie oblige, j’étais confinée et j’avais beaucoup de temps pour réaliser tout ce à quoi je ne peux me consacrer d’habitude. De fait, j’ai repris mon projet et je me suis lancée le défi de demander de l’aide. Une démarche contre-nature pour moi mais qui a été déterminante pour mener ce projet à bien. 2021 restera pour moi l’année où j’ai appris à demander de l’aide.
Je ne crois pas les personnes qui disent qu’elle se sont faites toutes seules. Il y a toujours une personne qui vous tend la main ou qui vous dit quelque chose, vous donne une impulsion qui - vous ne le savez pas encore - va tout changer. J’ai sollicité mes connaissances, mes amis, des personnes rencontrées par hasard aussi et grâce à elles, j’ai fini par trouver un graphiste, je suis parvenue à écrire des demandes de bourses à des fondations. Elles ont finalement été couronnées de succès. J’ai même réalisé une exposition temporaire d’une sélection de tirages issus du livre dans la belle galerie de la librairie Cinnober dont la propriétaire m’a proposé d’en habiller les murs pendant la période estivale. Période où nombre de touristes franchissent le seuil de sa porte, en quête de cadeaux stylés.
Gros succès. L’argent récolté me rapprochant toujours plus de mon rêve de papier.
Bref, sortir de ma zone de confort et de ma timidité, me délester du poids de mon éducation où il fallait toujours briller mais ne compter que sur soi-même, aura été bénéfique.
Je remercie encore une fois toutes les personnes qui m’ont permis de réaliser ce livre sur Copenhague.
Beyond the window sill qui est imprimé au Danemark a été finalement achevé en décembre 2021. Il est pour l’instant disponible au musée de Copenhague (Københavns Museum), à la bibliothèque royale / Diamant Noir (Det Kongelige Bibliotek / Den Sorte diamant), au musée du travail (Arbejdermuseet), à Politikens Boghal (librairie du journal Politiken) chez Thiemers à Frederiksberg, Cinnober et Tranquebar dans le centre-ville et Books & Company à Hellerup. Comme je ne m’empêche plus de rêver, j’aimerais aussi qu’on le trouve à l’Office du tourisme, à Tivoli, à l’aéroport, à Louisiana, au SAS hotel d’Arne Jacobsen, au centre d’architecture (DAC), chez Illum et dans quelques hôtels de référence comme d’Angleterre, Hotel Danmark ou Skt. Petri. Et même à la Maison du Danemark à Paris !