Rencontre avec François Debains qui a créé Urban Explorer Copenhagen en 2016, concept regroupant ses connaissances et son intérêt pour l’urbanisme, la photographie et le street art.
Peux-tu nous parler de ton parcours et de tes activités à Copenhague ?
J'ai 36 ans et je suis originaire du sud de la France, plus précisément des Bouches du Rhône d'où ce petit accent que je garde avec fierté. Je suis titulaire d'un master en urbanisme obtenu en 2008 et qui m'a permis d'acquérir une certaine expérience dans le développement urbain en France et au Danemark.
Cela fait désormais 8 ans que je suis installé à Copenhague et après quelques expériences enrichissantes, et un temps d'observation marqué par d'inspirantes rencontres, j’ai décidé de créer mon entreprise en 2016 : Urban Explorer Copenhagen.
Mon but était de créer un concept qui regroupe mes connaissances et mon intérêt pour l’urbanisme, la photographie, et le street art.
Mon entreprise propose ainsi 3 activités principales où la ville reste toujours le sujet central :
- des visites permettant de découvrir la ville de manière un peu alternative, tout en évoquant son histoire, son urbanisme et son développement actuel et à venir.
- des expériences visant à présenter la scène à la fois visible et mystérieuse du street art, ces expériences peuvant être enrichies avec des workshops d'initiation en compagnie d'artistes locaux.
- des projets et des sorties photos, avec la possibilité de les conclure par des concours et/ou des expositions.
Ces activités sont très flexibles, et toujours adaptées selon les demandes des clients qui vont des groupes privés aux écoles, tout en passant par des associations et des entreprises pour leur team buildings.
Je rajouterais que j'organise également depuis peu des chasses aux trésors sur mesure qui sont en quelque sorte des activités transversales puisqu’elles permettent de découvrir la ville, des endroits un peu alternatifs souvent recouverts de street art, tout en prenant des photos. A ce titre, je travaille actuellement sur un projet novateur pour le Light Festival, mais cela reste encore très incertain et je ne peux pas vraiment en dire plus (NDLR : festival des lumières se tient chaque année à la nuit tombée au mois de février à Copenhague).
J'aime travailler de façon indépendante, mais des collaborations durables se sont créés avec le temps, notamment avec certaines institutions telles que la commune de Copenhague, des entreprises comme Nordic Insite, des festivals comme celui de Roskilde ou avec de nombreux artistes.
Quel est ton quartier préféré à Copenhague ?
Question difficile ! Je te répondrais différemment si je porte ma casquette d'urbaniste ou si on se place d'un point de vue plus global. Bien que compacte, Copenhague est marquée par ses contrastes, et chaque quartier a ses qualités et défauts.
Mais si je dois en choisir un, je dirais que Nørrebro est mon quartier préferé (NDLR : quartier le plus cool au monde dans le classement du magazine Time Out, voir notre article) pour tout un tas de raisons qui serait trop long à détailler. Mais le fait que je vienne de Marseille n'y est certainement pas étranger... Son côté multiculturel, populaire, coloré ou simplement vivant je dirais, me rappelle un peu d'où je viens. Et j'ai aussi un coup de cœur pour Christiania et sa philosophie mais il me faudrait également des heures pour en parler...
Mais paradoxalement, j’habite désormais à Islands Brygge/Dr Byen pour des raisons personnelles. Je dois avouer que j'y apprécie d'être aux portes du centre-ville tout en étant entouré par la nature. Pour aller à Nørrebro ou dans le centre ville, je dois passer en vélo dans les champs au milieu des vaches et des chevaux ! C’est urbain avec la nature qui y est omniprésente, c'est un compromis rare dans une grande ville et cette atmosphère me convient parfaitement.
En ce qui concerne les nombreux nouveaux quartiers qui sont sortis de terre ces dernières années, je dirais que Nordhavn est celui qui me semble le plus prometteur en terme d'urbanisme. Il s’agit d'un quartier neuf mais avec une certaine volonté de conservation, de réhabilitation et de transformation du patrimoine ancien, ce qui permet à Nordhavn d'avoir déjà une certaine âme. Les voitures n'y sont pas omniprésentes, ce qui a un impact considérable sur l'atmosphère du quartier. Avec sa situation idéale en bord de mer, vous trouvez un territoire qui est déjà bien plus vivant que les autres quartiers récents ou en construction de Copenhague.
Bien qu'étant un parking, le bâtiment Konditaget Lüders est un symbole intéressant du développement de Nørdhavn avec ses facades combinant art, végétaux, et son aire de jeux en toiture qui permet à tous de profiter d'une des plus belles vues de Copenhague et sur les silos transformés en bureaux ou en logements. Vous y trouvez également une de ces “nærgenbrugsstation”, ces lieux de recyclage très utiles dans nos villes d'aujourd'hui et de demain.
A l’inverse, Ørestad est une échec urbanistique malgré un intérêt architectural indéniable ; il n'y a pas eu de réelle réflexion globale sur son développement foncier et les conséquences seront quasiment impossible à réparer.
Pour terminer, je dirais quand même que ces nouveaux quartiers renforcent le problème de la gentrification de Copenhague, de l’immobilier trop cher et du manque de logements sociaux. Il faut en prendre conscience pour éviter que la ville que l'on n'aime aujourd'hui change de visage de manière irreversible.
Peux-tu nous parler du street art à Copenhague ?
Il y a énormément de choses à découvrir, et encore plus à raconter ! Mais malheureusement Copenhague est un peu en retard par rapport à d’autres grandes villes européennes, tout simplement car le street art ne bénéficie pas d'un grand soutien politique localement, comme pour le 13ème arrondissement de Paris par exemple. Il y a d'ailleurs de moins en moins de murs légaux et de spots accessibles pour les artistes, mais des choses se passent malgré tout.
Il y a, par exemple, ce projet en cours à Amager avec une dizaine de muraux peints par des artistes locaux et étrangers. Sinon un magnifique mural vient d'être peint très récemment par un artiste chilien reconnu mondialement, Inti Castro (à Nørre Allé 7 à Nørrebro, juste au coin de Sankt Hans Torv). L'impact a été très important, espérons que cela constitue une étape supplémentaire vers davantage de reconnaissance et de soutien.
Des événements prennent de plus en plus d'importance comme "Meeting of Styles” par exemple qui est un festival international de street art qui apporte une certaine visibilité. Il y aussi eu la première édition du prometteur "Slagelse Street Art Festival", mais cela reste des évènements ponctuels avec des installations éphémères.
Lors de mes expériences, j’essaie de sensibiliser la population à cette problématique car nous restons les acteurs majeurs de l'évolution de nos villes, on a ce pouvoir d'influer sur les institutions locales et de les convaincre de soutenir davantage cette culture. Il s’agit souvent de projets complexes à mener car ils impliquent différents parties mais au Danemark, le niveau administratif n’est pas trop compliqué, il y a un budget public assez important, donc toutes les conditions sont réunies pour que l'on puisse franchir un palier!
J'essaye d'y contribuer humblement et de faire bouger un peu les lignes. Avec des amis, nous avons relancé en 2020 le projet Westend Walls à Vesterbro, afin de proposer régulièrement les murs de ce magnifique passage à de nouveaux artistes. Et nous recherchons ainsi d'autres espaces publics ou privés qui pourraient être peints comme cette galerie à ciel ouvert. Le but est d'amener ainsi plus d'art dans notre ville tout en permettant aux artistes de s'exprimer librement et sans difficulté.
Quelques endroits à recommander pour découvrir du street art à Copenhague justement ?
Les principaux spots se comptent désormais sur les doigts d'une main:
- Bolsjefabrikken entre Nørrebro et Østerbro qui est le dernier grand terrain de jeux accessible, une galerie en plein air où il fait bon se rendre régulièrement pour découvrir la richesse de cet art.
- BaNanna Park à Nørrebro pour ses murs mais aussi pour son histoire d'espace industriel transformé en parc par la volonté des habitants de ce quartier qui comptait très peu d’espace vert. La partie artistique n’est peut-être pas à la hauteur de Bolsjefabrikken mais l’histoire du lieu est inspirante !
- Christiania dans sa partie périphérique essentiellement, notamment sur Prinsessegade, Refshalevej et autour de Den Grå Hal.
- Et notre projet Westend Walls bien sûr :)
Autrement, vous trouverez quelques muraux à Nørrebro, à Vesterbro et à Amager. Et vous pouvez également vous rendre autour des gares de métro en construction comme celles de Havneholmen et Enghave Brygge. Je garde mes secrets pour le reste ;)
Quelques noms de "graffeurs" ou d’artistes qui opèrent à Copenhague et que tu apprécies ?
C'est une autre question extrêmement difficile car la famille du street art est très vaste et composée de profils très variés. Il y a tellement d'artistes talentueux et inspirants, mais si je devais en retenir que quelques-uns je dirais :
- Zusa qui est malheureusement atteint d'une maladie qui le contraint à se déplacer en fauteuil roulant, mais il reste artistiquement actif dans la rue grâce un groupe de personnes qui l'assistent et suivent ses directives.
- Henrik Soten, une référence du graffiti mondial avec son style incroyable. Cela a été une grande fierté de le rencontrer et qu’il accepte de peindre un des murs de Westend.
- Rasmus Balstrøm pour sa créativité, ses convictions et sa technique
- Thomas Dambo qui sort un peu du street art à proprement parler mais sa philosophie et son énergie méritent toute notre attention et notre soutien.
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Un grand merci à François de nous avoir accordé cet entretien et de partager avec nous quelques-unes de ses photos pour illustrer l'article.