Violaine retrouve au Danemark Celia qui a été une de ses élèves au lycée en France, elles évoquent son parcours : de la France en école d'ingénieurs, à son premier poste chez Siemens et maintenant celui chez Lego, son apprentissage du danois, la management à la danoise, ses enfants et son divorce.
Est-ce que la lycéenne que j’ai eue en cours au lycée Camille Claudel avait à cette époque envie de voyager, de partir vivre à l’étranger ?
Pas du tout, bien au contraire. C’était plutôt une hantise. J’avais ce sentiment que ce serait sans doute nécessaire d’apprendre l’anglais et l’allemand ; je n’avais aucunes facilités et à la fin de mon cursus scolaire, je ne pouvais toujours pas parler un mot. Or dans le monde professionnel de l’ingénierie, il faut pouvoir parler anglais et l’allemand est un plus dans le milieu ingénierie mécanique. Au point que j’avais des angoisses en école d’ingé. Quelque chose pourtant m’avait marqué. J’avais fait un voyage scolaire quand j’étais au lycée, en Suède, un échange avec des lycéens de Malmö. On avait fait le voyage en bus, on avait traversé l’Allemagne. On avait fait une pause au Danemark et ça m’avait fait une impression incroyable, au printemps, les champs pleins de colza etc. Je m’étais dit que si j’avais l’occasion, je reviendrais. J’ai eu cette opportunité en école d'ingé, via le programme Erasmus. Ça fait maintenant quinze ans que je suis au Danemark et,
en moins d’un mois : je m’étais dit que c’était le pays où j’étais censée être née.
Ca me convient plus que la culture française, ce mode de communication directe ! On ne tourne pas autour du pot. Il faut apprendre le sens de la politesse danoise mais c’est plus direct, il faut moins marcher sur des oeufs. C’est plus mon tempérament, j’ai toujours été franche mais j’ai toujours eu peur de blesser les gens car les français sont très susceptibles. La confiance aussi me plaît. Les vélos qu’on n’attache pas etc.
Là où tu vis, peut-être ?
C’était le cas à Copenhague il y a 15 ans. J’ai grandi dans une famille où les petites tricheries sont autorisées. Même si on joue à un jeu de société...Ici c’est vraiment mal vu. Et moi ça m’a toujours déplu en grandissant qu’on ne suive pas les règles. Ça me choquait quand on sautait les barrières de métro etc. Ici, que ça fasse partie des fondamentaux de la société, ça m’a fait du bien.
Revenons à ton parcours. Quel est ton poste actuel chez Lego ?
On fait toute la production en interne. On fait les briques nous-mêmes mais aussi les moules pour fabriquer les briques dans des machines à injection plastique. C’est un peu comme des moules à gaufres. Un moule dans lequel tu injectes ta pâte et tu attends que ça se solidifie et tu ouvres et tu as ta brique qui tombe. En 2015 Lego a annoncé une transition durable. En 2030, on passera à 100 % de matériaux durables donc on sortira des huiles car beaucoup de plastiques sont faits d’hydrocarbures. On sortira du pétrole. J’ai toujours eu un intérêt pour les énergies renouvelables et l’environnement donc j’ai rallié Lego à cette occasion. J’ai eu différents départements en charge. Il y a un an, Lego a créé un département qui se consacre à la transition vers ces nouveaux matériaux , non pas la synthèse (un autre département s’en charge) mais une fois trouvé, il faut trouver le process, la cuisson, la température, les conditions de cuisson comme pour des gaufres ! Je dirige des équipes depuis douze ans. Dans mon poste actuel Je suis essentiellement en charge des ingénieurs et des chefs de projets et eux dessinent des scenarios de test et on étudie les « conditions de cuisson » idéales pour ces matériaux. Avant Lego, je suis restée 9 ans chez Siemens. J’ai fait une école d’ingénieur matériaux avec une spécialité en métallurgie (c’est-à-dire la connaissance des métaux) et j’ai été embauchée directement par Siemens car c’est un domaine peu prisé des étudiants, un domaine peu « glamour » de l’ingénierie donc sur une promotion de 300, on est 5 à choisir ce domaine. J’ai eu la chance d’avoir un stage de fin d’études sur les fractures des composants à basse température avec une embauche au bout. Je m’occupais des éléments dans des éoliennes qui étaient cassés, boîtes de vitesse, roulements (on parle de roulements qui ont 4 mètres de diamètres). On coupait, on passait ça dans des machines et on regardait au microscope pour essayer de comprendre ce qui causait le problème. On était deux. Au bout d’un an et demi, Siemens a décidé de me confier une équipe pour en faire beaucoup plus. J’ai passé les 7 ans qui ont suivi à créer le labo : quand je suis partie, on était 35, avec le labo le plus grand de l’industrie éolienne, parmi les meilleurs experts au monde dans ce domaine. J’ai dessiné les bâtiments du labo (500 mètres carré d’équipement), une opportunité qui ne m’aurait pas été offerte en France à 24 ans.
Tu avais la vocation ou c’est venu en cours ?
C’est venu en école d’ingé. Je suis d’une famille d’ingénieurs. Mais mon intérêt pour les matériaux c’est pendant mes études que ça s’est précisé grâce aux stages successifs.
On imagine qu’il n’y a pas beaucoup de femmes dans ce domaine ?
A Siemens, Brande, quand j’ai démarré j’étais la plus jeune, la première femme et la première étrangère dans le département d’ingénieurie. Tout le monde pensait que j’étais la secrétaire ! Quand je suis arrivée, on était 200 ingénieurs, quand je suis partie on était plus de deux mille. Tous les meetings étaient en danois au début, mais c’est passé rapidement à l’anglais. Dès qu’il y avait une interview au journal, c’était toujours moi qu’on envoyait car il faut prouver qu’il y a des femmes ! J’ai ainsi rencontré la Première ministre Helle Thorning-Schmidt, quand on a fait l’inauguration du labo. J’étais enceinte de 8 mois et demi. Être aux infos avec elle c’était rigolo. Finalement en étant très peu de femmes on se retrouve à être mises en lumière.
Un parcours qui est dû à la chance qu’on m’a donnée. En 2008, j’avais 25 ans quand on m’a fait passer des tests de personnalité pour vérifier que j’avais la capacité d’être leader. Avoir les mains libres pour créer cette organisation, c’était super. Je travaillais avec un expert qui était devenu comme un papa danois pour moi. Je suis partie un mois et demi après son départ à la retraite. Une raison mais pas la seule bien sûr de mon départ. On fait souvent des « knowledge sharing » (échanges de connaissances) avec d’autres boîtes. On en avait fait un avec le labo de Lego. Et je m’étais dit que la boîte avait l’air très bien ! Si Lego un jour souhaite passer à une transition durable, pourquoi pas faire partie de cette aventure là ? Quand j’ai rejoint Siemens en 2007, Bonus, une boîte danoise avait été rachetée par Siemens. Il y avait encore beaucoup d’utopistes des années 70 qui étaient encore dans la boîte, fondateurs de l’éolien au Danemark et dans le monde. On avait le sentiment de faire partie d’une aventure unique. L’un d’eux, un des pionniers de l’industrie éolienne, est parti. Je me suis alors dit que c’était le moment de changer car c’était aussi devenu une grosse boîte, ce n’était plus forcément moi.
Tu habitais dans la ville ?
Au début 7 mois dans l’auberge de jeunesse le temps de trouver où atterrir. J’ai bougé à Herning un peu au nord de Brande. Je suis revenue à Brande quand mon compagnon a emménagé avec moi. Puis nous sommes allés sur la côte Est en direction de Copenhague à Vejle.....Le peu de temps que j’ai habité à Brande, je pouvais voir l’usine de mon lit et c’était trop proche. Je me suis rendu compte que j’avais besoin de déconnecter.
Quels sont les avantages et inconvénients de là où tu vis ?
C’est devenu depuis 10 ans très international car Siemens et Lego sont à côté. Beaucoup d’opportunités culturelles. Des bons restaus, un cinéma, du théâtre en anglais, des concerts plus internationaux..; La communauté « inter » organise pas mal d’événements. Je suis très intégrée à la vie danoise. Je parle danois couramment.
Tu l’as appris en arrivant ?
J’ai d’abord appris l’anglais. Le danois est venu via mon compagnon de l’époque qui m’a poussée. Une semaine intensive sur une île (Lolland) dans une ferme avec 5 autres étrangers et interdiction de parler autre chose que le danois. Mon compagnon a décidé un jour de ne me parler que danois pendant un an. Il s’y est tenu ! Radical mais très efficace. J’ai un cercle d’amis danois, ce qui n’est pas forcément le cas de tous les internationaux. Ma vie est un peu entre deux mais ça me convient, la forêt à côté et Vejle est quand même une assez grande ville. Même du point de vue de la carrière, c’est important de parler le danois. Moi j’avais caché à Lego que je parlais danois pour maintenir l’anglais comme langue de compromis, ni la mienne, ni la leur. Mais pour mon dernier poste, à ma surprise, j’ai compris que j’allais devoir parler danois. Ca m’a permis cependant de gagner la confiance de mes employés et collègues. Quant aux enfants, si le parent français comprend le danois, les enfants parlent danois. Malgré le fait que je leur parle francais. Pas toujours évident !
Qu’est-ce que tu leur as offert à Noël ?
Un Ipad chacun. Je ne fais pas partie de cette génération de parents qui utilisent les écrans mais étant donné l’école à la maison et les moyens digitaux mis en place dans les écoles ça devient vite nécessaire. Avec un contrôle parental très sévère !!
En ce qui concerne ton ex-mari, est-ce que la différence culturelle a pu jouer dans votre éloignement ou pas du tout ?
Non, pas du tout ! On a été mariés pendant 9 ans. Les divorces danois, ça va très vite. En 6 mois, c’était plié ! Je fais partie d’un groupe Facebook « les femmes expatriées en cours de divorce » et je vois les expériences des françaises à Dubaï par exemple ou dans des destinations où c’est l’horreur en termes de procédure. On a fait un dépôt de séparation en décembre, après il faut vivre séparés pendant 6 mois. Ensuite tu confirmes ta demande et 10 semaines plus tard on avait le papier. Les enfants sont sereins. Le fait de voir qu’on s’entraide, on va boire un verre de temps en temps, on fait en sorte de maintenir l’amitié en quelque sorte, ils s’en portent très bien. On avait, il est vrai, fait une thérapie de couple.
Est-ce que c’était une démarche commune ?
C’est dans notre culture même si pas facile ni pour l’un ni pour l’autre de faire tout ce qu’on pouvait pour faire marcher les choses. On est passés par 5 thérapeutes. On les a à peu près tous faits sur la ville ! Et celle qui nous a aidés est devenue notre « conseillère de divorce » chez qui on amène les thématiques un peu épineuses : comment on fait Noël, les anniversaires, les nouveaux compagnons etc. Beaucoup de gens sûrement divorcent en plein milieu de la colère. Nous on a attendu de passer la colère, de guérir des blessures et après on a décidé qu’il était temps. Il travaillait aussi dans l’éolien, ingénieur en mécanique. Mais on avait un accord de confidentialité : pas le droit de parler boulot à la maison ! On a vendu la maison par choix : pour ne pas donner cette impression aux enfants que l’un de nous gardait la maison et que l’autre était chassé. On l’a vendue en moins d’une semaine et on a retrouvé des appartements en location l’un et l’autre. Je cherche une maison car il me manque un jardin. Tous les deux ce sont des enfants danois, ils passent leur temps dehors. Leur école est dans une forêt. Ce sont des enfants d’extérieur. Je me souviens ma mère me disait tout le temps : « ne te salis pas ». Et ici tu les mets en combinaison intégrale et c’est bon ! Ils peuvent se rouler dans la boue, pas de souci ! Ils sont à l’aise, ils peuvent passer une journée sous la pluie !
Et toi petite, tu jouais aux Lego ?
Non, j’ai grandi , on était deux filles et mes parents ne nous ont jamais acheté de Lego. J’ai assemblé mon premier modèle chez Lego le jour où je suis arrivée.
Il paraît qu’on offre un bouquet de fleurs ici. Toi c’était un modèle de lego ?
Les deux !!
Aurais-tu une anecdote à raconter sur les caractéristiques de la vie en entreprise au Danemark ?
Mon premier jour chez Lego j’avais été envoyée en « garden leave » de chez Siemens dès que j’ai posé ma démission car j’avais un poste critique avec des informations confidentielles. Et Lego m’a invitée à un séminaire de « leadership ». La première chose qu’on a faite c’est du yoga. En arrivant, on me demande si je suis-végétarienne, vegan ou ...Mon chef, c’est une cheffe avec trois enfants dont le bébé en bandoulière sur elle et on commence la journée par une heure de yoga ! C’est très loin de la culture française ! L’environnement est super. Ces valeurs de confiance, de franchise...ce sont tant Siemens que Lego des organisations très horizontales. Une autre façon de communiquer entre chef et employés !
En 15 ans, j’ai vu passer beaucoup de Français qui viennent et repartent. Le dénominateur commun de ceux qui repartent : le climat, ceux qui viennent du Sud de la France. Les normands, bretons et parisiens restent. Une autre raison de départ : la famille en France et le jour où on a des enfants. Mais même pour quelques années, je pense que ça vaut le coup de découvrir une autre culture ! Moi c’est sûr j’y reste au moins jusqu’à ma retraite et après 6 mois dans un pays et 6 mois dans l’autre.
J’aurai bientôt ma double nationalité. Le Danemark, c’est vraiment mon pays au même titre que la France. Je me sens presque plus danoise que française. Je suis d’une deuxième génération d'immigrés : ma grand-mère est venue des montagnes d’Algérie en France, ma mère est en France et ma soeur en Californie et moi au Danemark !
Un beau parcours et familial et personnel !
J’ai bénéficié de bonnes étoiles tout au long de mon chemin.
Quel conseil donnerais-tu à un jeune au lycée pour la vie active. Ils sont un peu déboussolés ces temps-ci.
Ce que les danois appellent "gør dig umage" : "applique-toi " !, " Fais de ton mieux " ! J’embauche beaucoup et je vois que les gens ne s’appliquent plus.
Faire une belle lettre de motivation, un beau CV, faire de son mieux dans le choix des vêtements pour l’entretien d’embauche par exemple...
Tu es en télétravail ?
Mes employés sont les 2/3 en télétravail mais un tiers au travail car ils sont en charge de l’atelier qui est une fonction critique pour la production. J’essaie d’y aller un peu mais on fait des rotations pour respecter les restrictions. Ces temps-ci, on fait l’école à la maison, je découvre des méthodes d’apprentissage qui me sont étrangères , je suis à l’école avec eux ! Je suis au CP et CE1 actuellement ! Je vois qu’eux sont plus ouverts car ils voient que j’apprends autant qu’eux. Ils commencent à apprendre l’anglais à l’école. J’ai toujours parlé l’anglais avec leur père. Ma fille entend l’anglais depuis des années et elle ne sait toujours pas dire : my name is ... Pareil pour le français.
Chacun son chemin !
Ma fille me disait : " Maman on est au Danemark, il faut parler danois ici. Tu parleras français en France". Je suis partie un été 5 semaines en France (car ici on peut prendre le congé parental jusqu’au 9 ans des enfants) : j’ai mis les enfants en cours d’optimistes une semaine, en mer tout seuls sur un bateau, uniquement en français. Je me suis dit qu’ils parleraient français au bout de la semaine. Eh bien, à la fin c’est la monitrice qui parlait danois ! Depuis, je n’ai pas insisté ! Mais j’ai décidé de moins stresser sur ce sujet-là.
Chacun résiste comme il peut !
Moi je pensais que j’étais vraiment nulle en langues et finalement, ça s’est débloqué très rapidement une fois ici. On vient de me demander de faire une présentation sur l’agenda durable en danois à l’université locale ! Le challenge de l’année ! J’ai appris à l’oreille. J’ai rajouté la grammaire plus tard. De l’apprendre par la pratique ça m’a convenu. L’immersion !
Si tu as plus de dix enfants (je crois) d’une même langue dans une même commune, tu peux demander des cours.
Sous plein de facettes différentes, le Danemark est un pays qui fait de la place à tout le monde !
Un grand merci à Célia pour ce témoignage et pour sa franchise.